« Gabriel Attal, bouclier humain du président » (Martial Foucault, professeur de science politique à Sciences-Po)

OPINION - Le fondateur du Forum de Davos, qui se tient à partir du 15 septembre dans la station suisse, s’inquiète de la poussée des extrémismes dans le monde. Klaus Schwab appelle à un sursaut d’optimisme.
Martial Foucault, professeur de science politique à Sciences-Po
Martial Foucault, professeur de science politique à Sciences-Po (Crédits : © MATHILDE MAZARS/REA)

« De l'action, de l'action, de l'action. » Une punchline qui claque tel un slogan à la sortie d'une séance de cinéma après deux heures d'un bon blockbuster. Sauf qu'il n'est pas question de septième art mais des premiers mots télévisés du 26e Premier ministre sous la Ve République. En nommant Gabriel Attal à Matignon, le président de la République a-t-il décidé de réhabiliter la praxéologie politique au sommet de l'exécutif ? De mettre l'action, la praxis, au service d'une ligne politique. L'action, le mouvement, l'audace, l'efficacité sont les expressions les plus souvent utilisées par l'exécutif pour mettre en selle l'an II du deuxième quinquennat. Par-delà les débats pour savoir si l'on doit parler de science de l'action ou de théorie de l'action, le sens (de la formule) relève davantage d'un style de gouvernement que souhaite impulser Gabriel Attal que de la matrice d'une orientation idéologique.

Dépassement politique

S'il est difficile d'identifier une ligne directrice dans le corpus idéologique de Gabriel Attal, il est en revanche incontestable que le nouveau Premier ministre fait du dépassement politique un principe absolu de son ralliement au macronisme. De quoi un tel dépassement politique est-il le nom ? Comme le rappelle l'historien Nicolas Rousselier dans La Force de gouverner, la Ve République a permis à l'exécutif de disposer de nouvelles armes dont celle d'imposer une légitimité et une supériorité à une démocratie exécutive face à une démocratie parlementaire. Il n'est donc plus question de compromis mais de démonstration dans l'application ou l'exercice du pouvoir. Pour Attal, le dépassement politique consiste à imposer un style de gouvernement débarrassé d'un ensemble de valeurs culturelles et économiques, et libéré de toute emprise d'un parti politique. Le seul équilibre à rechercher est celui d'une maïeutique garantissant aux alliés politiques du président de la République les conditions d'une survie dans un espace politique recomposé et offrant aux nouveaux venus un retour surprenant sur le devant de la scène politique.

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Principe de réalité

Dans ces conditions, la nomination de Gabriel Attal n'est, pour Emmanuel Macron, ni une révolution ni un reniement de ce style de gouvernement. Bien au contraire. En tant que ministre de l'Éducation nationale, il n'a nullement eu besoin du Parlement pour imposer son style, préférant la circulaire, le décret, les futurs chantiers... En cela, il ne fait qu'appliquer un principe de réalité : la majorité relative empêche grandement de légiférer sur les enjeux conflictuels, et d'autres s'y sont cassé les dents. Le pragmatisme face aux contraintes institutionnelles. L'action face à l'incertitude du temps parlementaire. Le passé de ministres construisant leur capital politique sur une loi portant leur nom est révolu, en tout cas dans la configuration actuelle du Parlement. Le capital politique se bâtit ailleurs. Dans l'agir, donc, c'est-à-dire dans les contours de la praxis politique. Cela présente un avantage lorsque vient le temps de former un nouveau gouvernement. La plasticité idéologique des ministres peut désormais se fondre dans une entreprise de l'action politique.

Ce style de gouvernement impose aussi de disposer de plusieurs qualités personnelles. À commencer par la jeunesse, Gabriel Attal battant le record détenu de longue date par Laurent Fabius. Même si elle ne fait pas exception au-delà des frontières françaises. Sanna Marin est devenue Première ministre en Finlande à 34 ans et Sebastian Kurz, chancelier en Autriche à 31 ans.

Le dépassement politique consiste, ici, à imposer un style débarrassé d'un ensemble de valeurs culturelles et économiques

Martial Foucault

En France, la comparaison avec la nomination en 1984 de Laurent Fabius à l'âge de 37 ans à Matignon a été abondamment commentée. À l'époque, tous les ministres du gouvernement Fabius étaient plus âgés que le Premier ministre. En 2024, tous les ministres nommés, à l'exception de la ministre des Relations avec le Parlement, Marie Lebec, sont aussi plus âgés que Gabriel Attal. Si la jeunesse aide indéniablement à construire une image de chef de gouvernement combatif, énergique et bousculant les codes du jeu politique, Gabriel Attal ne pourra pas jouer cette carte dans l'affrontement politique, puisque son principal adversaire, le jeune dirigeant du Rassemblement national (RN), Jordan Bardella, n'a que 28 ans.

Gouvernement de campagne

Or c'est l'un des premiers enseignements du gouvernement Attal, que nous pourrions qualifier de gouvernement de campagne. L'échéance du scrutin européen du 9 juin sera l'occasion de dresser un premier bilan de son action. Rares, en effet, sont les scrutins européens lus autrement que dans leur dimension nationale. Il sera donc fortement suggéré aux nouveaux ministres (Rachida Dati, Stéphane Séjourné, Catherine Vautrin) de tenir un rôle de premier plan dans le dispositif électoral. Au premier rang d'entre eux, Gabriel Attal sera en mission pour empêcher l'échec de la liste de la majorité présidentielle, en bouclier humain du président de la République.

Créditée d'environ 20 % d'intentions de vote, la liste Renaissance n'est pas parvenue à endiguer la progression de celle du RN (environ 30 %). En 2019, Emmanuel Macron avait pu amortir l'échec de la liste conduite par Nathalie Loiseau. L'écart avec le RN, arrivé en tête, n'était que de 200 000 voix. Mais si la tendance se confirmait pour 2024, un écart de 10 points signifierait une avance de 2 millions de voix pour le RN. Ce serait un coup fatal dans la stratégie présidentielle du changement de gouvernement. Une telle perspective implique donc de convoquer une équipe prête à défier le RN sur deux terrains : l'opinion et les émotions. Beaucoup moins sur les idées.

Pour l'opinion, il s'agira de contrer la popularité grimpante de Jordan Bardella et la poursuite de la normalisation politique de Marine Le Pen. Pour les émotions, l'enjeu est de réveiller, au sein du corps électoral, une opposition entre la colère (principale émotion activant le vote RN) et l'optimisme (émotion ayant assuré les succès d'Emmanuel Macron aux scrutins présidentiels).

Art du combat politique

Sur le premier point, la bataille sera rude pour le nouveau Premier ministre. S'il peut se targuer du capital de sympathie le plus élevé du gouvernement (40 %, selon le dernier baromètre Ipsos-Le Point de décembre 2023), il a, en face, la seule personnalité politique présente au sein des 50 personnalités préférées des Français (30e place, selon le baromètre Ifop-JDD de décembre 2023). Pour expliquer la popularité des deux hommes, il faut davantage chercher du côté du style que des idées. Car le clivage politique entre populistes et progressistes qu'avait imposé Emmanuel Macron au cours de son premier quinquennat s'est érodé au fil des arrivées de ministres venant de la droite. Le progressisme s'est transformé en pragmatisme. L'effort d'émancipation et de dépassement s'est érodé face à la logique du réel. Et c'est précisément ce réel, sans ligne idéologique marquée, qui réussit à Gabriel Attal. Car il semble à l'aise pour y déployer un art du combat politique, une facilité à être compris clairement par les Français sans verbiage technocratique, et surtout une fidélité sans faille (pour le moment) au chef de l'État. Il pourra certainement mettre à profit, dans cet art du combat, la verve de Rachida Dati, à condition de pouvoir compter sur sa solidarité et sa loyauté.

Les premiers pas de tout nouveau gouvernement charrient leur lot d'espérances et d'attentes. Avec l'échéance électorale en vue, il ne reste que quelques mois à Gabriel Attal pour entendre et écouter la mise en garde de René Char dans Fureur et Mystère, et pour éviter que, à force d'actions, « l'homme perdu de perversions politiques, confondant action et expiation, nomm[e] conquête son anéantissement ».

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