Il ne faut pas trop écouter les banques "too big to fail"

Les banquiers américains à la tête des établissements "too big to fail" (trop importants pour faire faillite) militent en faveur d'un assouplissement de la règlementation les contraignant à la prudence. Le régulateur aurait tort de les écouter, il doit maintenir la pression. Par Mark Roe, professeur à la Faculté de droit de Harvard

Les risques que les banques font courir au système financier continuent de faire les gros titres des journaux. Bank of America n'a pas passé les tests de stress financier de la Réserve Fédérale américaine, et les régulateurs ont émis des critiques sur les plans de financements de Goldman Sachs et de JPMorgan Chase, obligeant ces deux institutions à réviser à la baisse leurs prévisions de dividendes et de rachats d'actions. Quant à  l'intensification des activités de négociation financière de la CityBank, elle soulève des doutes sur son contrôle approprié des risques.

Ces résultats révèlent que certaines des plus grandes banques sont toujours menacées. Et pourtant, les banquiers ne cessent de répéter que la mission d'après crise consistant à renforcer la réglementation et à rendre le système financier plus sûr est pratiquement terminée ; certains brandissent même de récentes études sur la sécurité des banques pour soutenir cet argument. Alors qu'en est-il ? Les banques sont-elles encore fragiles? Ou la réforme de la règlementation post-crise a-t-elle fait son office ?

Les banques "too big to fail" avantagées sur plusieurs plans

La crise financière de 2008 a mis en lumière deux dangereuses caractéristiques dans le système financier actuel. D'abord, en cas de problème, les États renflouent les banques les plus importantes plutôt que de les laisser s'effondrer et risquer de fragiliser l'économie. Enfin, et cela est pire, être trop importantes pour faire faillite, le fameux "too big to fail" encourage les banques à grandir plus encore, d'autant que les créanciers et les partenaires commerciaux préfèrent travailler avec ces établissements bénéficiant d'une garantie implicite de l'Etat.

Les banques "too big to fail" ont des taux d'intérêt plus faibles sur la dette que leurs consœurs de taille moyenne, parce que les prêteurs savent que les obligations ou les contrats d'échange émis par de telles banques seront honorés, même si la propre banque fait défaut. Auparavant, avant et juste après la crise financière de 2007-2008, cela a permis à ces grandes banques de se doter d'un avantage correspondant à plus d'un tiers de leurs capitaux.

Ceux qui apprécient peu le renflouement de ces grosses banques sont les économistes, les législateurs et les contribuables : les petits arrangements spéciaux dont bénéficient les huiles de la finance les dérangent. Encouragés après la crise financière par une opinion publique très remontée, les régulateurs, aux États-Unis comme ailleurs, ont été largement poussés à instaurer des obligations supplémentaires, y compris de capitaux. Et d'autres évolutions règlementaires sont toujours actuellement en projet.

De nouvelles études,  publiées notamment par le Fond Monétaire International et le Government Accountability Office américain, montrent effectivement que les avantages de long terme accordé aux banques "too big to fail" comme Citigroup, JPMorgan Chase, et Bank of America sont moins importants qu'avant la crise. Ça, c'est la bonne nouvelle. La mauvaise est que les représentants des banques américaines s'appuient sur ces études pour affirmer que le phénomène du « trop important pour faire faillite » est désormais contenu. Et qu'il est maintenant temps que les régulateurs se retirent.

Les régulateurs ont intérêt à maintenir la pression

Une idée périlleuse, et pour plusieurs raisons. Pour commencer, l'étude du FMI tout comme les études similaires démontrent que la probabilité d'un renflouement nécessaire, lié aux obligations déjà émises,  est effectivement plus faible aujourd'hui. Mais aucune étude ne précise pourquoi.

Un amoindrissement du risque de renflouement pourrait exprimer la perception selon laquelle la réglementation en place serait appropriée et complète ; ou que les participants aux marchés obligataires attendent peut-être que les nouvelles règlementations comme les tests de stress achèvent de compléter l'arsenal nécessaire. Ou alors, certains investisseurs estiment que les régulateurs sont au front, et bénéficient d'un soutien politique suffisant pour mettre en place les protections supplémentaires. Ou enfin, ils estiment que l'économie est actuellement assez forte:  les banques ne feront pas faillite avant l'échéance des obligations d'ici quelques années.

La seconde raison pour laquelle les régulateurs ne devraient pas ménager leurs efforts dans la  est que l'étude se concentre sur la dette à long terme. Mais ce n'est pas là qu'il faut regarder aujourd'hui, c'est du côté de la dette à court terme.  Les opérations des grandes banques sur cette dette sont extrêmement profitables  et le règlement des opérations de négoce mieux garanti. Les traders choisissent donc les banques "too big to fail", plutôt que des institutions de taille moyenne, comme contreparties de leurs échanges à court terme, ce qui entraine l'explosion des résultats - et donc des profits - des grandes banques.

Il n'est pas aisé de mesurer le degré de stimulation sur la dette à court terme. Mais il sera très probablement très important. Le récent effort dans grandes banques, mené par Citigroup, pour convaincre le Congrès américain d'abroger une disposition essentielle de la loi Dodd-Frank sur la réforme de Wall Street et la protection des consommateurs de 2010 qui les aurait obligé à opérer la majeure partie de leurs négoces à court terme avec des affiliés distants (qui ne sont pas "too big to fail")  renforce cette interprétation.

Les banquiers prêts à prendre des risques s'ils ne craignent plus le régulateur

La troisième raison de se méfier de l'attitude banquiers si la pression du régulateur se relâche, c'est ils agiront en conséquence: ils craindront moins une faillite et seront donc plus enclins à prendre des risques supplémentaires. Cela semble avoir été le cas avant la crise financière, et aucune raison commerciale ou psychologique ne permet de penser que cela ne se reproduira pas.

Les régulateurs ne doivent pas se laisser distraire par le lobbying des banquiers ou par les études qui ne mesurent ni le rebond à court terme dont a profité le statut d'une banque "too big to fail", ni à quel point cette perception de sécurité accrue peut être attribuée à la réglementation en place et aux attentes de réglementations supplémentaires. En l'absence de telles études, les régulateurs doivent compter sur leurs seuls jugement et intelligence. Si « too big to fail » signifie aussi « trop important pour être réglementé », ce sentiment de sécurité accrue ne saurait durer très longtemps.

Traduit de l'anglais par Frédérique Destribats

Mark Roe est professeur à la Faculté de droit de Harvard.

© Project Syndicate 1995-2015

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