Industrie 4.0 : la guerre en Ukraine crée un nouveau paradigme pour les chaînes de valeur

CINQ QUESTIONS POUR COMPRENDRE. Avec Gilles Babinet, Digital Champion pour la France auprès de l'Union européenne, vice-président du Conseil National du Numérique, multi-entrepreneurs et auteur, nous entamons une série d'articles formulés en format Q&A sur les défis de l'économie de demain dans le nouveau monde initié par la crise sanitaire et géopolitique mondiale. Aujourd'hui : industrie 4.0 et robotisation.
(Crédits : Aly Song)

Quel est le contexte industriel français en 2022 ?

Il est très dégradé. La France est, après Malte et Chypre, le pays le plus désindustrialisé de toute l'Europe. Il faut sans doute y voir conséquence d'un désintéressement fort, du fait de notre culture centraliste et de l'idée longtemps tenace que l'industrie était finalement un lieu de labeur et d'exploration, donc à ne pas soutenir.

Chacun se souvient du fait que dans les années quatre-vingt-dix, le PDG d'Alcatel vantait un modèle sans usine et que personne -sauf les syndicats- n'y trouvait à redire. Or, c'est dans l'industrie que l'on trouve les meilleurs salaires et que la mobilité sociale s'exprime le plus fort. De surcroit la majorité des emplois industriels se trouvent à proximité d'une ville de moins de 10,000 habitants. Une part de l'explication du mouvement des gilets jaunes est donc probablement à trouver dans la plus forte désindustrialisation de notre nation par rapport à ses voisins. La France est à 9% de PIB industriel, l'Allemagne à 26% et l'Espagne à 14%.

La robotisation, autrement appelée industrie 4.0 permet elle vraiment de réindustrialiser ?

A elle toute seule probablement pas. Mais plusieurs facteurs sont en oeuvre. Le premier c'est la découverte c'est que les chaines logistiques sont très fragiles : la crise de la Covid et maintenant la guerre en Ukraine poussent les acteurs industriels à accélérer une tendance de relocalisation qui a commencé il y a une dizaine d'années avec le renchérissement du cout de la main d'oeuvre asiatique. Or, l'une des caractéristiques de l'industrie 4.0 c'est l'intégration des processus de production dans les chaines de valeurs logistiques (supplychains). En théorie c'est plus résilient, mais ces supplychains resteront des maillons faible durant des années.

Quels sont les autres facteurs de réindustrialisation ?

Le second c'est effectivement la robotisation : l'industrie devient très peu manufacturière et donc les coûts sont progressivement plus induits par l'énergie et les matières premières que les couts salariaux. Le troisième pourrait être la taxe carbone aux frontières que souhaite la présidence française de l'EU. Cela pourrait avoir des conséquences très significatives pour ceux qui n'auraient pas décarboné leurs importations à temps.

L'industrie de demain est elle sans emploi ?

Elle rencontre un phénomène que l'agriculture connait depuis une cinquantaine d'année : des gains de productivité plus importants que dans le reste de l'économie, et une part manufacturière de plus en plus faible. Ceci étant dit, est en train d'apparaître une nouvelle catégorie d'employés occupant des métiers dits « de services à l'industrie » : ils travaillent pour l'industrie, ils ont de très bons salaires et une réelle sécurité de l'emploi, mais ils n'apparaissent pas dans les statistiques relatives au PIB d'origine industriel. 
Y a t'il un nouveau paradigme en terme de globalisation des échanges? 
Le fait d'avoir des supplychain régionales et très réactives devient un atout compétitif fort, et cela passe largement par le numérique. Je ne crois pas cependant à une forme de "provincialisation" de l'industrie. La spécialisation des nations va continuer à jouer, mais dans une moindre mesure et les pays vont vouloir se prémunir contre les aléas géopolitiques, sanitaires, etc. en demandant aux producteurs à forte valeur ajoutée, par exemple les producteurs de semi-conducteurs,  de se rapprocher.

Que faut il faire pour réussir cette réindustrialisation?

On parle sans cesse de baisser les impôts de production. Des impôts qui sont généralement dû indépendamment de la valeur ajoutée réelle de l'entreprise. Il faut sans doute continuer à les baisser mais ce sujet me semble incomparablement moins important que de disposer des bonnes compétences de demain : ingénieurs, codeurs, mécatroniciens... manquent en grand nombre. Or on ne fera pas l'industrie 4.0 sans eux.

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Gilles BABINET, co-auteur de « Big data et objets connectés » - Rapport de l'institut Montaigne

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Commentaire 1
à écrit le 15/04/2022 à 12:32
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"La France est, après Malte et Chypre, le pays le plus désindustrialisé de toute l'Europe. " Il faudrait le répéter tous les jours et surtout voir comment font nos voisins qui n'ont pas besoin de dirigisme pour avoir des industries florissantes. Le ...

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