Inflation élevée : la faute des entreprises ou des pouvoirs publics ?

OPINION. La persistance de l'inflation serait due pour certains, à la rapacité des entreprise qui auraient profité de cette période pour augmenter leurs prix et leurs marges bénéficiaires. Mais cette explication inverse la cause et l'effet. Par Marc Guyot et Radu Vranceanu, Professeurs à l'ESSEC.
Marc Guyot et Radu Vranceanu.
Marc Guyot et Radu Vranceanu. (Crédits : Reuters)

L'inflation élevée qui frappe les Etats-Unis et la zone euro depuis 2021 se maintient à un niveau trop élevé selon les derniers chiffres disponibles. En mai 2023, l'inflation hors énergie et produits alimentaires est encore à 5,3% aux Etats-Unis et à 5,4% en zone euro, bien au-delà de la cible de 2% des deux banques centrales.

Les causes de cette inflation sont maintenant bien connues. Le stimulus fiscal et monétaire a été maintenu à un niveau élevé trop longtemps après la récession due au Covid-19, auquel s'est ajouté l'augmentation ponctuelle mais forte du prix de l'énergie à la suite de la guerre en Ukraine. Les graves erreurs de prévision et la réaction tardive des banques centrales (Fed et BCE) ont largement contribué à aggraver le problème.

A la recherche des boucs émissaires

Face à la grande souffrance économique des catégories les plus défavorisées générée par l'inflation, les économistes de gauche cherchent des boucs émissaires plutôt que remettre en cause le principe même du soutien massif et permanent de la demande globale. Sans surprise, le coupable idéal serait le comportement rapace et égoïste des grandes firmes. Celles-ci auraient profité de la confusion dans l'esprit des gens provoquée par l'inflation pour engager une hausse des prix détachée des réalités avec l'objectif d'augmenter les marges de profit. Dans la zone euro, au printemps 2023, la Commission européenne dans ses prévisions économiques avait déjà pointé une hausse des profits en 2022, qu'elle reliait à l'inflation. La présidente de la BCE, Christine Lagarde, a repris cette thèse dans un discours en juin 2023, en rendant la hausse du profit par unité produite responsable de 2/3 de l'inflation en 2022.

Au niveau purement factuel et objectif, sans parler de lien causal, selon les calculs de Hansen, Toscani et Zhou, économistes du FMI, la décomposition des revenus en zone euro indique que la hausse des prix en 2022 est associée à 40% aux prix des importations, à 45% à la hausse des profits et à 25% à la hausse de salaires, la réduction des impôts ayant une contribution négative. Selon une étude récente (mai 2023) de Glower, Mustre-del-Rio et Nicols, aux Etats Unis, les marges de profit auraient augmenté en 2021, mais cette tendance serait renversée en 2022.

Les « décompositions » comptables des hausses de prix selon les hausses des revenus des facteurs sont des enregistrements ex-post, intéressantes en soi, mais qui ne délivrent pas d'explications. C'est pour cela que les statisticiens parlent de « contribution » des différents facteurs.

Ce qui compte, c'est le coût de la dernière unité produite

Une entreprise disposant d'un pouvoir de marché a forcément un prix optimal qui arbitre entre une plus grande marge de profit et une diminution du volume de ventes. Si à un moment donné, les facteurs de production coutent plus cher ou si la demande est trop forte par rapport à sa capacité productive, une entreprise va réagir par une augmentation de prix. En effet, augmenter sa production réclame le plus souvent d'attirer des ressources de plus en plus rares, ce qui va augmenter le coût des dernières unités produites. Ce n'est pas le coût moyen des unités produites qui compte pour déterminer le prix qui assure le profit maximal, mais le coût de la dernière unité produite. C'est cette absence de flexibilité qui transforme une demande forte en forte augmentation des prix. Une forte marge dans certains secteurs reflète avant tout des conditions de demande plus favorables. Cette hausse de prix sera encore plus forte si les chaines de fabrication sont soumises à des forte contraintes de production. Dans le secteur de l'énergie, en 2022, la tarification du gaz au cout marginal a permis aux producteurs d'énergie hors-gaz d'obtenir des profits très élevés. Ainsi, l'accroissement de la demande globale expliquerait la hausse simultanée des prix et des profits, sans lien causal direct entre profits et prix.

Une autre partie de la hausse des profits vient de la réduction relative des coûts salariaux. En effet, un peu partout dans le monde, les hausses salariales n'ont pas intégralement compensé les hausses des prix et le rattrapage nécessite des mois. Cette forme de rigidité salariale explique à la fois la hausse de profits, et les pénuries de travail. Ces deux phénomènes ont la même cause, une inflation élevée et non anticipée. Il n'est pas incorrect d'affirmer que les entreprises ont pu tirer profit de cette rigidité salariale, mais, là non plus, ce n'est pas la hausse des profits qui a engendré la hausse de prix, mais l'inverse.

Augmentation de la demande à grand renfort de dépenses publiques

La dérive de toute puissance des gouvernants grisés par la perspective d'augmentation de la demande à grand renfort de dépenses publiques s'est retournée contre les salariés qui sont les grands perdants de l'inflation. Attribuer l'inflation à des causes erronées permet certes aux politiques et aux autorités monétaires de s'exonérer de leurs responsabilités. Il serait néanmoins dangereux de tergiverser sur les bonnes mesures de politique économique, essentiellement les mesures de rigueur budgétaire et monétaire sans lesquelles « le monstre de l'inflation », pour citer Christine Lagarde, ne sera jamais vaincu. Il est heureux que Bruno Le Maire ait fait un premier pas dans la bonne direction avec la réforme des retraites d'avril 2023 suivi d'un deuxième avec son plan d'économie de 10 milliards d'euros de juin 2023. Mais nous sommes encore loin du compte.

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Commentaires 4
à écrit le 13/07/2023 à 11:09
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Les professeurs de commerce prennent en exemple "ces entreprises qui ont un pouvoir de marché" et particulièrement les commerçants d'électricité qui ont tiré avantage du couplage (technique et économique) avec le gaz. C'est bien là que le bât blesse....

à écrit le 13/07/2023 à 8:28
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Non à cause de l'économie devenue chienne financière.

à écrit le 12/07/2023 à 13:53
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C'est a croire que les médias publicitaires n'ont aucune responsabilité !!

à écrit le 12/07/2023 à 13:51
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Quand on lit ce genre d'article, on se dit que c'est la faute de mon voisin d'en face ou sur ma droite ! ;-)

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