Jusqu'où déléguer aux intelligences artificielles ?

OPINION. L'intelligence artificielle (IA) est déjà en voie de généralisation : on la retrouve partout sur internet, où elle guide nos lectures, nos choix de films, nos achats. Elle trie nos emails, complète nos phrases, corrige nos fautes d'orthographe. Elle est aussi présente dans nos voitures pour nous alerter de la proximité d'une bande blanche, d'un automobiliste en train de nous doubler, ou du freinage intempestif du véhicule devant nous. Les exemples sont quasi-infinis. Par expert en IA et directeur technique chez Verteego.
(Crédits : iStock)

Un monde sans IA ? Il est déjà trop tard... et le monde du travail n'est pas en reste. On retrouve l'IA à tous les étages d'une entreprise, des cobots accélérant la production dans les usines, aux bureaux des dirigeants où elle assiste la prise de décision en rendant compréhensibles des données économiques, financières ou industrielles difficilement appréhendables par un humain. Elle est aussi dans les bureaux d'étude, et les secteurs de l'agriculture, de la santé, de l'éducation, de l'environnement, de l'énergie, de la culture ...

Les intelligences artificielles sont partout, et continuent quotidiennement leur déploiement. Elles seront bientôt, si ce n'est déjà le cas, plus nombreuses que les humains.

L'intelligence artificielle n'est pas une ennemie, mais un levier

Si les avantages qu'offre l'intelligence artificielle sont évidents, nombreux sont ceux qui se posent la question de ses limites : est-ce réellement profitable de déléguer toutes ces tâches, essentiellement cognitives, et jusqu'à présent considérées comme l'apanage des humains, à des machines ?

On s'inquiète de la conséquence de son utilisation à long terme sur l'emploi, l'économie, et donc la subsistance des personnes impactées par l'émergence de ces IA. Alors que les disparités entre les plus riches et les plus pauvres n'ont jamais été aussi marquées dans l'histoire de l'humanité, ces questions sont légitimes. Le risque est donc que son omniprésence finisse par, comme tant d'autres choses, creuser l'écart déjà béant.

Comme toute technologie, l'intelligence artificielle n'est ni bonne ni mauvaise : rappelons que tout ce qu'elle réalise est finalement réductible à des opérations élémentaires, mécanisables, sur des zéros et des uns. Elle n'est qu'un outil : et comme tout outil, elle doit être utilisée à bon escient si l'on veut profiter de ses bienfaits. Une réflexion qui s'applique au quotidien, au monde de l'entreprise, mais aussi à la société dans son ensemble : si l'on veut limiter les aspects négatifs sur le plan économique et social de l'intelligence artificielle, on doit mettre ses avantages au service du bien commun.

Le véritable écueil est de ne pas être conscient des limites d'une IA

Une voiture sans pilote doit-elle privilégier la vie de ses passagers ou des piétons ? Un robot doit-il sauver un enfant ou un adulte de la noyade ? Ces questions se posent finalement avec la même acuité pour un humain, et c'est là que réside la véritable question : la délégation d'une partie du libre arbitre humain à une machine.

Prenons l'exemple des correcteurs orthographiques et grammaticaux. Après des années d'obsolescence, l'intelligence artificielle a dynamisé le secteur. Ils permettent maintenant d'éviter des erreurs coûteuses lors de la rédaction de documents.

Le problème, c'est qu'ils standardisent la production écrite. En conseillant de compléter vos phrases, ils favorisent les conjugaisons dans des temps simples et limitent le nombre de mots.

Même si ce style, le plain english, cher à Mark Twain et Georges Orwell a ses mérites, il est intéressant d'avoir le choix d'utiliser une langue plus riche. Copiez-collez quelques lignes de Splendeur et Misères des courtisanes de Balzac dans un éditeur de texte, et vous verrez qu'il trouve à redire sur ce qui est pourtant un chef d'œuvre. Appliqués à de la poésie ou à des textes avec des idiomatismes particuliers comme le créole, ces outils aseptisent la production écrite.

Ces limitations découlent de la perception et de la représentation du monde qu'ont les intelligences artificielles : elles vivent dans des sous-univers très limités par rapport au nôtre, auquel elles n'ont finalement que peu accès, et uniquement à travers les quelques paramètres que nous voulons bien leur laisser voir. En plus de cette restriction, les machines ne perçoivent pas un continuum, comme nous, mais plutôt un environnement discret, pixelisé en quelque sorte.

Humain et IA ne s'opposent pas, ils se complètent

L'intelligence artificielle peut être plus efficace qu'un humain d'un point de vue coût/bénéfice. Mais elles ne sauront être aussi inspirées sans ce dernier. L'équilibre se trouve donc dans la formation de gardes fous, qui, tout en s'assurant que les IAs nous assistent en nous affranchissant de tâches fastidieuses, veilleront aussi à ce qu'elles libèrent notre créativité. Le tout en nous permettant de reprendre le contrôle le cas échéant.

L'omniprésence des moteurs de recherche resserre notre horizon culturel autour de ce qui a pu nous intéresser. Dans le même esprit, bien qu'il existe des réseaux de neurones profonds capables de peindre des toiles à la manière de Caillebotte, ou d'écrire des partitions de symphonies comme Beethoven, aucun ne peut s'inspirer comme Gorecki des Chants de Lysaora, datant du XVe siècle et en tirer une symphonie. Pour pallier ces limitations consubstantielles aux IA faibles, il est indispensable de recourir à leur contrôle. Cela passe par ce que l'on pourrait appeler des IA Managers, des experts pluridisciplinaires, qui seront en mesure de définir le périmètre d'action de l'IA, d'interpréter ses productions, de détailler son utilisation, mais aussi de garantir son objectivité et le respect des valeurs éthiques.

Pour établir un véritable lien, profond, de confiance, et capitaliser au maximum sur la puissance et les perspectives infinies qu'offre l'IA, l'humain est indispensable. Il s'agit simplement de réinventer son rôle.

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Commentaire 1
à écrit le 08/03/2021 à 14:12
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Moins on a d'intelligence et plus elle est artificielle! On s'aperçoit déjà des dégâts...et l'on ne demande pas a l'I.A. de donner sa réponse!

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