L'anticipation est devenue un besoin vital

OPINION. Dans un monde complexe et incertain, il est urgent pour nos organisations de développer une pratique de l'anticipation et d'élaborer des scénarios d'avenir.
(Crédits : DR)

À peine plus d'une décennie aura suffi à cristalliser une série de crises climatique, économique et sanitaire sans précédents, mais aussi les accélérations foudroyantes d'un rythme d'innovations dont les conséquences dépassent notre imagination. Sans doute ces évolutions étaient-elles prévisibles : les pollutions et déflagrations écologiques issues d'une économie longtemps oublieuse des ressources, ainsi que les outrances d'une finance dopée par la titrisation, sont autant d'effets des impensés de l'activité humaine. Les conforts de l'innovation nous ont amenés à en relativiser ses impacts. Là encore, la fascination, l'émulation, voire la sidération ont eu raison d'une véritable anticipation.

Quatre paramètres sont en revanche plus difficiles à anticiper : les réactions en cascade du vivant soumis à des pressions anthropiques ; les réactions de la nature humaine dans ce cycle de transformation ; l'évolution des nouveaux paradigmes socio-économiques et les modes de vie qu'ils engendrent ; la transformation d'une géopolitique dont les enjeux reconfigurent les rapports de force, y compris dans les relations économiques et sociales. De surcroît, un décloisonnement du monde amplifie la vitesse et la profondeur des mutations. Or, nos habitudes intellectuelles et culturelles, mais aussi l'accélération perpétuelle, rendent la prospective plus complexe et nos arbitrages particulièrement sensibles. Toutes ces raisons nous ont amenés à revisiter le thème de l'anticipation.

Perturbations

« Les besoins de l'âme humaine », ainsi que les énonçait la philosophe Simone Weil, se nourrissent de valeurs dont il est difficile de prévoir les interprétations face aux métamorphoses. La recherche de sens, le besoin d'authenticité ou les réticences face aux promesses de la mondialisation stimulent les tensions entre les projections rationnelles et les attentes fondamentales de l'être humain. De la même manière, les constructions socio-économiques, sédimentées depuis la révolution industrielle, évoluent vers d'autres modèles, dont les logiques s'éloignent de celles qui structurent encore notre contrat social. La monétisation des données, la quête de bien-être ou la valorisation des gains d'énergie perturbent l'ordre d'un système économique dont l'obsolescence accélérée pourrait surprendre, ainsi que la pandémie de Covid-19 l'a illustré en 2020. Enfin, le dérèglement climatique, l'affaissement des institutions traditionnelles, la puissance méta-politique des géants du numérique, l'endettement des États et le réveil des empires modifient en profondeur les règles de la collectivité où évoluent aujourd'hui les acteurs économiques.

Dans notre monde complexe et incertain, rien n'est clairement écrit. Mais une multitude de signaux faibles émerge, dont l'analyse préfigure quelques scénarios d'avenir. L'enjeu est là. Il consiste pour chacun de nous à ne pas limiter notre horizon aux univers qui nous sont familiers, ni aux extrapolations qui pourraient en découler, mais à confronter nos signaux faibles aperçus pour reformuler des hypothèses. Chacune de nos expériences et les secteurs d'activité où nous agissons sont source d'informations riches d'enseignements. Elles annoncent de nouvelles attentes et de nouveaux usages, inaugurent des comportements ou amorcent des changements de priorités dans les échelles de valeurs et de priorités. Une juste interprétation des signaux faibles suppose cette confrontation.

Révolutions

La crise actuelle l'a démontré : les priorités qui déterminent nos modes de vie mutent rapidement. La prévalence du bien-être sur la réussite entraîne des changements profonds, dont nul ne peut aujourd'hui prévoir l'ampleur, ni les conséquences. D'ores et déjà, la relation au travail, les modes de consommation, l'organisation des déplacements ou les choix d'habitat sont intensément revisités par ces changements de déterminants. D'autres révolutions s'annoncent, influencées par les technologies, par de nouveaux leaders d'opinion, par des mouvements de contestation ou par les modes de pensée qu'ouvrent les générations émergentes.

« Anticiper » est un exercice indispensable - urgent, même - auquel nous sommes insuffisamment préparés. Notre système d'enseignement et les parcours qui en découlent tendent davantage vers la spécialisation que vers une approche large des situations. Nous fonctionnons en silos, avec une trop faible porosité entre les univers intellectuels, économiques, sociaux ou internationaux. Or nos organisations sont chaque jour plus exposées à ces mutations. Les femmes et les hommes qui y travaillent et innovent au quotidien les vivent dans des cycles de transformation difficilement perceptibles, comparables à la puissance irréversible des mouvements tectoniques. Les révolutions naissent de ce que nous n'avions pas prévu. Échanger sur nos signaux faibles, analyser, anticiper pour ne plus se laisser surprendre et prendre la main. C'est l'ambition du programme Anticipations.

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(*) Par Jean-Christophe Fromantin, Sébastien Bazin, Christophe Aulnette, Nicolas Bouzou, Bruno David, Jean-Charles Decaux, Bernard Gainnier, Manuelle Gautrand, Félicité Herzog, Philippe Houzé, Cécile Maisonneuve, Jean-Paul Mazoyer, Philippe Wahl - membres du comité d'orientation d'Anticipations (anticipations.org)

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Commentaires 3
à écrit le 05/01/2022 à 15:01
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texte très naïf, en entreprise il y a des loupés, des crashs cela coute par exemple 50 000 euros, il existe une solution pérenne de qualité durable (innovation) qui risque de couter 50 000 euros, et bien l'entreprise ne va pas anticiper, elle préfèr...

à écrit le 07/12/2021 à 14:12
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Oui, tout ce qui permet de prendre un tant soit peu de recul et faire réfléchir est bon à prendre, si la race humaine veut se pérenniser et c'est mal barré il faut qu'elle apprenne à comprendre sa conscience. Maintenant il faut arrêter immédiatement ...

à écrit le 07/12/2021 à 11:58
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Oui, mais pour anticiper, il faut déjà comprendre le présent : Voir le monde tel qu'il est, et pas comme on voudrait qu'il soit. Pour cela, il ne faut pas prendre au comptant toutes les fadaises que nous rabâchent les médias mainstream à longueur de ...

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