L’entreprise menacée ?

Depuis la Révolution industrielle, l’entreprise a façonné la société. Cette organisation de la production de richesse et de développement des échanges est aussi devenue une pierre d’angle de notre organisation sociale. Mais les rapports entre entreprise et société évoluent fortement. Le modèle d’hier va-t-il pouvoir se maintenir ? Par François de Saint-Pierre, Associé-Gérant et Responsable de la Gestion Privée chez Lazard Frères Gestion. Publié en partenariat avec les Jéco

Depuis la Révolution industrielle, l'entreprise a été et reste déterminante dans l'évolution de nos sociétés. Telle que l'analyse Jean-Baptiste Say qui y voit la collaboration de la technologie, du travail et du capital sous l'impulsion et la direction de l'entrepreneur, son modèle est-il encore valable ? Il ne se passe pas un jour sans que l'on ait des reproches à lui adresser. Et pourtant... Le rapport de la Banque Mondiale, tel qu'il a été publié la semaine dernière, montre qu'aujourd'hui, sur 7,2 milliards d'habitants, 700 millions vivent sur Terre dans la plus grande pauvreté, le dénuement et la faim. Mais au début du XXème siècle, avec une population mondiale d' 1,7 milliard d'habitants, il y avait déjà 700 millions d'habitants qui vivaient dans ces mêmes conditions. Avec l'effondrement du communisme et la mondialisation, c'est ce système qui a permis à 5,5 milliards d'individus supplémentaires de vivre dignement.

En plus de nous permettre de vivre nombreux et longtemps, les entreprises sont chacune une cellule essentielle de notre organisation sociale. Elle est le lieu où l'on trouve le travail plutôt que l'oisiveté, elle un élément complémentaire des structures sociales que peuvent être la famille, les structures religieuses, les collectivités associatives dans lesquelles les individus peuvent s'engager. Les salariés lui consacrent beaucoup de temps, de leur intelligence et de leurs facultés. C'est par conséquent à l'entreprise de donner du sens à ses collaborateurs, car dans son objet comme dans ses pratiques, elle doit effectivement être orientée vers le bien-être collectif, au-delà du bien-être de chacun de ses collaborateurs.

 Des obstacles à la création et au développement des entreprises.

Dans ces rapports entre entreprise et société, trois évolutions récentes méritent cependant d'être soulignées, car elles peuvent modifier profondément la donne pour l'avenir. En premier lieu, il faut évoquer les obstacles à la création et au développement des entreprises. C'est un peu paradoxal quand on pense que ce sont ces dernières qui ont permis la prospérité collective. Dans notre pays en particulier, et plus qu'hier, pour des raisons historiques et politiques, il y a un phénomène d'enserrement de l'entreprise, qui n'est pas seulement économique et fiscal.

On assiste à la multiplication des normes et des contrôles, en même temps que l'on subit la défiance du législateur et du contrôleur. Il en résulte que nos entreprises, exposées à la concurrence mondiale, ont du mal à se développer, ce qui provoque en leur sein des tensions qui peuvent être fortes. Cette cellule vivante qu'est l'entreprise, doit pouvoir se démultiplier, s'adapter, bouger. Il faut libérer les énergies, les enthousiasmes, il faut faire confiance, ce qui n'exclut pas le contrôle.


La naissance de l'entreprise totalitaire

La deuxième évolution, c'est « l'entreprise totalitaire ». L'entreprise totalitaire, c'est celle qui fait oublier que ce qui régit fondamentalement les relations entre le collaborateur et l'entreprise, c'est un lien marchand. Le collaborateur met à disposition son travail et ses facultés et est payé pour cela. Autour de ce rapport essentiel, l'entreprise va pouvoir proposer de la nourriture gratuite, des formations, de l'assistance aux loisirs, des crèches, des temps de repos, de prière, des « after work » etc. Elle finira par englober toute la vie de ses collaborateurs.

Mais pour autant, ce lien initial et fondamental peut être brisé par la force des choses, du fait de l'âge ou de la maladie du collaborateur, de la volonté de l'entreprise, de l'évolution des technologies, de l'environnement concurrentiel, etc. Dans ce cas-là, l'individu, pris en charge totalement, qui se sera fondu dans son emploi sans donner d'autres dimensions à son existence, risque d'être perdu une fois  ce lien avec l'entreprise rompu.


Les salariés encore attachés à l'entreprise

Le troisième enjeu, dont on ne sait encore si c'est une menace ou une opportunité, c'est le développement de l'économie collaborative. Il s'agit de la production et de la distribution de richesses en dehors de l'entreprise. Revient-on à des schémas anciens de pré-révolution industrielle, ou est-ce une dérivée dont on mesurera dans quelques décennies la place qu'elle aura prise ? Elle permet des usages partagés et, d'une certaine manière, une création de valeur en dehors de l'entreprise. L'économie collaborative est très présente dans les services avec des rapports directs entre les individus : hôtellerie, transports...Cela peut aussi prendre la forme d'échanges de biens, plus limités, notamment entre des groupes de producteurs et des groupes de consommateurs : l'agriculteur propose sa production, chaque individu passe sa commande, et tous se retrouvent sur un point de livraison et de paiement commun. C'est une organisation qui s'est fédérée grâce à internet et au numérique, mais sans pour autant constituer une société, sauf l'entreprise qui a créé la plateforme numérique.

Attaquée, critiquée, contournée, l'entreprise telle qu'on la connaît depuis deux siècles, est-elle pour autant menacée ? Pas si sûr : 66 % des salariés « aiment leur boîte » et 84% savent qu'ils contribuent à la réussite de celle-ci (sondage Opinion Way du 1er octobre 2015). Si les contours d'un nouveau modèle économique et social se dessinent, les entreprises tiendront sûrement le crayon.

Associé-Gérant et Responsable de la Gestion Privée chez Lazard Frères Gestion, François de Saint Pierre est également fondateur du Cercle Jean-Baptiste Say. Il intervient lors des Jéco (Journées de l'Economie) à Lyon le 13 octobre 2015 sur la conférence : Entreprise et société.

Organisées par la Fondation pour l'Université de Lyon, les Journées de l'Economie (Jéco) proposent, à travers une cinquantaine de conférences, des clés pour appréhender les mécanismes économiques et ainsi mieux comprendre le monde dans lequel nous vivons. Les 13, 14 et 15 octobre à Lyon, plus de 200 personnalités seront ainsi réunies pour échanger et partager leurs analyses autour du thème : « qu'attendons-nous... pour agir ? ».

 https://www.journeeseconomie.org/

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Commentaires 4
à écrit le 15/10/2015 à 8:02
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Encore un économiste qui ignore le role de l'énergie. Zéro.

à écrit le 14/10/2015 à 15:33
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l'economie collaborative, ca s'arrete a ce qu'on a appris en theorie des organisations, theorie de la firme, et theorie de l'agence! c'est toujours les memes qui collaborent ( en clair ' font le travail) avec une grosse partie des gens qui se conten...

à écrit le 14/10/2015 à 15:05
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La question est : Quelle entreprise ? Aux USA il existe 500 entreprises qui vont du plus haut chiffre d'affaire jusqu'à 4 milliards de dollars pour la dernière. L'élite. En dessous celles consolidées réalisant plus de 1 milliard sont au nombre de 260...

à écrit le 14/10/2015 à 13:31
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En France nous n'aimons pas nos entreprises et encore moins nos industries.Un artisan, un commerçants est un arnaqueur, un chef d'entreprise exploite ses salariés .....alors qu'un haut fonctionnaire est " un grand serviteur de l'Etat" !!! Les lign...

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