L’unité, garante de la démocratie en temps de crise

IDEE. On peut évidemment exercer son esprit critique en temps de crise, mais il faut savoir préserver l’unité de la nation. Par Michel Wieviorka, Fondation Maison des Sciences de l'Homme (FMSH) – USPC
(Crédits : Reuters)

La démocratie est le seul régime politique qui permette tout à la fois d'assurer l'unité du corps social et de gérer ses divisions sans violence, ou en les minimisant. En période de grave crise, comme celle de la pandémie actuelle, l'unité est prioritaire, les différends passent au second plan.

Mais le propre d'une crise est aussi de fonctionner comme un révélateur de problèmes structuraux, d'aiguiser paradoxalement ce qu'il faudrait reléguer pour plus tard.

Disons-le : rien n'interdit, dans un esprit profondément démocratique, de soutenir sans hésitation le pouvoir dans son action - là est l'unité - tout en exerçant son esprit critique - et notamment là où se joue le traitement des tensions et conflits que la crise en même temps révèle et pousse à masquer.

Logique de l'unité et logique du traitement

Deux points, parmi beaucoup d'autres, méritent ici d'être soulignés, en référence à l'image d'une tension entre logique de l'unité, et logique du traitement de nos divisions.

L'unité du pays tout d'abord. La pandémie vient en effet de déboucher, politiquement, sur un retournement spectaculaire. Soudain, en effet, dans le discours des dirigeants actuels, la rigueur budgétaire et le désengagement de l'État de bien des dépenses sont mis à mal, il faudrait un État qui intervienne massivement, qui redistribue, qui agisse « quoi qu'il en coûte » de façon à permettre la « mobilisation générale » de la « France unie » que le président Macron appelle de ses vœux.

Alors que la pandémie est une question globale, la réponse est principalement nationale, et, entre autres, sociale. Des milliards d'euros seront injectés dans l'économie, et on sent bien que le thème de l'État-providence, sous quelque nom qu'on l'appelle, retrouve une certaine vigueur, tandis que le marché cesse d'apparaître comme la panacée - le discours d'Emmanuel Macron le 12 mars dernier pouvait faire penser au livre du philosophe américain Michael Sandel décrivant « Ce que l'argent ne saurait acheter ».

La réforme de l'assurance-chômage, tant voulue par le pouvoir, apparaît dans sa brutalité alors même qu'il faut parler de solidarité, elle devrait être provisoirement suspendue. La réflexion sur la désindustrialisation du pays, et la dépendance de l'Occident à la Chine, est ouverte également, ainsi que celle sur la démondialisation.

Bref, le modèle politique, économique et social que proposait initialement Emmanuel Macron se défait soudain, l'urgence est désormais de retrouver le chemin de la solidarité et de l'unité qui s'était perdu depuis les « gilets jaunes » et les mobilisations sur les retraites.

C'est aussi l'impéritie arrogante de la technobureaucratie d'État qui est mise à mal.

Dès que l'on s'éloigne du chef de l'État et de son discours du 12 mars, les inconsistances du gouvernement et de la haute administration, qui ont tardé à prendre la mesure du risque et temporisé, retardant des décisions voire donnant l'image de l'incohérence, avec des annonces du Président venant démentir celles de tel ou tel ministre quelques heures auparavant, ont fait apparaître les limites de l'action publique et le caractère vermoulu, faussement moderne, de l'organisation actuelle de l'État : l'unité de la nation exige plus, et mieux, qu'un pouvoir déconnecté d'une machine d'État se mettant en action à la vitesse d'un moteur diesel.

L'importance de la science

Un deuxième changement s'observe, il a trait au rapport du pouvoir d'une part aux scientifiques, et d'autre part aux élus, notamment locaux.

Alors même que la plupart des élites sont l'objet d'un rejet massif, qui se traduit par la montée du populisme et l'importance des fake news, la crise pandémique a dans un premier temps revalorisé la science, la médecine et, de là, la raison.

L'hygiène, la vaccination par exemple sont des valeurs bien plus positives aujourd'hui qu'hier. La communication gouvernementale a été placée sous le signe de l'expertise médicale et scientifique, et le président s'est entouré d'un conseil qui a réuni jusqu'à une trentaine de personnes, un tiers en réalité de scientifiques, les autres représentant leurs ministères et la haute administration.

Face à une épidémie, les politiques publiques ont tout à gagner à s'appuyer sur les connaissances les plus rigoureuses en la matière.

Mais l'analyse n'est pas nécessairement consensuelle, le débat peut exister entre chercheurs ou médecins, et s'il s'agit des sciences sociales, il est même la règle. De plus, le doute a toute sa place ici, le savoir n'est pas affirmatif en tout point, la falsifiabilité, comme disait Karl Popper, doit être la règle.

Différemment, la décision politique tranche, le pouvoir prend position.

Il est essentiel de ne pas confondre les exigences de la science et celles de la politique, thématique qu'illustrent bien deux célèbres conférences de Max Weber de 1917 et 1919 réunies sous le titre « Le savant et le politique ».

Ce qui a une première implication : la responsabilité de la décision est tout entière du côté des décideurs politiques, ce n'est pas parce qu'ils consultent et même écoutent les scientifiques que ceux-ci se confondent avec eux. Et si le pouvoir leur impute des décisions malheureuses, il a tort, il se défausse injustement d'erreurs qu'il doit assumer. Autrement dit : il ne faudrait pas que les chercheurs ou experts mobilisés ces temps-ci deviennent des boucs émissaires manipulés pour exonérer le gouvernement de ses fautes.

Au-delà de la conjoncture présente, il ne faudrait pas que l'image de la science et de la raison soit affaiblie par des discours politiques se déchargeant sur elles des errements du pouvoir - ce qui ne signifie en aucune façon que les réponses à la pandémie soient faciles à trouver.

Les corps intermédiaires

Le pouvoir depuis deux ans ne s'était pas beaucoup intéressé aux « corps intermédiaires », et n'avait rien fait pour aider à la reconstitution d'un système politique autre que ce qui existe aujourd'hui : une gauche et une droite classique très faibles, même si le résultat du premier tour des municipales pourrait laisser envisager, mais très timidement, un début de relance, et des oppositions d'autant plus fortes qu'elles sont radicales.

Il avait tenté, récemment un vague rapprochement avec les élus locaux, mais ce n'était pas allé très loin. Et voici qu'il consulte, entend, écoute et tient compte de ce qui lui est dit par un large ensemble de représentants des partis politiques ou par ceux des élus locaux.

Là aussi, consulter ne doit pas empêcher d'assumer. Les élus locaux, les responsables de groupes ou de partis politiques ont un point de vue, il est bon qu'ils puissent le faire valoir, mais la décision n'est pas de leur ressort.

Le maintien du premier tour des élections municipales ne doit être imputé qu'au pouvoir, et il ne serait pas acceptable qu'il tente de se dédouaner d'une éventuelle erreur sur le dos de partis, d'élus et de scientifiques.

Il est vrai qu'il n'est pas possible de déterminer à chaud ce qui est de l'ordre de l'excès, ou du défaut, dans la prise de décision : nous ne saurons qu'après coup si les mesures prises ont été les bonnes, et dans le bon tempo.

Mais nous pouvons au moins veiller à ce que la crise présente ne débouche pas sur des manipulations ravageuses pour la science et la raison, comme pour la santé de notre démocratie.

The Conversation _______

Par Michel WieviorkaSociologue, Président de la FMSH, Fondation Maison des Sciences de l'Homme (FMSH) - USPC

 La version originale de cet article a été publiée sur The Conversation.

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Commentaires 7
à écrit le 19/03/2020 à 14:14
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Oui à l’unité , déjà nous avons loupé la première partie , ne loupons pas la deuxième : Il est «  urgent » de faire livrer en pharmacies des «  test coronavirus pour tous et toutes «  comme ça tous ensemble ,nous vaincrons ce fléau Il faut teste...

à écrit le 19/03/2020 à 10:16
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les mesures ne sont pas assez dissuasives pour les indisciplinés ! en ITALIE 600 euros en BELGIQUE 500euros.. confinement et ruée vers l OUEST §

le 19/03/2020 à 20:19
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Si on prend le principe de ce confinement, il n’existe pas... Un papier voir deux dans la poche et on va ou on fait ce qu'on veut... Pourquoi les magasin ou pharmcies sont toujours ouvertes? Tous devraient aussi être "fermer" et donner des heures de ...

à écrit le 19/03/2020 à 10:15
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les mesures ne sont pas assez dissuasives pour les indisciplinés ! en ITALIE 600 euros en BELGIQUE 500euros.. confinement et ruée vers l OUEST §

à écrit le 19/03/2020 à 9:47
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oh oui les décideurs doivent prendre des initiatives, entre autres les frais d'hospitalisation et funéraires des victimes du corona. Il serait temps qu'ils sorte la batterie de guerre;

le 19/03/2020 à 20:23
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Ca fait plus de deux ans qu'on a des grèves dans notre pays car les salaires sont trop bas et aucune reconnaissance du travaille... Depuis le début on ignore les grévistes car il y a pas d'argent pour eux (gilet jaune et personnels soignants, flics, ...

à écrit le 19/03/2020 à 9:17
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C'est ce que n'arrêtait pas de dire... Goebbels.

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