La France et l’Allemagne ont besoin l’une de l’autre pour éviter le déclassement technologique et une perte d’influence

OPINION. La coopération franco-allemande aussi bien dans le domaine opérationnel que capacitaire est moteur d'une Europe plus solidaire et souveraine. (*) Par Françoise Dumas, présidente de la commission de la défense nationale et des forces armées de l'Assemblée nationale.
(Crédits : DR)

Depuis 2017, les Européens ont rapproché, à un point jamais atteint jusqu'alors, l'analyse de leur environnement géopolitique. Chacun avec ses spécificités, les Européens reconnaissent désormais qu'ils sont tous confrontés à la menace djihadiste, à un voisinage de plus en plus désordonné et hostile aux valeurs de l'Europe ainsi qu'au durcissement de la compétition entre puissances.

La coopération franco-allemande est moteur d'une Europe plus solidaire et souveraine comme le traité de coopération et d'intégration franco-allemand, conclu à Aix-la-Chapelle le 22 janvier 2019, en témoigne en visant l'approfondissement de la coopération bilatérale de défense, au service d'une Europe plus forte. Pour que ces orientations soient un plein succès, elles doivent, d'une part, tirer pleinement profit des avantages opérationnels comparés de nos forces armées et, d'autre part, réussir le pari d'une coopération capacitaire sans équivalent.

D'abord, tirer profit de nos avantages opérationnels comparés, là où nous sommes conjointement déployés

Les réponses qu'exigent les crises actuelles ne peuvent plus être le fait d'une seule nation européenne. Au Sahel, dans une région vaste comme l'Europe, la France, l'Allemagne et leurs alliés œuvrent de concert pour rétablir la paix, afin d'empêcher cette région du monde de devenir un sanctuaire pour les terroristes islamistes, un foyer de criminalité organisée et le point de départ de millions de migrants jetés sur des routes périlleuses par la pauvreté. La contribution allemande à la mission de formation des forces maliennes par des militaires de l'Union européenne (EUTM) est particulièrement déterminante à cet égard, comme celle à la mission multidimensionnelle intégrée des Nations Unies pour la stabilisation au Mali dont l'Allemagne est le premier contributeur européen. Le déploiement de la Bundeswehr au Sahel est une condition nécessaire aujourd'hui à la réussite de la mission de l'opération Barkhane ; ce n'est pas assez dit.

Je note une autre convergence majeure : tout comme leurs collègues allemands, les parlementaires français sont très attachés à ce que la situation au Sahel fasse l'objet d'une approche partenariale, avec les forces locales, et globale, avec tous les acteurs du développement. Je ne suis pas surprise que la France et l'Allemagne soient à l'origine de l'Alliance pour le Sahel qui soutient plus de 600 projets de développement, favorisant l'accès à l'eau potable, à l'éducation, à l'emploi. Les initiatives défendues de concert par la France et l'Allemagne, notamment sur le « retour de l'État » (justice, présence de l'administration, forces de police) et sur l'aide au développement seront décisives dans les mois à venir pour transformer les succès militaires contre les terroristes en réelles victoires de long terme.

Plus près de nous, d'autres menaces appellent une réponse conjointe. Aux portes de l'Europe, les démonstrations de force et les conflits entre puissances régionales se multiplient. Qu'ils soient régionaux ou instrumentalisés par de grandes puissances, ils sont à l'origine d'une instabilité croissante pour les Européens et peinent à être résolus dans un cadre multilatéral. L'emploi massif de drones armés peu coûteux, le recours fréquent à des mercenaires ou l'usage de stratégies hybrides inaugurent des conflits d'un genre nouveau, plus soudains, plus difficilement lisibles et plus brutaux.

Dans ce contexte, la France et l'Allemagne défendent ensemble le principe d'une Europe forte, capable d'en faire davantage pour sa propre sécurité. C'est le sens de notre engagement pour une « autonomie stratégique européenne », qui n'est pas, comme on l'entend parfois, incompatible avec un engagement fort au sein de l'Alliance atlantique. Pour peser sur l'évolution du monde, pour protéger leur territoire, leurs citoyens et leurs institutions démocratiques, la France et l'Allemagne auront besoin d'une liberté d'action et d'une capacité à agir qui doit être bâtie dès maintenant.

Réussir notre démarche capacitaire commune, ensuite

Pour se maintenir à la pointe de la technologie, ni la France, ni l'Allemagne, ne seront à l'avenir en mesure de réunir seules les ressources nécessaires à l'élaboration des systèmes d'armes de demain, quand bien même elles connaîtraient certains succès à l'exportation. Ce qui est vrai pour la France et l'Allemagne, l'est à plus forte raison, pour les autres nations européennes. Si les deux nations ne coopèrent pas, leurs industries de défense comme l'Europe risque le déclassement.

C'est pourquoi la France et l'Allemagne ont défendu la création de la coopération structurée permanente (CSP) dans le domaine de la défense et une dotation ambitieuse pour le nouveau fonds européen de la défense (FED) qui l'accompagne et se sont enfin engagés en 2017 à concevoir ensemble les systèmes de combat futurs dans les domaines terrestre (MGCS) et aérien (SCAF), en poursuivant ceux déjà engagés notamment l'hélicoptère Tigre. Les retards observés dans la mise en œuvre des projets de coopération bilatérale pourraient cependant compromettre ces succès majeurs.

De nombreuses difficultés sont en effet à déplorer depuis le début des discussions sur ces deux projets, et sur d'autres, qu'il s'agisse du partage des tâches entre nations, du partage industriel, du rythme auquel devraient évoluer les projets, des droits de propriété intellectuelle ou des conditions d'exportation.

Or, l'accélération des bouleversements stratégiques ne permet pas de surseoir plus longtemps au lancement de programmes qui n'aboutiront que dans les vingt prochaines années ou de cultiver des divergences qui nous éloignent d'un objectif pourtant partagé. Chaque jour sans compromis affaiblit l'Europe et accentue les risques qui pèseront sur ceux qui devront la défendre demain. S'il est une illusion dont il faut se défaire, c'est celle que les deux nations ont encore le temps de tergiverser.

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Commentaires 22
à écrit le 27/03/2021 à 19:41
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Notre intérêt est plutôt me semble-t-il de collaborer avec UK dans le domaine de l'Armement compte tenu des moyens déployés et des expertises en présence...

à écrit le 27/03/2021 à 16:11
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Les allemands jouent triple jeux avec vous avec des chinois et les americains. Les espions allemands n'ont pas aucun travail en France.

à écrit le 27/03/2021 à 12:27
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Regardez tous les anciens traités fait avec l'Allemagne et combien ont été trahis ? on ne peut pas se projeter sur un long terme avec eux . On peut les aimer , mais être vigilant car il peuvent changer d'avis selon leurs intérêts , faut regarder l'hi...

à écrit le 27/03/2021 à 11:12
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Il est malheureux que la députées en charge de la défense des intérêts français si peu consciente de ce que sont ces intérêts… Qu’elle vente la signature du traité d’Aix-la-Chapelle, via lequel la France s’engage à défendre les intérêts diplomatiques...

à écrit le 26/03/2021 à 15:30
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Les problèmes de l'Allemagne est que sa jeunesse est pauvre et malheureuse , elle ne bénéfécie pas de l'argent accumulée de ces grands lideurs du marché . C'est une société complètement éclatée au milieu de migrants qui ne cessent d'arriver et fini...

à écrit le 25/03/2021 à 22:52
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À peut près toutes les déclarations de cette dame sont erronées La principale étant que l'Allemagne nous laisse nous débrouiller au Mali contrairement à ce qu'elle affirme

à écrit le 25/03/2021 à 22:10
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Complètement à côté de la plaque. Savoir que cette femme est présidente de la commission de la défense nationale et des forces armées de l'Assemblée nationale est juste affligeant et en dit long sur les soumissions à venir sur TOUTES les coopérations...

le 26/03/2021 à 5:21
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Bravo, votre lucidité fait plaisir à lire...

à écrit le 25/03/2021 à 17:23
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Toujours dans le fantasme du couple franco allemand de nos élites bien pensantes!

à écrit le 25/03/2021 à 16:33
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Elle devrait retirer ses lunettes en peau de saucisson. Si l'Allemagne avait voulu aller au Sahel cela se saurait depuis longtemps. Encore une qui crache en l'air et qui croit qu'il pleut. D'autre part la "couple" franco allemand n'est qu'une vaste ...

à écrit le 25/03/2021 à 14:45
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On attend encore de voir des soldats allemands combattre avec les soldats français au Mali. Actuellement, les allemands ne participent qu'à la formation de soldats locaux et à des projets de développement. C'est très bien mais ça serait inutile si la...

à écrit le 25/03/2021 à 14:01
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Tribune assez consternante. Des constats bateaux, l'appel encore et encore à des "compromis" qui ne sont rien d'autre que des abandons de souveraineté, et pas n'importe lesquels puisqu'il s'agit de la défense nationale, du futur porteur de notre diss...

à écrit le 25/03/2021 à 13:17
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C'est louable et très politiquement correct (de ce côté-ci du Rhin) de vouloir sauver la coopération franco-allemande en matière de défense. Mais ces propos ressemblent hélas à des vœux pieux. Pour coopérer il faut des bases communes, un socle minim...

à écrit le 25/03/2021 à 12:50
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Ce travail a le mérite de mettre noir sur blanc ce que nous savons tous. C’est une excellente synthèse de ce que devrait faire l’Europe - et cela met en filigrane tant la problématique d’une Europe à plusieurs vitesses mais aussi vers plus de « sinc...

à écrit le 25/03/2021 à 12:00
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Ebloui par la qualité de la synthèse de Mme Dumas qui clairement a une compréhension de ce domaine tellement en avance sur nous qu'elle voit, là ou l’Allemagne nous roule dans la farine, des opportunité pour la France! Les français se font systémati...

à écrit le 25/03/2021 à 11:48
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C’est surprenant qu’une personne ayant une licence AES (économie et social) et un diplôme d’État d’assistant de service social, ayant fait l’essentiel de sa carrière dans le domaine social et l’habitat avant d’être élue députée en 2012 (wikipédia) s...

à écrit le 25/03/2021 à 10:36
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Merci : ça ne cache pas les difficultés, mais on est loin de la rhétorique d'un autre âge des salons parisiens, et leurs pseudos groupe de réflexion Mars, Vauban (vraisemblablement les mêmes) et le tutti quanti. L'Europe est bordélique, c'est vrai, ...

le 25/03/2021 à 11:20
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Restez avec vos œillères... L'Europe n'est pas notre pays. L'Allemagne est le pays des Allemands, la France est le pays des Français. Mais pas l'Europe. L'actuelle Europe est une agglomération d'intérêts nationaux et mercantiles. Et cela s'arrête là....

le 25/03/2021 à 14:08
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1. Je ne savais pas que l'Europe était mon pays. Lorsque j'ai voté aux dernières présidentielles, il me semble que j'ai voté pour élire le Président de la République Française. 2. Je ne savais pas que l'Europe se résumait à la France et à l'Allemagn...

à écrit le 25/03/2021 à 9:10
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Le risque de déclassement c'est le constat. Mais la solution actuelle poussée par les allemands, c'est la dilution des avancées technologiques de ses partenaires dans la BITD allemande, et non pas la promotion des leaders européens dans leurs domain...

à écrit le 25/03/2021 à 9:10
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ceci est faut ce sont les dirigeants francais qui eux seul ont besoin de l'allemagne pas le peule de france donner simplement des usine aux francais et vous un rendement supérieur mais le problème est que nos politiciens ne pense que taxes et ...

à écrit le 25/03/2021 à 8:38
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Le bla-bla habituel des idolâtres du couples franco-allemand, en particulier dans le domaine militaire ou les besoins capacitaires sont différents. Si trouver un compromis signifie livrer aux allemands nos technologies militaires, non merci Madame.

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