Le cloud de confiance ou la mort du Souverain

Le cloud de confiance est ce que la chaise électrique est à la chaise, inutile débranchée, mortelle connectée. La multiplication des prises de position, qu'elles soient gouvernementales, de pays amis, adversaires, de grands industriels, ou de plus petits acteurs, sur le sujet du cloud, passe sous silence la question de la définition même de la souveraineté. Par Marc Sztulman, conseiller régional d’Occitanie, délégué au numérique pour tous, président de CyberOcc.
(Crédits : DR)

Reconnaissons que nous nous sommes tant appuyés sur le principe de souveraineté qu'il a fini par céder. Aujourd'hui ce mot-valise, ce label, privé de toute consistance, est utilisé par le pouvoir central au gré des modes, pour justifier tout et surtout son contraire. Le passage du cloud souverain au cloud de confiance traduit déjà une éclipse de notre tissu industriel. Là où la souveraineté s'impose, la confiance se négocie. La confiance est un sentiment, là où la souveraineté est la garantie des libertés. Pourtant, la question fondamentale n'est jamais posée, comme le remarquait Jean de la Fontaine, si la confiance est « un sentiment fort honorable en soi, que vaut-il face à des ennemis sans foi ?  »

Concernant la souveraineté, de Jean Bodin à Giorgio Agamben nombreux ont été les penseurs à s'y intéresser, avec une seule constante : la souveraineté ne se morcelle pas, il n'existe guère de souveraineté relative, ou de souveraineté négociée, la souveraineté n'est limitée que par la souveraineté des autres États. Ce que nous perdons en souveraineté, un autre État le gagne ; c'est un jeu à somme nulle. Cet élément structurant de la définition de la souveraineté se trouve pourtant nié dans le débat actuel sur le cloud souverain, de confiance, le qualificatif importe peu, car en substance l'idée est toujours la même : nous pouvons construire notre souveraineté en utilisant des briques technologiques soumises à d'autres souverainetés.

Accroître la souveraineté des pays « amis ».

Or, si cela peut se révéler utile, ou nécessaire dans une vision éphémère et mercantile, cela conduit non à défendre notre souveraineté, mais immanquablement à accroître la souveraineté des pays « amis ».

Quant aux garanties juridiques, éphémères garde-fous du moment, elles paraissent bien illusoires, notamment face au risque permanent de revirements de jurisprudences, ou de nouveaux décrets ou « acts » pris au gré des changements d'administration.

Cela est d'autant plus prégnant dans des pays où l'effet extraterritorial des normes est a minima une arme juridique, quand elle n'est pas économique.

La « bienveillance » récente du gouvernement Biden n'est pas inscrite dans le marbre et continue de soumettre nos compatriotes à une instance d'un autre pays, c'est-à-dire d'une autre souveraineté. Si aujourd'hui nous sommes alliés avec ce pays, il est fort probable qu'à terme, les principaux pourvoyeurs de solutions cloud n'aient pas la même conception des droits de l'homme que les pays occidentaux. Rappelons-nous l'avertissement de Walter Benjamin : celui qui est souverain détient le pouvoir d'exception, celui de ne pas appliquer les règles juridiques. Dès lors, opposer des garanties juridiques à la souveraineté des États est probablement une expérience de pensée satisfaisante, mais ne peut tenir lieu de politiques de développement numérique et économique.

Explosion des coûts à service constant

Au début des années 2000, la bataille des tenants d'une informatique libre, portait sur l'ouverture des formats de fichiers, et la rétrocompatibilité au sein d'un même logiciel, aujourd'hui, ces mêmes entreprises, ont perdu cette bataille, mais s'apprêtent à gagner la guerre. Désormais peu importe quel logiciel nous utilisons si nos données sont stockées chez eux et soumises à leur bon vouloir, qu'il soit tarifaire ou relatif aux modalités d'accès ou d'exploitation.

À titre d'illustration, les augmentations à deux chiffres, envisagées par certains GAFAM dans leurs relations avec les collectivités territoriales, laissent clairement entrevoir une explosion des coûts à service constant. La dépendance économique a cédé le pas à la servilité numérique.

La saine gestion des deniers publics se concilie péniblement avec des pratiques commerciales consistant à obtenir des marchés en proposant la solution économiquement la plus avantageuse, à prix coûtant, pour renégocier de manière agressive le prix des prestations, une fois les concurrents évincés.

Des clauses de souveraineté numériques dans les marchés publics et privés

Au nom d'un culte dédié au changement et d'une vision dévoyée de la modernité, nous acceptons de louer nos stylos, et entreposons notre Histoire dans les archives des autres. Face à cet état de fait, nous devons retrouver de la profondeur stratégique, nous devons réfléchir à nos pratiques, et au juste usage des technologies. Le numérique responsable est peut-être la première réponse, qui est tout autant une réponse à la crise environnementale qu'à celle de la souveraineté.

Pour renforcer notre souveraineté, nous devrions pouvoir mettre en œuvre des clauses de souveraineté numériques dans les marchés qu'ils soient publics ou privés, notre investissement doit représenter plus que la consommation de services numériques, il doit être un accélérateur de développement des solutions nationales ou européennes.

L'alternative n'est alors plus le modèle « amish » ou Startup Nation, Ludiste ou digitale native. Elle est un choix de société : Nourrir une certaine conception de nous-mêmes ou nos libertés, fussent-elles numériques, ne sont pas solubles dans la souveraineté des autres

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Commentaire 1
à écrit le 20/11/2022 à 18:57
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"La sobriété et la résilience" nous porte a croire que le numérique est une fausse notion du "progrès", mais un bon moyen de contrôle des populations !

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