Le retour à Genève d'Alexandre Djouhri

POLITISCOPE. Mis en examen pour neuf chefs d'inculpation, l'intermédiaire Alexandre Djouhri, arrêté à Londres en janvier 2018, extradé en France début 2020, coule désormais des jours tranquilles en toute discrétion à Genève. Et préparerait, dit-on, son retour dans le Paris des affaires...
(Crédits : Reuters)

En janvier 2018, l'homme d'affaires Alexandre Djouhri, alors affublé de plusieurs mandats d'arrêt, avait été arrêté à Londres à sa descente d'avion. Le mystérieux intermédiaire au coeur de la vie politique française depuis une trentaine d'années venait tout juste de Genève, et il narguait alors la justice française qui souhaitait l'auditionner dans le cadre du dossier sur le présumé financement libyen de la campagne de Nicolas Sarkozy. À l'époque, la nouvelle avait provoqué une déflagration. Après plusieurs jours de prison, l'homme s'était retrouvé assigné à résidence dans un beau quartier de la capitale anglaise. Dans ce contexte pour le moins troublé, plusieurs de ses amis français avaient tout de même fait le voyage à Londres en prenant ensemble l'Eurostar pour lui fêter son anniversaire.

Au sein de cette étrange délégation, on y trouvait notamment l'ancien Premier ministre Dominique de Villepin. Pour Djouhri, l'heure n'était pourtant pas à la fête. À Paris, le juge d'instruction Serge Tournaire l'attendait de pied ferme pour être interrogé. Après de longs mois de bataille juridique, l'homme finit par être extradé en France début 2020. Entre temps, Djouhri commença à apparaitre dans les médias. Interview à France 3, au Nouvel Obs... L'opération visait à améliorer son image. En privé, l'homme annonçait vouloir se défendre, assurant que le dossier était vide. « La vérité est en marche », promettait-il alors.

En avril 2020, quelques heures avant l'établissement du premier confinement, l'homme commença à reprendre espoir : alors qu'il était incarcéré à la prison de Fresnes depuis son retour en France, la justice décida finalement de le sortir de là, en le mettant discrètement sous contrôle judiciaire, pour raisons médicales. Équipé d'un bracelet électronique, il s'installa alors dans un appartement du XVIe arrondissement tout près de l'avenue George V. L'impatience le guettait pourtant. Les visites étaient rares, alors que les sollicitations des juges ayant repris le dossier nombreuses. Certains amis n'étaient plus là, d'autres restaient fidèles. En septembre, nouvelle alerte, la justice souhaitait le remettre de nouveau en prison. Ses avocats réussirent néanmoins à gagner du temps, malgré l'appel du Parquet National Financier.

Un "deal" judiciaire ?

En cet automne, l'attention médiatique se focalise désormais sur Nicolas Sarkozy et son show au « procès des écoutes ». Au même moment, le calendrier judiciaire s'accélère. Dans le fameux dossier sur le financement libyen présumé, plusieurs figures de la droite françaises sont mis en examen, pour « association de malfaiteurs »... Claude Guéant, Brice Hortefeux, Thierry Gaubert... et Nicolas Sarkozy. Une première pour un ancien président de la République sous la Vème République ! Ce dernier se défend pourtant comme un beau diable, s'emporte devant Ruth Elkrief de BFM TV, ses soutiens assurent à bas bruit qu'il pourrait même revenir au devant de la scène politique pour 2022. À droite pourtant, la sauce a du mal à reprendre, malgré les succès à répétition de l'intéressé en librairies. Au sein du tribunal, les réflexes de l'avocat Sarkozy font mouche devant la presse.

En attendant que le temps politique ne reprenne ses droits, les articles s'enchaînent, et certains s'amusent à compter les points entre les enquêteurs de Mediapart et le Journal du Dimanche. Et voilà qu'un premier coup de théâtre nous vient du Liban. Là-bas, l'intermédiaire et homme d'affaires franco libanais Ziad Takieddine, autre personnage clé du dossier libyen, revient contre toute attente sur ses déclarations mettant en cause Nicolas Sarkozy. Quelques jours plus tard, le 4 décembre, nouvelle surprise, Takieddine, qui faisait l'objet d'une notice rouge à Interpol (un mandat d'arrêt international), est finalement arrêté à Beyrouth, alors qu'il est toujours poursuivi dans deux affaires de financement de campagnes électorales, celle d'Edouard Balladur en 1995 et celle de Nicolas Sarkozy en 2007.

Coïncidence ? Au même moment, le bruit court dans quelques cercles initiés à Paris qu'Alexandre Djouhri, présenté comme un acteur central du dossier libyen, est désormais libre de ses mouvements. Face à nos questions insistantes, l'embarras du Parquet National Financier est palpable. « Je ne suis pas en mesure de communiquer à ce propos », nous répond une magistrate. De leur côté, les avocats parisiens d'Alexandre Djouhri restent muets comme des tombes. Le bruit court, et les questions s'accumulent : « S'agit-il d'un deal ? », se demande un observateur informé. « Cela n'existe pas dans la justice française, le PNF a manifestement été contourné », rétorque un autre.

En réalité, Djouhri, libéré désormais de tout bracelet électronique (car son assignation à résidence a été levée), a déjà rejoint Genève en toute discrétion. À l'annonce du retour d'Alexandre Djouhri dans la cité helvétique sur Twitter, le PNF est finalement obligé de sortir de sa réserve, en rappelant que l'intéressé reste toutefois sous contrôle judiciaire (mais comment peut-il être effectif à Genève ?), et mis en examen pour neuf chefs d'inculpation, dont « corruption active » ou « complicité et recel de détournements de fonds publics ». La presse reste étrangement silencieuse. À Genève pourtant, l'homme d'affaires semble déjà avoir tourné la page, en multipliant les rendez-vous au vu et au su de tous à l'hôtel Four Seasons, situé sur les bords du Lac Léman. « Alexandre est en pleine forme ! » se réjouit l'un de ses proches, qui ajoute, sous forme d'avertissement : « Et il conserve de solides soutiens en Algérie ! » Comme un retour aux sources.

L'avenir ne dit pas si Alexandre Djouhri retrouvera sa place dans le Paris des affaires dans les prochains mois. Chez Veolia par exemple, certains se félicitaient il y a encore quelques jours de constater une « dédjouhrisation ». Les grandes manoeuvres capitalistiques actuellement en cours sur la place de Paris, et concernant de nombreux secteurs stratégiques (notamment dans l'énergie), pourraient donc réserver son lot de nouvelles surprises et de coups de théâtre. Mieux qu'une saison d'House of cards.

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Commentaires 2
à écrit le 20/12/2020 à 13:13
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La Justice française a fait des pieds et des mains pour le récupérer afin de l’entendre et à ce jour il est en Suisse. Par quel miracle alors que Mediapart est sur sa piste depuis longtemps.

à écrit le 18/12/2020 à 15:39
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On dirait bien d'ailleurs qu'il a fait de la chirurgie esthétique mais si c'est ça c'est sûr en ce qui le concerne lui, c'est pas par vanité. ^^

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