Libre-échange ou santé, il faut choisir

OPINION. Le modèle de la direction générale de l'armement doit être dupliqué dans le domaine de la santé. Car la crise du Covid-19 a révélé au grand jour les failles de la mondialisation de l'industrie française et européenne de la santé. En conséquence, les pays ont complètement failli dans la gestion de cette crise majeure. Par Philippe Roger, ingénieur général de l’armement (2S).
Philippe Roger, ingénieur général de l’armement (2S)
Philippe Roger, ingénieur général de l’armement (2S) (Crédits : DR)

Aujourd'hui, nos praticiens sont au feu, héroïques comme les Poilus en août 1914. Cette année-là, la France mobilise parfaitement ; mais très rapidement, les Poilus manquent de munitions. On sonne le tocsin dans l'industrie. On a choisi d'ignorer l'artillerie lourde allemande, les barbelés, les mitrailleuses, on perd 22.000 hommes en une journée ; la doctrine est mauvaise, comme en 1870. On limoge, on se rattrape de justesse. On croit avoir compris. En 1915, la doctrine fautive de l'offensive, incompatible avec les défenses allemandes, est reprise, les pertes sont énormes. C'est la discorde. En 1936 on a oublié nos offensives victorieuses de 1918 à coups de chars et d'avions, on n'a plus le sou, et en 1940 on perd tout, fors l'honneur, et encore.

Ne recommençons pas : après le SRAS, après le COVID-19, il ne suffira pas seulement de limoger. Nos morts nous imposent de revoir notre doctrine, ou plutôt son application sous contrainte budgétaire et sous contrainte des règles du libre-échange. Dans une optique de moyen terme, car la prochaine attaque-surprise est dans trois mois ou dans un an, et de long terme, car il y aura éternellement des pandémies.

Santé : une autonomie nationale suffisante

L'industrie de la santé obéit entièrement aux règles du libre-échange, et, comme on lui achète au prix minimum sans contrainte d'autonomie, sa chaîne de production s'est mondialisée avec les conséquences que l'on voit. Il faut que cela cesse, pour une partie de l'industrie bien délimitée, chargée d'assurer une autonomie nationale suffisante. L'Etat en est le client final, c'est à lui de fixer de nouvelles règles et une nouvelle organisation pour le long terme.

Créons dans l'industrie de santé un sous-ensemble, de taille aussi réduite que possible, assurant l'autonomie nationale, où la Recherche et Développement, les outillages et les stocks sont commandés par l'Etat, client de l'industrie et fournisseur de santé au peuple. Que l'Etat affecte des ingénieurs et administrateurs compétents à la maîtrise d'ouvrage correspondante : faire travailler l'industrie sur des programmes lourds et vitaux qui auront été fixés avec les professionnels de santé, c'est un métier en soi, ce n'est pas celui des professionnels de santé, qui ont autre chose à faire. Une fois créé, ce dispositif permet aussi de cibler d'autres sujets que le libre-échange fait négliger : maladies orphelines, aide massive gratuite à l'Afrique par exemple.

La DGA, un modèle à dupliquer

Comment faire ? Un modèle d'organisation de l'autonomie nationale existe dans tous les pays. Il est fourni par le domaine de l'armement, qui est comme la santé un domaine de vie et de mort, où le seul client est l'Etat. Une industrie, qui n'existerait pas spontanément, est créée, une administration solide finance et dirige les programmes correspondants, qu'elle a définis en fonction des besoins des praticiens, à l'image des officiers des armées. Elle formule une doctrine, la propose au niveau politique, la fait évoluer.

Elle est dirigée par des ingénieurs spécialisés dans l'armement, dont le métier est différent de celui des praticiens. La DGA (direction générale de l'armement) emploie un des corps techniques de l'Etat, celui des ingénieurs de l'armement. Dans tous les pays ce modèle fonctionne, et il est en cours de transposition au niveau européen, pour viser une forme d'autonomie européenne dans la Défense. L'Etat doit rapidement étudier comment la DGA ou la DGE (Direction Générale des Entreprises) peuvent proposer une façon de traiter ce sujet au profit du ministre de la Santé, ou même s'en charger. Ce n'est pas compliqué. Il faut négocier avec l'industrie la délimitation à faire entre ce qui sera mobilisé durablement pour l'autonomie et ce qui continuera à opérer selon les règles de la concurrence.

Puis il faut rapidement adopter un code des marchés ad hoc, et demander à Bruxelles d'adapter les règles qui gouvernent les commandes publiques. Parlons également à l'OMC. Ce sera facile, car Bruxelles a la volonté d'agir, et là encore le précédent de l'armement joue en notre faveur, car les dispositions nécessaires existent pour lui. Mais faisons vite pour revoir notre logiciel : avec le culte exclusif du libre-échange dans le domaine de la santé, avatar du culte du Veau d'Or, on a déjà trop donné.

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Commentaires 5
à écrit le 10/04/2020 à 22:19
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On comprend bien que dans les domaines stratégiques, comme Défense ou Santé, il y a nécessité d'indépendance. Mais quand la branche énergie d'Alstom a été vendue à l' américain GE , certaines pièces essentielles des sous-marins et des centrales nu...

à écrit le 09/04/2020 à 15:11
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Message au cartel financier mondiale : Gagner moins et être humain ou votre destin ?

à écrit le 09/04/2020 à 9:41
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La classe dirigeante nous a imposé le libre échange parce que lui permettant de gagner toujours plus toujours plus vite, elle a donc choisi depuis belle lurette de guider l'humanité contre un mur. Et ça fait belle lurette que des milliers d'exper...

à écrit le 09/04/2020 à 9:38
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Mieux coordonner l'industrie de santé au niveau européen, bien sur, il y a un énorme travail à faire, au même titre que développer les programmes d'armement entre différentes nations ( SCAF, Char Franco-allemand, Frégates FREMM....). Le marché Europé...

le 10/04/2020 à 15:57
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La CE réagit bien puisqu'elle vient d'autoriser une exception aux règles de mise en concurrence pour les produits et matériels de santé, ce qui permet aux Etats d'accélérer leurs achats; mais, pour qu'il y ait une industrie autonome, il faut aussi in...

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