Loi AGEC et matériel informatique reconditionné  : le dilemme de la commande publique

OPINION. La loi AGEC fera du secteur public l'un des acheteurs majeurs de matériel informatique reconditionné. Si la filière du reconditionnement salue cette ambition, elle déplore le caractère insuffisamment abouti de cette loi au regard de la structuration actuelle de la filière française et des besoins réels du marché. Confrontée à une problématique de sourcing, elle risque de ne pas pouvoir répondre à la demande engendrée par la loi AGEC. Par Julien Taieb, directeur commercial du Groupe ATF
(Crédits : DR)

De nombreuses idées reçues pèsent encore sur le matériel informatique reconditionné, constituant des freins à l'achat pour les organisations, qu'elles soient publiques ou privées. En imposant aux acteurs publics un minimum de 20 % du volume annuel total de la dépense HT en matériel informatique, la loi AGEC est censée contribuer à modifier les pratiques et à faire du secteur public un acteur majeur de l'économie circulaire. Mais dans les faits, l'application de cette loi risque d'être contrariée par la réalité de la filière du matériel informatique reconditionné en France.

L'épineuse question de l'homogénéité des parcs informatiques

La loi AGEC ouvre aux acteurs de la filière du matériel informatique reconditionné de gros volumes de commandes. Ce qui pourrait être considéré comme une opportunité représente en réalité un défi majeur à relever, en termes de volumes et d'homogénéité des parcs informatiques.

Confrontés à des problèmes de sourcing, les acteurs du matériel informatique reconditionné, notamment locaux, n'auront pas toujours les volumes suffisants pour répondre aux plus grosses consultations publiques, et pour satisfaire les demandes d'homogénéité des parcs informatiques. Les acheteurs exigent en effet un matériel homogène pour ne pas avoir à réaliser eux-mêmes le mastering.

Ces acteurs du reconditionné de proximité peuvent répondre à cette demande jusqu'à quelques centaines de pièces identiques (toujours en fonction du sourcing). Mais au-delà, il devient très difficile (voire impossible) pour eux de proposer un parc homogène. Certains acheteurs publics, et tout particulièrement les plus importants d'entre eux, pourraient même utiliser cette question de l'homogénéité des parcs informatiques pour justifier le fait de contourner la loi AGEC.

Un risque d'autocensure au profit des grands constructeurs étrangers

De leur côté, les grands constructeurs ont déjà mis en place des programmes dédiés au reconditionnement de leur matériel, et sont plus à même de répondre à de gros volumes de commandes et aux demandes d'homogénéité du matériel. Problème : leurs usines de reconditionnement sont au mieux situées en Europe, et au pire, hors des frontières européennes. Elles sont, dans tous les cas, situées hors du territoire français.

La loi risque donc de privilégier les gros constructeurs, plus à même de répondre aux marchés portant sur de grosses quantités, quand, de leur côté, les structures locales de l'économie circulaire vont être tentées de s'autocensurer et de ne pas répondre aux appels d'offres lancés, par manque de matériel à proposer.

Durée de détention du matériel informatique : halte aux idées reçues !

La durée de rétention du matériel informatique dans le secteur public est problématique pour la structuration de la filière du reconditionné. Il n'est pas rare que le secteur public garde son matériel 6, 8 voire 10 ans. Loin d'être une solution économique et écologique, garder du matériel aussi longtemps représente un coût important, d'ailleurs souvent méconnu : consommation d'énergie, coût de la maintenance, problème d'accès à certains composants, etc.

En d'autre termes, le coût global de gestion de PC vieillissants (et non reconditionnés au cours de leur vie) est élevé. Un vrai travail de fond est donc à mener auprès des acheteurs publics sur cette question. En outre, réduire le délai de renouvellement du parc informatique permettrait de remettre sur le marché français de nouveaux matériels et répondre ainsi aux problématiques de sourcing rencontrées par les acteurs du reconditionnement.

Imposer le reconditionnement en France ?

Si l'intention globale est bonne, l'une des lacunes de la loi AGEC est de ne pas imposer de critère local. Envoyer du matériel informatique à l'étranger pour le reconditionner, comme le font les principaux constructeurs, n'a pas vraiment de sens d'un point de vue environnemental et sociétal, surtout lorsqu'une filière du reconditionnement en local existe.

La loi devrait-elle imposer le maintien du matériel en France, pour que le reconditionnement soit effectué sur le territoire ? Peut-être. Une telle mesure permettrait aux acteurs du reconditionné en France d'alimenter la demande créée par la loi AGEC, avec un meilleur bilan carbone et la création d'emplois en France.

Mais au-delà d'une éventuelle obligation légale, ce sont surtout les acheteurs qui ont leur rôle à jouer pour aller dans l'esprit de la loi, en favorisant les structures de l'économie sociale et solidaire, et en valorisant les acteurs locaux du reconditionné. Sans critère local, les acheteurs publics risquent d'acheter du matériel informatique reconditionné à l'étranger, annihilant, de fait, les bénéfices environnementaux pourtant promus par la loi AGEC.

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Commentaires 2
à écrit le 06/03/2023 à 10:59
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Je serai curieux de voir comment le fait de réduire la durée de renouvellement va réduire l'impact ! - Réduire la consommation électrique ? Si la machine est reconditionnée pour être réutilisée, aucun impact. - coût de la maintenance ? Si on met en...

à écrit le 03/11/2022 à 18:00
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Merci pour cet article qui permet de mettre le doigt sur un sujet particulièrement important celui de la stratégie achat à mettre en œuvre pour acquérir des matériels informatiques reconditionnés. Stratégie qui de manière générale est très peu dévelo...

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