Loi renseignement : le dernier suicide de la gauche française

Avec la loi sur le renseignement, votée par 438 voix contre 89, on se dit qu’on se prend une nouvelle loi au moins aussi protectrice des libertés que le Patriot Act. Mais c’est un peu plus que ça. Ce n’est pas juste une loi liberticide, ce n’est pas juste la banalisation de la surveillance de masse, ce n’est pas juste le hara-kiri de la gauche au pouvoir. Et si c’était l’aube d’un sursaut citoyen ?
Diana Filippova, OuiShare Connector | OuiShare Fest 2015 Program Chair.

Le bouclier de la gauche, ces circonstances exceptionnelles qui justifieraient cette loi, est de mauvaise foi. Qu'on remonte le temps et qu'on pense un peu à la LPM et la loi anti-terroriste : cette loi Surveillance de Masse apparaît tout de suite moins dictée par la situation.

Puis de loi, il en fallait bien une depuis le temps qu'on l'attendait. On sait tous que Charlie n'est que la noix de beurre qui a servi à nous la faire passer sans débat public et sans trop s'encombrer de garanties, certainement pas la cause première. On sait bien que les dossiers « surveillance » et « terrorisme » ont été repris tels quels par la gauche à son arrivée au pouvoir en 2012. Sans rechigner. Naturellement.

Mais là n'est pas la question. Le problème, c'est la légèreté, le naturel, l'aisance qui ont accompagné l'adoption des idées autoritaires et sécuritaires par un gouvernement et un parlement qui se disent de gauche. C'est-à-dire par ceux qui sont censés, en théorie du moins, historiquement du moins, en avoir quelque chose à fouetter de nos libertés.

Ce n'est pas anodin.

L' « ennemi » a bon dos

Quand j'ai vu la gauche arriver dans les palais républicains en 2012, je me suis dit : "ça y est, au moins ça, c'est fini, les Hadopi, les lois d'urgence, les lois de circonstance, les lois pour faire plaisir aux électeurs FN et pour agiter la peur de l'insécurité partout et tout le temps faute d'idées politiques plus profondes". Je n'étais pas la seule. Franchement, on se disait bien qu'ils n'allaient pas s'en tirer avec leurs promesses multicolores, la croissance et le chômage et le reste, mais Internet, la justice et les libertés, ça ne pouvait pas être pire que ce qu'on se prenait dans les dents depuis quelques années.

Là où j'ai entendu mes oreilles siffler, c'est quand des gens qui se disaient de gauche ont commencé à chanter les dithyrambes de la Sécurité et de Ordre et de l'Autorité - et, en ce qui concerne Urvoas et Valls, avec une conviction à toute épreuve, chapeau bas, Messieurs ! Les mêmes qui ont, depuis qu'ils sont au pouvoir, accueilli à bras ouverts les pratiques de surveillance les plus ignobles et qui font tout depuis pour que ces pratiques deviennent légales tout en n'étant pas excessivement contrôlées par ces légalistes pointilleux de juges.

Qui se disent de gauche et qui glorifient avec une sincérité désarmante le devoir de l'Etat de nous protéger contre nos propres conneries et, surtout, surtout, surtout, éviter les éternels débordements à l'extrême droite.

La ligne politique qui, faute de mieux, se bâtit en urgence sur les dépouilles des victimes malheureuses de l'Ennemi Extérieur, elle date pas d'hier. D'ailleurs, si l'Ennemi Extérieur est aussi un peu camouflé en Ennemi de l'Intérieur, c'est encore mieux.

Mais, traditionnellement, c'était plutôt de la politique conservatrice, un marqueur propre à la droite. Plus maintenant, on dirait.

Depuis Charlie, ça n'arrête plus. En mode décomplexé, comme dirait l'autre. À peine les corps refroidis, à peine l'émotion du peuple contenue, les petites gens au pouvoir s'agitaient déjà dans les couloirs pour trouver le meilleur moyen de se goinfrer sur le dos d'une Union Nationale qu'aucune de leur politique n'a jamais réussi à éveiller, de près ou de loin. « Chic ! s'exclament les premiers, on va nous foutre la paix avec la courbe du chômage et la croissance pendant belle lurette !

- Profitons-en, chuchotent d'autres à l'oreille des puissants, tu peux de nouveau agiter la menace de l'extrême droite et du repli identitaire ! La Défense, et l'Intérieur se pressent à la porte de Bercy, le fusil à l'épaule et le sourire aux lèvres .  Enfin une belle perspective de hausse budgétaire ! »

Au prix des politiques sociales, ces terrains de jeux privilégiés de la gauche ? Mais qui pense encore à l'éducation nationale et au trou de la sécu ? La Sécurité nationale est tout !

Vite, profiter à tout prix de cet état de grâce qui fait oublier les échecs électoraux, le vide idéologique abyssal, la déconnexion du réel. Faire comme si l'échec de la gauche à rester fidèle aux valeurs de gauche  -  solidarité, inclusion, diversité, libertés - n'avait pas largement contribué à monter le spectacle navrant auquel nous assistons.

Comme dans l'Amérique post-11 Septembre, la tentation irrésistible d'un Patriot-Act-Qui-Règle-Tous-Nos-Problèmes a rapidement supplanté le deuil dans la bouche de ceux qui sont au pouvoir. Par pragmatisme, disent-ils, par éthique de responsabilité. Par cynisme et opportunisme, dirais-je plutôt.

Le double langage élevé au rang d'art

Voilà, son vrai visage, à la loi sur le renseignement. C'est le reflet en filigrane de la figure fripée d'une vieille sorcière qui n'essaie même plus de se faire passer pour une fée. C'est la grimace d'un ancien parti de gauche qui a sciemment abandonné tous les principes humanistes, l'un après l'autre, sans une larme de regret, sans un regard en arrière.

Le haussement d'épaules d'un gouvernement qui essaie toujours d'enfermer le réel  - notre réel  - dans une série de boîtes fabriquées à la chaîne par des bureaucrates ectoplasmiques. Le timbre impertinent de ceux qui osent utiliser une sémantique de gauche pour qualifier des actions contraires à ses valeurs les plus fondamentales. La traînée de boue de cette pensée magique prête à tout pour maintenir l'illusion que les promesses sont tenues.

Loin d'être une dérive malheureuse d'une gauche au pouvoir prise de court par les circonstances exceptionnelles d'une attaque meurtrière, cette loi n'est qu'un chaînon de plus dans sa dérive vers une vision du monde qui repose sur le contrôle, la suspicion et la surveillance des gouvernés par les gouvernants. Misère de l'étatisme.

Pas par conviction, pas par machiavélisme, mais par raidissement réactionnaire qui puise son jus dans l'effroi devant son impuissance à mettre un terme à son propre délitement.

Un contre-pouvoir citoyen pour défendre les libertés ... et au-delà

La mauvaise nouvelle, c'est qu'on s'est fait manipuler comme des gamins. Que l'Union Nationale ait été in fine celle de l'Ordre et de la Sécurité, que la gauche soit la fossoyeuse de notre liberté, c'est une calamité pour nous tous parce que dans un système bipartite, l'idéal - en principe - c'est qu'au moins l'un des deux partis défende la liberté et le progrès au détriment de la sécurité et de la réaction.

Que les deux principaux partis républicains aient expédié au diable toutes ces questions, c'est qu'on n'a plus aucune marge de manœuvre pour espérer le triomphe d'autres valeurs que la trouille et le repli sur soi.

Du coup, forcément, dans un monde où ni la gauche ni la droite n'en ont plus rien à faire de nos droits individuels et collectifs, notamment le droit d'être protégé contre la violence de l'Etat, la défense des libertés s'extrait bon an mal an du jeu politique et institutionnel et revient aux mains des citoyens.

Ça va plus loin qu'une simple opposition. Il suffit d'observer un moment le caractère massif des mouvements de protestation contre la loi renseignement, du PiPhone de la Quadrature aux pétitions, en passant par la War Room organisée par les associations opposantes, les Six Heures contre la Surveillance de Mediapart et la manifestation du 4 mai.

La bonne nouvelle, donc, c'est que nous sommes encore capables de nous organiser en contre-pouvoir, lorsque qu'aucun mécanisme institutionnel ou politique ne peut plus nous protéger contre le passage en force de lois scélérates. Un contre-pouvoir qui apprend de ses erreurs, tant la mobilisation contre la loi renseignement est mieux organisée que celle contre la LPM.

Et quoi qu'on en pense, quels que soient l'allégeance ou le nihilisme politique des uns et des autres, qu'on soit pour ou contre cette loi, il faut se rendre à l'évidence : on en a cruellement besoin, de ce contre-pouvoir, pour mettre un coup d'arrêt à la fuite en avant de tous les partis historiques, de tous ceux qui gouvernent, vers le même horizon très peu ragoûtant.

Contre la verticalité du pouvoir, un mouvement 15-M en France ?

Voilà ce qu'il dit en substance, ce contre-pouvoir.

D'abord, c'est ainsi et pas autrement : celui qui se dit qu'il pourrait bien foutre en l'air un peu de ses droits pour avoir le derrière au chaud, le seul truc qu'il mérite c'est les menottes aux poignets et le cadenas aux dents. La loi renseignement, c'est prendre Charlie par la main et le conduire à l'échafaud après l'avoir extrait du bagne ennemi.

Le contre-pouvoir se place résolument du côté des libertés, de la neutralité du Net, des mouvements par le bas et du contrôle drastique de toute procédure d'exception, même si cela signifie qu'on est un peu plus vulnérable.

Et de deux. La sécurité et la menace à la nation comme seul projet politique, ça ne passera pas. Se planquer derrière l'Ennemi pour continuer à diriger ce pays comme des manches, faire passer une bravade pour du courage politique, ça ne passera pas non plus. En tout cas, pas dans un silence imbécile qu'on espère en haut lieu.

Et de trois. Il s'est passé bien des choses dans la société civile, faute d'idées nouvelles dans les institutions et les partis. La mobilisation contre la loi est en effet un pur produit de la montée en puissance d'un activisme citoyen, apte à mener des opérations coup de poing qui ratissent large. Ces activistes, ils croient encore que les libertés, la solidarité, la confiance et l'éducation sont les meilleures armes possibles contre le désordre global. Ils croient qu'il faut jouer avec les citoyens et pas contre eux.

Si l'opposition à la loi renseignement en a été la cristallisation, ces valeurs ont une portée pratique au-delà des arbitrages que nous sommes prêts  -  ou non  -  à faire au nom de la sécurité. L'Espagne a eu les Indignés contre la corruption politique, les États-Unis ont eu Occupy contre la toute-puissance de la finance, la France aura-t-elle son Mouvement du 5 mai contre la verticalité du pouvoir et la surveillance de masse?

Il est maintenant temps de se lever.

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Initialement publié sur le Magazine OuiShare

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Commentaires 32
à écrit le 11/05/2015 à 9:51
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Le pire c'est que personne ne comprend pourquoi ils font cela. Pas même la droite je crois, qui était déjà allée empiéter sur le terrain de thèses extrêmes, avec comme conséquence de servir de marche pied et d’organe de promotion à l’extrême droite....

à écrit le 10/05/2015 à 13:04
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Excellent article.

à écrit le 09/05/2015 à 20:18
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Il faut la voter car il faut l'inverser cette courbe. C'est une promesse de François Hollande. C'est une question de justice sociale dans notre France apaisée, notre France Apartheid et notre France plus forte economiquement.

à écrit le 09/05/2015 à 18:23
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Le socialisme est une forme de suicide. Ceci étant, on devine que les libertés publiques et surtout politiques vont être très réduites maintenant. La France devient une prison misérable entre les mains d'apparatchiks qui vont former une nouvelle nobl...

à écrit le 09/05/2015 à 18:10
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Pourtant comme le PHENIX elle empoisonne l'économie et les Français qui s'en passeraient bien.

à écrit le 09/05/2015 à 14:03
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Droite et gauche, les partis clivants ont été inventés pour diviser les français -comme ailleurs dans le monde- et pour les gouvernements pour s'accorder sur le même programme en reniant leurs promesses dès qu'installés au pouvoir et pour faire la mê...

à écrit le 09/05/2015 à 13:32
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Article très bien fait, et détectant parfaitement la déliquescence politique qui va de pair avec le tout déréglementation économique et sociétal.

à écrit le 09/05/2015 à 12:13
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Et vous ne parlez pas du blocage admistratif !! Maintenant un ministre peut demander le blocage d un site sans l avis d un juge !

à écrit le 09/05/2015 à 11:59
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C'est y pas formidable, nous avons notre STASI, notre NSA, notre Patriot Act ! Je n'ai jamais apprécié les socialistes, pas plus que les paranos de la sécurité, mais alors là...Taisez-vous, méfiez-vous les oreilles ennemies vous écoutent, cela ne rap...

à écrit le 08/05/2015 à 20:52
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les écoutes vont devenir légales quel changement .

à écrit le 08/05/2015 à 20:27
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Ce gouvernement est devenu Stalinien : ça résume tout ce qu'il fait ! Appamée

à écrit le 08/05/2015 à 19:56
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Excellente rédaction. Excellente analyse. N'aurait il pas été possible d'ajouter un volet fiscal ? L'objectif des socialistes n'est pas aussi de prélever le maximum d'argent des Français pour ensuite décider pour eux et les mettre sous tutelle?

le 10/05/2015 à 20:52
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à votre avis, pourquoi limiter les paiements en espèces jusqu'a être obligé de passer par une banque pour effectuer la moindre transaction ? Dans cette loi il est dit : préserver les intérêts économique de la France, vous pouvez en déduire que s...

à écrit le 08/05/2015 à 17:56
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Reste à attendre quelques précisions...mais enfin, quelle est cette République dite "démocratique" où, sans encadrement législatif, des juges ont pu ordonner des écoutes en une avocat et son client et, pire encore, entre un avocat et son bâtonnier. N...

à écrit le 08/05/2015 à 15:54
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On peut aussi mettre des mouchards sur le dos des politiques et on verra ce qu'ils racontent...

à écrit le 07/05/2015 à 20:16
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un plébiscite à gauche et à droite ! il est temps de s'interroger sur la légitimité de nos élus et sur la refonte de nos institutions .

à écrit le 07/05/2015 à 19:54
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Je suis trahis par le PS... j'ai envoyé des mails à mes députés de Loire Atlantique pour rien : cinq mail personnalisés pour chacun d'entre eux, seul Sophie Errante a pris la peine de m'expliquer pourquoi elle a voté Pour cette loi. Le PS n'exi...

le 07/05/2015 à 20:44
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Il était temps de s'en apercevoir ! ça puait l'arnaque depuis les pseudo lois sur la séparation bancaire. ça fait longtemps que je n'attends plus rien du ps ..

à écrit le 07/05/2015 à 19:05
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Cela va de pair avec le vieillissement de la population qui favorise les tendances conservatrices. Quand en plus tous les "leaders" et penseurs laissent fortement à penser que leur visions du monde n'est pas ancrée dans les réalités du terrain mai...

le 07/05/2015 à 19:45
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Elle en met du temps à mourir : c'est bien trop long...

à écrit le 07/05/2015 à 19:00
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"Quand j'ai vu la gauche arriver dans les palais républicains en 2012, je me suis dit : "ça y est, au moins ça, c'est fini, les Hadopi, les lois d'urgence ...". Un peu naïf. Avec la gauche au pouvoir, c'est toujours le même processus: pendant 6 m...

à écrit le 07/05/2015 à 16:25
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N'importe quoi

à écrit le 07/05/2015 à 15:59
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Nous assistons à une attaque en règle sans précédent des libertés individuelles: validation par la justice de la légalité des écoutes dites "du filet dérivant" dans l'affaire Sarko, restriction des possibilités de paiement en liquide et donc de façon...

le 07/05/2015 à 19:11
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Pourquoi l'espionnage que font les industriels à notre dépends vous trouvez ça mieux? Les pub ciblé sur les site internet vous croyez qu'elles sont diffusées au hasard? Moi ils peuvent m'espionner temps qu'ils veulent. Si je ne veux pas qu'ils le fa...

le 08/05/2015 à 9:08
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Vous reprenez l argument gouvernemental. Mais il y a une difference entre google/facebook et l etat ! 1) l etat fait ca avec mon argent, pas facebook 2) si je raconte des conneries a facebook ou je met en oeuvre un dispositif anti facebook (genre ...

le 08/05/2015 à 20:33
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C'est une dérive Totalitaire complète qui est visible sous nos yeux actuellement ! Revenons au principe de base = Séparation des 3 pouvoirs . Il faut créer un pouvoir Judiciaire qui n'existe pas en France , car c'est le vrai contre -pouvoir aux dé...

à écrit le 07/05/2015 à 15:49
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Helas je pense que les francais sont des veaux et que 95 % des gens sont d accord pour se faire espionner. et il ne faut pas oublier que l election (seule chose qui interessent nos politicien se fait grace aux vieux. Et le 3eme age veut de la securit...

le 07/05/2015 à 20:24
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Que les français soient des veaux (ce n''est pas nouveau ,De Gaulle l'a souvent dit ) 0K .Mais il n'y a pas 95% de vieux ,et à 74 ans ,utilisant Internet ,4 heures par jour ,je ne veux pas me faire espionner,non pas pour mes données personnelles mais...

le 08/05/2015 à 9:05
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A 74 vous coryez pas que vous etes une minorite et que la plupart des gens de votre age s interesent absolument pas a ces thematiques Je ne jette pas la pierre qu aux vieux car une grande partie des autres classes d age sont pareil. mais vu que c ...

à écrit le 07/05/2015 à 15:39
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Il ne faut pas trop se faire d'illusions sur la capacité de la population a protester, ou à se révolter contre ce genre de loi, et cela nos gouvernants actuels et les suivants le savent bien. Dormez braves gens, le FN l'avait rêvé, le PS l'a fait.

à écrit le 07/05/2015 à 15:07
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Quand vous dites la gauche française, il s'agit bien entendu de l'umps, puisque tous les députés de "droite" comme de gauche, ont votés cette loi scélérate. Mais chacun sait que l'umps œuvre depuis plus de 40 ans à la ruine de la France, à la perte ...

le 08/05/2015 à 14:13
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comme beaucoup d'autre

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