Meta : une sanction pour le bien collectif ?

OPINION. L'amende de 1,2 milliard d'euros écopée par Meta le 22 mai au titre du RGPD, représente possiblement un tournant dans l'histoire des réseaux sociaux. Les contraintes de la réglementation européenne pourraient pousser Meta à accélérer ses projets de réseaux sociaux décentralisés. (*) Par Jean Cattan, secrétaire général du Conseil national du numérique (CNum).
(Crédits : ARND WIEGMANN)

Le groupe Meta a été condamné cette semaine par la Commission irlandaise de protection des données à payer une amende de 1,2 milliard d'euros pour avoir enfreint les règles européennes sur la protection des données (RGPD). Si la maison mère de Facebook a annoncé en faire appel, cette décision représente possiblement un tournant dans une histoire au très long cours qui dépasse largement le cas de Meta et pourrait nous permettre de reprendre la main sur ces réseaux.

La décision de l'autorité irlandaise est historique d'abord parce qu'elle confirme enfin l'inévitable conclusion des révélations d'Edward Snowden en 2013 : les données des Européens ne peuvent pas être exploitées aux Etats-Unis car toutes les garanties pour les protéger de leur exploitation incontrôlée par les services de renseignement américains ne sont pas réunies. Cette condamnation a donc un impact direct en réalité sur toutes les entreprises qui, à l'instar de Meta, auraient continué à opérer de tels transferts de données depuis l'Europe vers les Etats-Unis. Cette décision peut aussi être historique à un autre titre : elle pourrait accélérer une possible transition des réseaux sociaux vers d'autres modèles, avec un impact saisissant pour les entreprises européennes et pour les citoyens du monde entier.

Quels sont les scénarios qui s'ouvrent à Meta, aux Etats-Unis, à l'Europe, aux entreprises et plus généralement à nous ? Au moins quatre scénarios différents peuvent être envisagés.

Le moins probable : la garantie des droits fondamentaux

Un premier scénario serait que les Etats-Unis mettent en place un dispositif de contrôle de leurs services de renseignement qui soit compatible avec nos principes européens. Un nouvel accord sur le transfert des données pourrait alors être conclu sereinement. Ce serait un progrès pour les droits fondamentaux, qu'il faudrait apprécier avec mesure et précaution, mais un progrès tout de même.

Malheureusement, cela semble assez peu probable aujourd'hui. Si un nouvel accord transatlantique est bien recherché, il ne semble pas qu'il fasse de l'évolution du contrôle sur les services américains de renseignement un inconditionnel assez fort. C'est la raison de l'opposition des parlementaires européens à ce nouveau projet. Mais ne nous privons pas d'espérer que les choses évoluent aux Etats-Unis pour le mieux.

Le moins souhaitable : la fragmentation régionale des réseaux sociaux

Un second scénario, plutôt extrême, serait que le groupe Meta développe un nouveau réseau social européen, indépendant d'Instagram et de Facebook et dont les données européennes ne seraient pas traitées aux Etats-Unis. Cette solution est possible, on le vit bien avec TikTok tous les jours : TikTok est la déclinaison mondiale de la plateforme chinoise Douyin, sans que les deux réseaux sociaux ne soient supposés interagir.

Ce scénario de la fragmentation est donc possible mais peu plausible. Si la Grande Muraille de Chine est une réalité historique, les liens transatlantiques en matière de communications le sont tout autant. Cette solution serait un échec pour nous toutes et tous, une ligne de fracture dans un environnement que nous avons construit pour être ouvert.

Le peu envisageable : le rapatriement des données en Europe

Un troisième scénario serait que le groupe Meta exploite les données des Européens en Europe. C'est une option d'ailleurs envisagée par Max Schrems, à qui nous devons cette croisade juridique contre les accords de transfert de données des Européens aux Etats-Unis. Dans son communiqué suite à la décision irlandaise, celui-ci concluait qu'une "option potentielle serait un réseau social "fédéré", où les données européennes resteraient dans leurs centres de données en Europe, à moins que les utilisateurs ne discutent avec un ami américain, par exemple."

Cela induirait toutefois une importante bascule de l'activité du groupe en Europe et de beaucoup d'autres données que celles des Européens. Ce qui raviverait les investissements en Europe. On pourrait alors imaginer que le RGPD fasse indirectement de l'Europe l'épicentre mondial du traitement des données en imposant les normes les plus contraignantes, à condition que l'Europe ait les reins suffisamment solides. Pourquoi pas, montrons-nous accueillants !

Le plus attirant : la décentralisation des réseaux sociaux

Enfin, un dernier scénario, le plus souhaitable peut-être, prolonge celui esquissé par Max Schrems et rejoint une autre actualité du groupe Meta cette semaine. Une fuite a ainsi révélé que Meta travaillerait sur un réseau social décentralisé intégrant Instagram et un réseau similaire à Twitter. Une telle évolution serait tout à fait remarquable et se ferait très largement au bénéfice des utilisateurs de réseaux sociaux du monde entier.

En poussant la logique à l'extrême, la décentralisation permettrait de réellement reprendre la main sur nos données. Chaque citoyen pourrait gérer ses données personnelles comme il l'entend. Une telle évolution permettrait à tout un chacun de déployer son propre réseau social et de l'interconnecter aux autres réseaux sociaux existants. Tout cela n'est pas un vœu pieux, c'est ce qui existe déjà grâce au protocole ActivityPub sur lequel est fondé le réseau social Mastodon. C'est aussi ce à quoi aspirent de nombreuses personnalités, dont Jack Dorsey, Franck McCourt et bien d'autres.

Ouvrir l'horizon des réseaux sociaux

Si Meta choisissait cette dernière option, à laquelle le groupe semble d'ores et déjà travailler, nous verrions alors une des plus grandes entreprises capitalistiques au monde trouver son salut réglementaire dans un protocole libre, ouvert et supportant une architecture distribuée des réseaux sociaux. A vrai dire, les plus grands réseaux sociaux n'en sortiraient même pas perdants. Penser la décentralisation des réseaux sociaux, c'est penser le renouvellement de modèles économiques aujourd'hui fondés sur la capture de nos attentions, mais qui ne pourront perdurer ainsi bien longtemps.

Ouvrir l'horizon des réseaux sociaux par la décentralisation, c'est enfin imaginer le déploiement d'applications tierces nous permettant de naviguer entre plusieurs réseaux et pouvant intégrer tout une somme de fonctionnalités nouvelles ainsi que des prestations payantes pourquoi pas. Ce retournement de l'histoire, dont tout le monde pourrait sortir gagnant, donne envie d'y croire. En lieu et place de réseaux sociaux centralisés et sous surveillance, nous pourrions alors nous prendre à rêver d'ouverture et de liberté.

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Commentaire 1
à écrit le 27/05/2023 à 9:11
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"nous pourrions alors nous prendre à rêver d'ouverture et de liberté" Sauf que "La société pardonne bien souvent aux criminels, jamais elle ne pardonne aux rêveurs" O. Wilde

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