N’invisibilisons pas la technique, clé de notre renaissance industrielle  !

OPINION. En matière d'investissement industriel, la tendance semble être à la valorisation des actifs techniques et des stratégies business, à défaut d'appréhender la capacité des équipes à créer de la valeur. Pourtant, à l'heure où l'usine évolue vers des écosystèmes toujours plus complexes, c'est justement dans cette création de valeur qu'elle trouvera son salut. Industriels, investisseurs, institutionnels : sauvons le soldat « technique » !  Par David Machenaud, Directeur associé et co-fondateur d'OPEO

Que l'on s'entende : au sein de l'usine, la place donnée à la technique est presque un non-sujet. Celles et ceux qui la font vivre au quotidien sont intrinsèquement conscients de sa fonction essentielle. De même, les champions industriels, de Michelin à JPB système, ont tous magnifié la technique au sein de leur modèle industriel. Or, d'un point de vue extérieur, en particulier pour l'institutionnel qui appuie l'industriel dans son développement, ou l'investisseur qui s'introduit dans l'entreprise avec une approche managériale et comptable, la technique se vaporise trop souvent, comme par (dés) enchantement.

Mais une telle logique engendre des conséquences tangibles. Experts peu écoutés, confusion entre management et expertise, formation des opérateurs négligée, fonctions techniques dépassées, coopération fonctionnelle immature, perte de savoir-faire et de souveraineté... Un épais faisceau d'indices révèle l'invisibilisation de la technique dans notre industrie. Et de celles et ceux qui la font vivre.

Les techniciens de maintenance ? Cantonnés dans leurs ateliers encrassés et non digitalisés. Les intérimaires ? Maintes fois désolés face à l'absence d'instructions au poste de travail. L'expert technique ? Promu au poste de manager, au détriment de son amour de la technique. À la tête des entreprises, les fondateurs, dépositaires de la vision technique, sont mis en doute dans leur capacité à développer l'entreprise à la hauteur des attentes du conseil d'administration.

Paradoxalement, l'entreprise qui pense trouver les meilleurs chefs chez ses techniciens se saborde doublement en se privant à la fois de l'expertise et du pilotage.

Alors, quoi ? Devrions-nous acter le fait que l'expertise technique a été mise au banc de la stratégie ? Mais, à l'heure de l'appel à la souveraineté industrielle et à la réinvention de nos modèles pour préserver la planète, comment se passer des techniciens, champions de la transformation de la matière ?

Replacer la technique au cœur de la création de valeur

Au moment où d'aucuns seraient tentés d'invisibiliser la technique, il est temps, au contraire, de lui redonner ses lettres de noblesse.

Première raison : toute création de valeur est indissociable de la technique. Michelin, Safran, Lisi, Saint-Gobain, sans nommer les nombreuses PME qui innovent au quotidien, sont autant d'entreprises qui continuent d'écrire les plus belles pages de l'histoire industrielle française. Justement, parce qu'elles puisent leur énergie vitale dans l'art de transformer la matière.
Deuxième raison : l'industrie vit actuellement trois chocs. L'hybridation avec la Tech, l'évolution vers de nouveaux modèles circulaires et la transformation du rapport au travail. Or, les modèles industriels les plus innovants naissent sur le terrain, là où se joue la création de valeur. Et pour cela, les techniciens doivent pouvoir réinventer leur métier.

Les industriels français et européens ont tout à gagner à changer leur regard sur la technique. Comment alors décupler cette industrie, à la fois ancrée dans la modernité et forte de sa tradition ?

Créer les règles du jeu de demain

Il convient d'entamer une réflexion sur la place de l'expert technique dans l'usine. À titre individuel, tout d'abord. Lui donner les outils modernes et l'espace nécessaire pour exprimer son talent. Sans quoi, il ne faudra plus s'étonner de la fuite des meilleurs experts de nos industries traditionnelles vers les « digital natives » (Amazon, Tesla, etc.).

Une perspective qui dépasse le cadre de l'entreprise

Sensibles à cette problématique, certains fonds d'investissement s'entourent d'operating partners, des experts qui apportent leur vision technique. Aujourd'hui, plus de 40 % des 80 plus grands fonds d'investissement en France ont embauché au moins un operating partner pour accompagner leurs participations.

Considérer ensuite la place du collectif autour de la technique : développer des équipes multimétiers, faire des bureaux d'études des bêtes de course par le travail sur la dynamique d'équipe, développer la capacité à innover par cycles de test-itération rapides, appliquer et digitaliser en fabrication une approche de type « Quick Response Quality Control » (QRQC) pour traiter les défauts dès leur apparition, donner les moyens à la maintenance de se moderniser, intégrer le Machine Learning aux lignes de production, ou encore tester des modèles plus circulaires.

À l'échelle du pays enfin : développer une approche volontariste pour faire grandir les compétences techniques, à l'heure où l'on ne sait plus trouver un soudeur en France, et où le Canada nous coupe l'herbe sous le pied dans les pays « best cost ». Se doter également d'une capacité de fabrication de nos outils industriels, de nos machines-outils en particulier, plutôt que de les importer d'Allemagne ou d'Italie. Enfin, faire de la valorisation des techniciens un sujet différenciant dans l'accompagnement de notre industrie.

Le défi pour les capitaines d'industrie, managers, investisseurs et institutionnels sera de porter haut ce sujet. Se saisir de la question de la valorisation des experts pour rapatrier et développer l'excellence industrielle sur nos territoires, comprendre la vision technique pour passer à l'échelle, engager toutes les cellules de l'entreprise au service de la création de valeur, muter vers l'industrie 4.0 et faire évoluer les modèles d'affaires. Ranimer notre industrie ne se fera pas par le culte des cendres, mais par la transmission du feu. Créons les règles du jeu de demain !

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Commentaires 6
à écrit le 26/05/2023 à 16:58
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Il est plus valorisant pour les ingénieurs de travailler en bureau d'étude qu'en production où il faut gérer en permanence des aléas , pendant longtemps cela a été le domaine des ingé des Arts et métiers (gadzart ) Mais il existe aussi dans les ind...

à écrit le 26/05/2023 à 9:08
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Si la réindustrialisation se fait sur une "demande" artificialisée par la publicité, nous allons encore nous prendre le mur ! ;-)

à écrit le 26/05/2023 à 8:44
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Bien vu ! Il est vrai qu'avec l'obsession maladive de nos dirigeants pour le tout numérique, le virtuel qui les intéresse bien plus étant donné que c'est subjectif, ils peuvent lui faire raconter ce qu'ils veulent au numérique et ne s'en privent pas,...

le 26/05/2023 à 13:25
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La technique leur est inconnue, sauf exception (et vue des nuages, c'est loin :-) ). Le 'numérique' peut aider de diverses façons mais pas faire, construire, fabriquer mais juste faire faire, faire fabriquer. :-) Un robot qui peint une voiture n'a pa...

le 26/05/2023 à 16:49
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Mais le numérique fait aussi appel à la technique ! et une imprimante 3 D qui façonne des pièces c'est également de la technique tout comme la machine outils à commande numérique ou l'automate programmable qui assemble les pièces sur une chaine de mo...

le 28/05/2023 à 10:33
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C'est plus que tiré par les cheveux ton truc là...

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