Présidentielle : traiter vraiment les questions de santé

Si l'on parle de l'avenir de la sécu, les questions de santé ne sont pas vraiment traitées dans cette campagne présidentielle. Par Guy Vallancien et Guy Mamou-Mani*
Guy Mamou-Mani et Guy Vallancien

Curieusement, alors que pour plus de huit Français sur dix, leur santé et celle de leurs proches est la préoccupation majeure de leur quotidien (cf 6ème édition du baromètre des « Français et leurs préoccupations de la vie quotidienne »), on ne voit pas apparaître les questions sanitaires - au sens qu'en donne l'OMS de prise en charge collective de la santé d'une population- dans la campagne présidentielle.

 Ce sondage réalisé par BVA en toute fin d'année 2016 dans la perspective des primaires de la droite et du centre, mettait pourtant en relief le décalage entre les sujets de campagne des candidats et les soucis des Français qui se disent préoccupés par le coût de la santé, du fameux « reste à charge », et se montrent de plus en plus inquiets face aux difficultés d'accès à un médecin près de chez eux.

 Il est d'autant plus surprenant de voir la santé sinon totalement oubliée du moins reléguée au second plan du débat politique - contrairement aux questions de couverture santé-maladie et d'avenir de la « Sécu » qui sont venues alimenter les polémiques du début de la campagne - qu'elle est perçue par les électeurs comme une thématique essentielle : c'est un sujet prioritaire à leurs yeux, comme c'était déjà le cas lors de la précédente élection présidentielle.

Manque de vision d'ensemble

Un manque dramatique de vision d'ensemble Cet oubli ne nous étonne pourtant qu'à moitié. Les candidats à l'élection présidentielle se sont montrés de même jusqu'à présent incapables de mener une véritable réflexion sur le numérique et encore moins de développer une vision du futur numérique de la France, comme celle préconisée par le président de CroissancePlus d'en faire la composante majeure d'une « puissance numérique continentale ». En fait de programme numérique, les candidats laissent leurs porte-paroles débattre entre eux de fiscalité et de mesures techniques, pour ne pas dire technocratiques.

Idem s'agissant de la Santé ! C'est ce manque dramatique de vision de nos élites, qu'elles soient politiques ou administratives, que nous n'avons de cesse l'un et l'autre de déplorer, chacun à notre place et dans notre registre, espérant cette fois être entendus des candidats à la magistrature suprême et surtout les voir articuler à leur tour non pas des promesses qu'ils ne pourront pas tenir mais des réflexions sur la santé et la prévention plus en phase avec les nouvelles réalités auxquelles notre pays doit faire face : le vieillissement de sa population et la désertification médicale. Lors d'une table-ronde qui nous avait réunis au Palais de Tokyo où nous étions venus débattre à l'invitation de l'ASIP Santé des enjeux prospectifs liés au numérique en santé, nous avons publiquement dénoncé le tort que faisait courir à notre pays la myopie de ses dirigeants en matière sanitaire et le risque de sclérose qu'il encoure faute de vision nette des enjeux et par incompréhension des remèdes à apporter pour assurer la viabilité de notre système de santé, « le plus cher au monde » aux dires de l'économiste de la santé Jean de Kervasdoué.

Sans se soucier de l'addition...

Suivant la même logique, et avec un aplomb qui n'a d'égal que leur ignorance du sujet ou le biais idéologique qui leur tient lieu de marqueur politique, les candidats avancent tous leurs solutions sans se soucier de l'addition: augmenter le nombre des médecins en supprimant le numerus clausus, garantir l'accès à des soins de qualité pour tous sur tout le territoire au moment où les besoins autant que les innovations évoluent très fortement, couvrir l'ensemble des dépenses de santé grâce à la fusion de la Sécurité sociale et des complémentaires santé,...

Une confusion sémantique, source de malentendus majeurs

Et si les candidats, quel que soit leur bord, se trompaient complètement dans leur manière d'aborder les questions de santé en pensant pouvoir faire l'économie d'une réflexion de fond sur ce que doit être une « politique de santé » au XXIème siècle.

Nous avons en effet gagné près de dix ans d'espoir de vie ces 30 dernières années, principalement grâce aux produits et instruments créés par l'industrie et aux avancées actuelles de la médecine qui peuvent se résumer dans la notion de « média médecine », cette médecine médiatisée qui prodigue des soins de qualité par le recours aux moyens numériques.

Force est de reconnaître que la médecine est le facteur déterminant de l'accroissement de la longévité aujourd'hui : en 2030, une prise en charge sur trois, soit cinq millions d'hospitalisations, concernera des personnes âgées.

Se préoccuper du parcours de vie

N'est-il pas temps dans ces conditions de réfléchir, en marge des joutes électorales, à se donner une politique, éclairée par des données de santé publique, qui se préoccupe du « parcours de vie » de la population française et s'assigne pour but de la maintenir en bonne santé en retardant le plus longtemps possible l'entrée de nos aînés en institution, et cela par une véritable culture de la prévention, le développement d'une éducation sanitaire et nutritionnelle, la multiplication de centres de soins primaires, la prise en compte de la dimension environnementale et épigénétique, l'adaptation des logements à la perte d'autonomie.

La priorité des priorités, selon nous, avant même de se poser la question de savoir s'il faut investir plus ou faire davantage d'économies, c'est de définir une telle politique à l'horizon des cinq prochaines années, de se doter comme le préconise SYNTEC Numérique d'une loi de programmation de santé quinquennale qui fixe le cap, donne de la visibilité aux différents acteurs concernés, et permette de dépenser mieux, plus intelligemment.

Faute de quoi, notre pays continuera à se complaire dans des expérimentations sans perspectives de généralisation, avec ses cohortes de laissés pour compte. Qu'on ne s'étonne pas ensuite de voir prospérer le « vote extrême » chez tous ceux de nos compatriotes qui ont le sentiment d'être exclus de ces innovations réservées aux habitants de territoires moins « périphériques » que le leur et qui se plaignent à juste titre de vivre dans des « déserts médicaux » par comparaison avec les métropoles, mieux loties en infrastructures sanitaires.

Répondre dans la durée aux défis du vieillissement et de la désertification médicale

Plutôt que de se plaindre de l'absence d'hôpitaux et de l'extension des déserts médicaux, il serait bien préférable de s'atteler à la création, par milliers, partout en France, de cliniques et de maisons de santé pluridisciplinaires, véritables « PME médicales », qui ont vocation à répondre aux besoins d'une médecine de proximité. Ces maisons de santé sont en fait des centres de soins primaires qui réduisent mécaniquement la part que détient l'hôpital, tant en emplois qu'en budget, dans le paysage sanitaire actuel.

Tous les candidats poussent à leur multiplication mais, parce qu'ils confondent encore trop souvent les prestations qui relèvent d'une « politique de santé » et celles qui relèvent d'une politique privilégiant le système de « soins», ils font la promotion de structures de prise en charge hybrides, inflationnistes du point de vue des coûts, surtout si leur programme prévoit la remise en cause du « numerus clausus » en médecine, en système totalement perverti selon nous par l'arrivée sur le territoire français de médecins à diplômes étrangers.

L'accroissement du nombre de médecins exerçant sur le territoire, qui seraient affectés en particulier dans les petits hôpitaux, est en effet la réponse habituellement donnée à la question des déserts médicaux. Nos candidats savent-ils que jamais le nombre de professionnels de santé n'a été aussi grand : entre 1983 et maintenant soit en 35 ans, on a injecté dans le système hospitalier 1000 médecins par an. Il y en avait 13 000 en 1983 pour 55 millions de Français. Ils sont 45 000 aujourd'hui pour 67 millions. On a multiplié le nombre de praticiens hospitaliers par quatre alors que la population n'a grossi que de 1.5 dans le même temps et personne n'est content!

Il faut inverser la tendance. On n'a pas besoin de plus de médecins hospitaliers, moins encore de la présence d'un médecin dans chaque hameau, mais de plus de généralistes en proportion (70% de la population médicale globale serait un bon pourcentage) exerçant leur art différemment, dans les maisons de santé des villes moyennes et des métropoles, où ils pourront promouvoir la prévention, la prédiction et la médecine de premier recours qui permettent d'éviter le drame des malades pris en charge à un stade avancé de leurs pathologies par des spécialistes.

Il existe une autre réponse, pérenne cette fois, à la question de la désertification médicale mais aussi à celle de la prise en charge des personnes âgées, c'est celle qu'apporte la télémédecine qui met en place une organisation à distance des soins et mobilise autrement le corps médical. Pour des raisons qui nous échappent, cette nouvelle forme de pratique médicale qui assure une bonne couverture sanitaire via les moyens modernes de télétransmission en reste au stade des expérimentations alors que ses bénéfices collectifs sont unanimement reconnus comme le souligne l'Alliance eHealth France :

-pour les patients : accès pour tous à de meilleurs soins, maintien à domicile, diminution des délais de prise en charge, de la fréquence et de la durée des hospitalisations, des transports, reprise d'activité précoce... ;

-pour les professionnels de santé : isolement réduit, coordination des compétences, pratiques professionnelles sécurisées et décloisonnées par de nouvelles formes de collaboration et de partenariats... ;

-pour les pouvoirs publics : aménagement du territoire tenant compte des spécificités locales, optimisation des dépenses (réduction des hospitalisations et des transports, reprise d'activité précoce...), amélioration de la coordination entre prévention, soins et médico-social,...

Qu'attendent dés lors les candidats pour s'engager à déployer massivement les solutions de télémédecine qui, appliquées aux quatre principales maladies chroniques (HTA, diabète, insuffisances cardiaque et rénale) permettraient, à terme, une économie annuelle de 2,6 milliards d'euros.

L'avènement de la média médecine et l'émergence de nouveaux métiers médicaux

Non seulement la France accuse de plus en plus de retard par rapport à d'autres pays plus avancés qu'elle dans l'adoption et le déploiement à large échelle de solutions de télémédecine comme la Suède qui a développé depuis longtemps des centres de télémédecine au niveau national mais elle se montre relativement frileuse par rapport aux nouvelles technologies médicales qui conditionnent l'avènement de la « médecine sans médecins » que pratiqueront les praticiens de demain.

 Le déferlement technologique médical, les moyens d'analyses statistiques de plus en plus sophistiqués, remplacent jour après jour la main, l'oreille et l'œil pour établir le bon diagnostic, choisir puis entreprendre le bon traitement. Ces nouveaux outils deviennent les objets de la vérité. Ce sont eux qui transmettent l'information ; eux qu'il faut désormais croire.

L'avènement de la cœlioscopie, technique qui consiste à opérer sans ouvrir le corps, parachève cette évolution. La main du chirurgien ne touche plus l'organe, elle le télémanipule. La main qui palpait le corps à la recherche d'un trouble clinique ne fait au mieux qu'estimer une situation, alors que les chiffres et les images rendent le mal concret en le quantifiant.

 Le savoir-faire médical, grâce aux simulateurs avec lesquels on peut répéter les gestes à l'infini, peut dés lors être délégué à des intervenants spécialisés non-médecins, les ingénieurs opérateurs.

La nouvelle médecine vient bouleverser le vécu du malade et la pratique du médecin. L'intelligence artificielle, par la puissance sans limite de ses algorithmes, s'invite dans ce monde de la médecine qui reposait sur la confiance envers l'homme de l'art, détenteur du savoir médical. Les radiologues pourraient voir leur nombre fortement diminuer si l'on en croit le New England Journal of Medecine : 90% d'entre eux pourraient disparaître, concurrencés par les services coûts-efficients qui résultent de l'IA

 Issue de la combinaison de l'informatique, des sciences cognitives, de la biologie, de l'imagerie médicale et de la génomique, elle prédit les maladies avant qu'elle n'apparaisse ; les examens biologiques et la radiologie détectent le mal avant que les symptômes de l'examen clinique ne sonnent l'alerte.

Si nous ne voulons pas regarder l'avenir dans un rétroviseur, nous allons devoir modifier l'intégralité de nos modes de pensée et d'agir à l'aune de la média médecine naissante. La formation, la qualité, le nombre, la répartition, les modes et niveaux de rémunération des hommes de l'art sont à repenser. De l'artisanat médical, nous basculons dans l'industrie du soin.

Les nouvelles technologies en effet, non seulement redéfinissent le rôle d'un médecin rare par rapport à des professions de santé élargies, mais elles sont porteuses d'un nouvel humanisme. Elles ne sacrifient ni la relation humaine ni l'empathie sur l'autel de la technologie mais au contraire les renforcent, en dégageant le médecin des contingences matérielles qui le noie.
Les écoles de médecine devront s'adapter rapidement à ces changements. Pour autant que nous le voulions, pourrait sortir de nos facultés d'ici à cinq ans la première génération d'ingénieurs opérateurs ayant acquis les connaissances approfondies non seulement de l'anatomie mais des outils informatiques et de l'instrumentation pour pouvoir effectuer des tâches précises en toute responsabilité.

 De même, d'ici à deux ans, des assistants médicaux d'un niveau Mastère comme le sont les sages-femmes pourraient prendre place dans ce qui préfigure la chaîne de soins de demain où le médecin ne fait plus que de la médecine décisionnelle, déléguant les tâches et techniques d'investigation à des assistants experts (niveau bac +4 voire + 5) jusque-là réservées aux seuls praticiens.

 La standardisation des procédés d'investigation et de traitement, tout comme l'encadrement des décisions par les guides de bonne pratique, s'additionnent pour plaider la cause du partage des actes médicaux comme une nécessité médico-économique incontournables.

Mener à bien dans les 5 ans qui viennent une grande politique de santé, c'est possible. C'est affaire d'ambition, de courage et de volonté. C'est ce que nous attendons du prochain président de la République. Qu'il dise clairement qu'il va diminuer le nombre d'hôpitaux, multiplier les maisons de santé, déployer la télémédecine, réformer les études médicales, quitte à réévaluer les objectifs selon que ça marche ou que ça ne marche pas dans le cadre d'un pilotage par paliers de la nouvelle stratégie de santé que nous appelons de nos vœux.

*Guy Vallancien

Membre de l'Académie Nationale de Médecine et de l'Académie Nationale de Chirurgie

Fondateur et Président du Conseil d'Administration de l'Ecole Européenne de Chirurgie

Fondateur et Président de la Convention on Health Analysis and Management

 Guy Mamou-Mani

Co-président de Groupe Open

Vice-président du Conseil National du Numérique et du Haut conseil à l'égalité entre les femmes et les hommes

Ex président du SYNTEC Numérique

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