Quand la désinformation alimente des boycotts injustifiés dans le cadre du conflit Israël-Hamas

OPINION. Depuis le 7 octobre, les réseaux sociaux offrent une caisse de résonance à des appels au boycott souvent fondés sur des informations truquées, approximatives ou sorties de leur contexte. Par Jean Lévy, ancien élève de l’ENA, diplomate, ancien ambassadeur de France.
Manifestation antiraciste à Paris le 29 avril 2023 contre le projet de loi d'asile et immigration et contre l'opération Wuambushu d'expulsion des sans papiers à Mayotte. Un manifestant arbore un t-shirt avec le message BDS France. L'action BDS (Boycott Desinvestissement Sanctions) a été lancée par la société civile palestinienne en 2005, suite a des dizaines d'années de lutte contre Israël et sa politique de colonisation des territoires occupés.
Manifestation antiraciste à Paris le 29 avril 2023 contre le projet de loi d'asile et immigration et contre l'opération Wuambushu d'expulsion des sans papiers à Mayotte. Un manifestant arbore un t-shirt avec le message BDS France. L'action BDS (Boycott Desinvestissement Sanctions) a été lancée par la société civile palestinienne en 2005, suite a des dizaines d'années de lutte contre Israël et sa politique de colonisation des territoires occupés. (Crédits : Reuters)

Comment, dans nos sociétés de consommation hyperconnectées, manifester pacifiquement son désaccord, voire son opposition à la politique de tel ou tel Etat ou telle ou telle entreprise multinationale ? Pour certains, c'est le choix du boycott qui s'impose. Le consommateur devient ainsi un « consomm'acteur », dont les actes d'achats reflètent les opinions personnelles. Voici donc que ressurgissent, à l'ère des réseaux sociaux et des opinions clivées qui font leur succès, et alors que s'aggrave, au Moyen-Orient, le conflit le plus globalisant qui soit, les appels à boycotter Israël et ses soutiens, réels ou supposés.

Le boycott, une « arme » aussi ancienne qu'efficace

Ses défenseurs le savent : pour être pacifique, le boycott n'en demeure pas moins une « arme » efficace - et qui ne date pas d'hier. En 1933, les Juifs du monde entier sont ainsi appelés à boycotter les produits de l'Allemagne nazie. Dans les années 1960 et au-delà se répand un appel à boycotter les produits venus d'Afrique du Sud alors sous le régime de l'apartheid. Enfin, depuis 2005 sévit le mouvement dit « boycott désinvestissement sanctions » (BDS), qui s'oppose à la politique de l'État d'Israël vis-à-vis du peuple palestinien et à la colonisation des territoires palestiniens occupés depuis 1967.

Rien de nouveau sous le soleil. Le boycott a été utilisé par les pays arabes bien avant la création, en 1948, de l'État d'Israël, quand dans les années 1920 puis à l'aube de la Seconde Guerre mondiale le leadership arabe de la Palestine mandataire a appelé au boycott des Juifs de Palestine. Depuis longtemps, dans les pays arabes, le rejet de certains produits étrangers, ou de certaines marques « mondiales », procède d'une forme d'ethnocentrisme ou de préférence religieuse : on boycotte tel soda pour lui préférer sa déclinaison « nationale », ou telle origine parce que celle-ci est associée, comme dans le cas des produits danois en 2005, à une polémique liée aux caricatures de Mahomet.

Les attaques terroristes du 7 octobre, et la sanglante réponse militaire d'Israël, ont donné une tout autre dimension à ce mouvement de boycott d'Israël dans le monde arabe. Chauffés à blanc par le déluge d'images insoutenables qui, sur les réseaux sociaux, leur parviennent de l'enfer qu'est devenue la bande de Gaza, les populations arabes et les internautes soutiens de la Palestine relaient, depuis quelques semaines, des appels à boycotter certains produits, ou encore certaines grandes enseignes internationales présentées, à tort ou à raison, comme pro-israéliennes.

Le mouvement est porté par une jeunesse informée et façonnée par les nouvelles technologies - on se souvient que les « printemps arabes » étaient, déjà, intensifiés par les réseaux sociaux encore balbutiants. Des sites, extensions ou applications mobiles ont été conçus pour aider les consommateurs à reconnaître, pour mieux les boycotter, les produits supposément pro-israéliens - une classification que l'on devine pour le moins hasardeuse, car englobant souvent, par exemple, l'ensemble des marques occidentales originaires de pays supportant plus ou moins officiellement la politique de l'État d'Israël. Du Maroc au Koweït, en passant par la Jordanie ou l'Egypte, le slogan « Avez-vous tué un Palestinien aujourd'hui ? » (en consommant des marques soutenant supposément la politique d'Israël) résonne dans la conscience de bien des consommateurs.

Carrefour entrainé dans le conflit malgré lui

Il ne nous appartient pas de juger ici du bien-fondé de la décision personnelle de boycotter. A condition que ce choix repose sur des informations fiables et vérifiées. Ce qui est loin d'être systématiquement le cas, comme en témoigne l'explosion, depuis le 7 octobre, d'informations fallacieuses visant, sur les réseaux sociaux, à mettre à l'index telle ou telle entreprise accusée de soutenir la politique d'Israël.

Les exemples sont légion : Zara, sous le feu des critiques après une campagne de publicité soupçonnée - à tort, puisqu'antérieure au 7 octobre - d'ironiser sur le sort des Palestiniens de Gaza ; Puma, dont la décision de ne plus sponsoriser l'équipe israélienne de football a, sortie de son contexte, été instrumentalisée par la campagne BDS (Boycott, Désinvestissement et Sanctions) qui l'a indument présentée comme une « victoire » ; Starbucks, dont le dévissage du cours en Bourse a, ici aussi à tort, été attribué au soutien - fictif - de la multinationale du café à Israël. Mais l'exemple le plus édifiant est sans doute celui de Carrefour, victime d'une campagne de dénigrement après la diffusion, sur Instagram, d'une photo d'un employé offrant des denrées alimentaires aux soldats de Tsahal.

Cette campagne mérite qu'on s'y arrête, non seulement parce qu'elle concerne un groupe français, mais aussi parce qu'elle est emblématique de la manière dont une image (non truquée) peut mener à une interprétation erronée. Il s'agissait, en réalité, de l'acte isolé d'un salarié d'un franchisé de Carrefour en Israël. Un acte qui n'a pas été autorisé par le groupe français, et qui ne représente pas sa politique - d'autant que Carrefour est présent dans de nombreux pays arabes. Contrairement à ce qu'affirme la campagne BDS, Carrefour n'a aucun magasin en Cisjordanie (comme en atteste la liste dressée par les Nations Unies). C'est son prestataire, Electra Ltd /Yenot Bitan, qui opère dans les colonies, sous les marques Mega et Mehadrin (aucun lien avec Carrefour). Une absence de Carrefour en Cisjordanie par ailleurs reconnue par le camp pro-palestinien lui-même, et critiquée comme telle par la presse... israélienne.

Bien malgré lui, le groupe français se retrouve donc mis à l'index tant par les défenseurs d'Israël que par ses adversaires. Absurde et antinomique, cette situation doit inciter les consommateurs responsables que nous sommes à un devoir de prudence vis-à-vis des « story telling » des réseaux sociaux, et singulièrement lorsque le contexte est celui d'un conflit aussi violent et globalisant que celui de la guerre entre Israël et le Hamas. Libre à chacun de boycotter, mais à la condition d'avoir pris le temps de vérifier les informations sur lesquelles un tel acte se fonde.

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Commentaires 5
à écrit le 07/04/2024 à 1:42
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Boycotter toutes les entreprises israéliennes de près ou de loin, Macdonald's, Nike, Carrefour, Hugo-Boss, Dior etc....

à écrit le 27/03/2024 à 7:00
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Cette tribune qui ne semble pas avoir d'autres objectifs que de voler au secours de CARREFOUR, sous couvert de dénoncer la désinformation conduisant à des appels au boycott parfois injustifiés (Zara, Starbuck) est, elle-même, un parfait exemple de dé...

à écrit le 14/03/2024 à 17:11
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Le conflit s est déplacé en France, à polytechnique, à l ena. partout les deux partis se haïssent l argent part de France pour ce conflit étranger c est triste

à écrit le 13/03/2024 à 19:10
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Il est impossible de faire comprendre une pensée même qu'un peu profonde à une foule, elle avance de la sorte mécaniquement. Nietzsche disait que ce n'était pas possible, que seule la conversation entre deux personnes était productive, un véritable b...

à écrit le 13/03/2024 à 17:28
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Quoique l'on en disent, une "désinformation" est déjà une info car certaine ne sont pas médiatisé pour en éviter les conséquences! :-)

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