Sécurité routière : ces morts qui indiffèrent

L'insécurité routière augmente, dans l'indifférence générale et l'apathie du gouvernement. Par Jehanne Collard, Avocate spécialisée dans la défense des victimes de la route,

 Ils ont été, un an, une grande cause nationale. Puis, ils ont disparu dans l'indifférence. Disparu des mobilisations, des commémorations, des cérémonies. Disparu des écrans, des médias à l'exception de quelques brèves en pages locales. Disparu des discours, des programmes politiques, des enjeux électoraux.

 Les morts de la route ont disparu de nos regards sauf lorsqu'on croise sur le bord de la chaussée un de ces bouquets fanés accrochés à un arbre ou un poteau anonyme. Ces pauvres monuments sont, hélas, impuissants à dissiper l'indifférence, à rappeler le drame pourtant quotidien de l'insécurité routière.

 Indifférence nationale

Dix morts par jour. Auxquels il faut ajouter dix « morts vivants », des survivants que de trop lourdes séquelles privent définitivement des plaisirs même menus de l'existence. Et plus de cent blessés hospitalisés chaque jour. Un bilan terrifiant qui augmente chaque mois depuis deux ans. Où sont l'émotion, le sursaut que ces chiffres devraient provoquer?

L'indifférence nationale est plus étrange encore quand on écoute ce que les statistiques parfaitement documentées nous répètent chaque mois. Ce sont les plus jeunes qui paient le plus lourd tribu : des gamins, nos enfants, l'avenir de notre pays. Ce sont les plus fragiles qui sont les plus durement frappés : les piétons, les cyclistes, les conducteurs de modèles d'occasion sous équipés en sécurité. Ce ne sont pas les chauffards qui meurent le plus mais les innocents qu'ils croisent. Ce n'est pas la fatalité qui tue mais l'alcool, la drogue, la vitesse, le SMS au volant. Et cela n'arrive pas qu'aux autres mais à tous sur le chemin quotidien du travail, de l'école, des courses.

 Une apathie sidérante de la part des dirigeants

Il n'y a pas un mais dix scandales de l'insécurité routière. Et aucun ne semble réveiller les consciences ou au moins l'attention des pouvoirs publics. Car l'apathie de nos dirigeants depuis près de dix ans est sidérante. Au sommet de l'Etat, on ignore le problème. Au ministère de l'intérieur on se contente de fixer un objectif de réduction des victimes sans jamais se donner les moyens d'y parvenir.

Le lien essentiel entre le contrôle des infractions routières et les sanctions s'est rompu. On a laissé les véhicules de société échapper au retrait de points quand ils sont flashés. Un rapport de l'Inspection générale de l'administration a révélé que 46 % des conduites en état d'alcoolémie constatées échappaient à toute sanction. Cette rupture de l'égalité devant la loi ne pouvait faire que des ravages, renforçant le discours négationniste du lobby es automobilistes pour lesquelles les radars ne sont que des pompes à fric et la sécurité routière, une atteinte aux libertés des chauffards !

 Les pouvoirs publics se sont révélés incapables de donner des réponses rapides et claires à ces dysfonctionnements majeurs. Les avis des experts les plus qualifiés ont été négligés, les poussant à la démission. Le comité interministériel de sécurité routière est tombé aux oubliettes pendant de long mois. Quand il s'est enfin réuni, ce fut pour accoucher de demi-mesures ou de vagues expériences. Les associations de prévention qui se battent encore sur le terrain ou dans les entreprises ont été abandonnées à leur solitude. Toute la sécurité routière est, faute de réelle volonté politique, en panne sèche.

Un coût direct de près de 10 milliards d'euros

Comment comprendre cette indifférence ? Considère-t-on cyniquement, en haut lieu, que les morts sur la route sont le prix à payer pour la mobilité et le développement économique ? Les études économiques des assureurs montrent pourtant que le coût direct des accidents s'élève pour la France à près de 10 milliards d'euros. Encore faut-il ajouter au flux indemnitaire, la multitude des conséquences indirectes : les ravages dans les familles percutées par le deuil ou le handicap, les dépressions, le chômage, la disparition des ces commerces ou ces PME frappées par l'incapacité soudaine d'un de leur pilier.

 Les études micro économiques montrent aujourd'hui que l'insécurité routière coûte chaque année aux pays développés 1,5 % à 2 % de leur PIB. A-t-on vraiment les moyens de s'y résigner ? Ou nos gouvernants se croient-il impuissants face à une fatalité qui les dépasse ? Là encore, les faits, têtus, démontrent le contraire. Par deux fois au moins, la volonté politique a vaincu durablement la mort sur la route.

En 1973 quand le gouvernement de M. Mesmer a pris la décision de limiter la vitesse et d'imposer la ceinture de sécurité. En 2002 quand Jacques Chirac a imposé avec le contrôle automatique des vitesses, la fin des passe-droits et des petits arrangements avec la loi.

 Une volonté politique pourtant payante... quand elle existe

La sécurité routière est un des rares domaines où la volonté politique nationale reste absolument payante. La recette pour sauver des vies est connue : des mesures fortes suivie d'une application immédiate et durable sur le terrain. Je sais bien que ces mesures ne sont pas populaires. Je sais qu'il n'est pas agréable d'être contrôlé, flashé, mis à l'amende. Je sais que l'électeur est aussi un conducteur qui tient à sa petite liberté. Mais faut-il la payer au prix de tant de sang ? Quel sera le jugement des générations futures sur cette curieuse complaisance devant un tel carnage silencieux ?

 J'appelle de tous mes vœux un sursaut collectif pour la sécurité routière. Je souhaite une volonté politique affirmée qui rétablisse la crédibilité de notre système de contrôle et de sanctions comme l'égalité de tous les conducteurs devant la loi. Autour d'elle, d'autres acteurs devront prendre leurs responsabilités. Je souhaite que les industriels de l'automobile ne gaspillent plus des milliards à vanter des bolides surpuissants et utilisent ces investissements pour renforcer la sécurité des modèles de base. Je souhaite que les assureurs dépassent la logique comptable de l'adaptation des primes aux risques pour financer vraiment la prévention. Je souhaite que tous les partis politiques prennent une position claire sur cet enjeu crucial pour faciliter un consensus à l'abri des petits calculs électoraux.

 Il n'en faudrait pas plus -pas moins non plus- pour que la France retrouve sur ses routes une dynamique de vie.

Jehanne COLLARD

 Avocate spécialisée dans la défense des victimes de la route

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Commentaires 8
à écrit le 13/11/2016 à 20:07
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Pas un mot sur l'incivisme et l'agressivité responsable d'autant voire plus d'accidents que la vitesse excessive. Dommage.

le 14/11/2016 à 7:50
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Bien d'accord avec vous. Seule une approche collaborative entre les occupants des usagers de la route et des transports permettra de ridiculiser les cowboys (qui parfois s'ignorent) Bien mieux bien plus efficace et moins cher.... Et sans angél...

à écrit le 13/11/2016 à 15:18
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Bof, personnellement, mourir sur la route ou ailleurs, alea jacta est. Par contre, devenir un de ces "morts-vivants", je ne le souhaite à personne.

à écrit le 13/11/2016 à 12:27
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"Je souhaite que les industriels de l'automobile ne gaspillent plus des milliards à vanter des bolides surpuissants" Des tentatives ont été faites au niveau européen. Mais quand Merkel dit NEIN, c'est NEIN !

à écrit le 13/11/2016 à 8:57
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Ce n'est pas la vitesse qui tue... concept totalement débile et infondé... mais la vitesse excessive.... dont la définition est multifactorielle, trop compliqué pour un etat qui ne connait que le mot infantilisation, dé responsabilisation et surtout ...

à écrit le 10/11/2016 à 21:49
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En 1972 il y avait 2 fois moins de véhicules qu'aujourd'hui, et il y avait 18000 morts sur les routes. Aujourd'hui on a 2 fois plus de véhicules et environ 3600 morts. Arrêtons de culpabiliser en permanence des automobilistes. Que dire des 4200 mo...

à écrit le 10/11/2016 à 17:33
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Stop aux intégristes de la sécurité routière avec une focalisation inepte sur la puissance et la vitesse... 25% des jeunes morts sur la routes étaient sous l'emprise de drogue. Combien d'autres morts dûes à l'alcool, au téléphone... Connaissez-vou...

à écrit le 10/11/2016 à 17:26
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Pour aller dans le sens de l'article, il suffit de voir la réaction des gens quand on dit que la limitation de vitesse est la vitesse à ne pas dépasser et non la vitesse à laquelle on est autorisé à rouler.

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