« Sharp power » et désinformation : nouvelles armes de déstabilisation des démocraties

OPINION. Le « Sharp power », la nouvelle arme de désinformation massive contre l'occident. Par Véronique Chabourine, membre du bureau de l’association pour une Renaissance européenne Paris, déléguée chargée de la communication.
(Crédits : DR)

Depuis samedi 7 octobre, de nombreuses vidéos relatives à l'attaque terroriste menée par le Hamas* ont circulées sur les réseaux sociaux ; dont certaines images et vidéos datent d'il y a plusieurs années, sans lien avec les évènements actuels − on assiste à une avalanche de désinformation, notamment sur X (ex Twitter).

Le 12 octobre, l'Union européenne lançait une enquête contre X accusé de laisser circuler sur son réseau de fausses informations et des contenus à caractère terroriste. Le réseau assure se conformer aux législations nationales et européennes (Digital Service Act) et modérer les contenus.

Début avril, Thierry Breton, commissaire européen au marché intérieur, affirmait « avec la guerre en Ukraine, les cybers attaques ont bondi de 140% en Europe ». Les cyber attaques et la désinformation sont des techniques utilisées par des acteurs étatiques ou non étatiques,faisant référence au sharp power.

En 2017, les chercheurs Christopher Walker et Jessica Ludwig ont popularisé ce terme faisant référence aux moyens utilisés pour exercer une influence et manipuler l'opinion publique au travers de la désinformation, l'interférence dans les élections, la surveillance et la censure et la coercition économique).

Le sharp power menace la stabilité des démocraties libérales

En 2021, l'institut pour la diplomatie culturelle publie un rapport intitulé Sharp power and Democratic Resilience selon lequel de nombreux pays et en particulier les régimes autoritaires utilisent le Sharp power pour influencer les démocraties libérales. Paradoxalement, ces régimes autoritaires cultivent souvent assez bien leur soft power, comme l'exprime l'exemple de la Chine. Le sharp power est le résultat de l'interaction de multiples facteurs économiques, technologiques, politiques et sociaux.

La législation et la régulation ne suffisent pas. En avril dernier était présentée en conseil des ministres la loi de programmation militaire qui prévoit d'augmenter entre 2024 et 2030 de 4 milliards le budget cyber. Au même moment, Thierry Breton, annonçait le projet Cyber shield, qui est une infrastructure à la fois civile et militaire pensée pour mieux détecter les cyberattaques en amont. Depuis 2009, les États-Unis ont une structure similaire ; le commandement de la défense (USCYBERCOM) et la Cybersecurity Infrastructure Security Agency (CISA).

La mise en application des régulations est difficile car l'espace numérique ne connaît pas de frontière. La législation est différente pour chaque pays et la régulation peut être perçue comme une atteinte à la liberté d'expression. Le pouvoir arbitraire des entreprises technologiques est confronté sur des marchés étrangers à des régimes autoritaires et à des choix entre opportunités économiques et pressions politiques - comme l'exemple de Midjourney censurant la création d'image du président chinois ou l'exemple depuis le 27 octobre 2022 du rachat de Twitter par Elon Musk qui a permis à beaucoup de comptes de désinformation de réintégrer la plateforme et bénéficier de la certification payante de X, contrairement à certains comptes de fact checking qui eux, l'ont perdu en ne souscrivant pas à l'abonnement. Une question demeure : faut-il laisser le rôle de censeur à des entreprises privées ?

Education et sensibilisation

La cyber sécurité et la désinformation nécessitent une approche multifacette ; comme les exemples de l'Estonie, la Finlande et Singapour qui ont mis en place des mesures de sécurité techniques, juridiques et éducatives ainsi que des programmes de sensibilisation et de coopération internationale le démontrent.

L'éducation et la sensibilisation sont des piliers de la lutte contre la désinformation et de la protection de nos démocraties libérales. En France, les programmes d'éducation au média et à l'information (EMI) sont obligatoires. Former à l'école est essentiel mais si l'on veut lutter efficacement, il faut sensibiliser aussi tous les publics à la désinformation.

Pour 78% des Français, on peut parler d'une hygiène informationnelle insuffisante ; incarnée par manque de discernement quant à la source et à la fiabilité de l'information. En cela, les entreprises, les médias et les associations peuvent se faire relais de campagne de sensibilisation et d'éducation.

Le soft power et la diplomatie publique doivent aussi jouer un rôle important - Comme de renforcer la coopération internationale afin de continuer à faire pression sur les acteurs responsables de la désinformation - et de renforcer la pensée critique, la vérification des faits, et sensibiliser sur les enjeux de société par le cinéma et les séries.

Quelle part possède la fiction dans ce que nous vivons ? N'a-t-on pas vu des zadistes récemment en France masqués et en combinaison faisant écho au succès mondial Netflix La Casa del Papel ? Au-delà de la responsabilité qui leur incombe, les plateformes et le cinéma qui produisent de plus en plus de films sur ces sujets répondront de manière pertinente aux demandes du public sur les enjeux de société.

La collaboration multi-acteurs est indispensable, incarnée par des mesures politiques, économiques, sociales et culturelles et soutenues par l'engagement de la société civile, des médias et des institutions démocratiques.

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(*) Mouvement terroriste palestinien créée en 1987.

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Commentaire 1
à écrit le 30/10/2023 à 11:21
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"Le sharp power est le résultat de l'interaction de multiples facteurs économiques, technologiques, politiques et sociaux." Alors ça c'est une définition fourre tout ! ^^ Vous voulez donc dire que l'armée israélienne n'a pas tué dans cette attaque pl...

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