
Ce n'est, certes, pas la première fois que nos dirigeants politiques nationaux changent complètement de pied, de stratégie et de communication depuis le début de la crise sanitaire. Parfois au prix de la lisibilité. En janvier dernier - une éternité, à l'échelle de l'épidémie -, Olivier Véran se disait ainsi « pas du tout certain que (...) la vaccination doive prendre la forme de grands stades dans lesquels viendraient faire la queue des milliers de personnes en plein hiver ». Le ministre de la Santé, qui répondait alors aux - déjà - très nombreuses critiques concernant la stratégie vaccinale de la France au regard, par exemple, de la généralisation des vaccinodromes en Allemagne, estimait que « nous avons fait en France un autre choix que je revendique ». « Envoyer les plus fragiles faire la queue dans des vaccinodromes n'a pas semblé la meilleure solution », assurait également la présidente de la Haute Autorité de Santé, Dominique Le Guludec, qui appelait à « garder son calme et garder les priorités ». Depuis, notre pays a franchi la barre symbolique des 100.000 morts, et le gouvernement, semblant oublier tout calme et sens des priorités, présente la multiplication des vaccinodromes comme « le » moyen d'accélérer sa campagne vaccinale.
Ne prenons pas le risque d'oublier les plus précaires
Si elle contente sans doute les objectifs du gouvernement en matière de communication grand public, l'ouverture progressive de 100 à 200 vaccinodromes sur le territoire français n'a pas que des avantages, loin s'en faut. Elle entraine ainsi, mécaniquement, la fermeture de très nombreux centres de vaccination de proximité. A l'image du centre de Saint-Apollinaire (Côte-d'Or), en service depuis quatre mois, qui dans la perspective de l'ouverture d'un vaccinodrome dans la ville voisine de Dijon a fermé ses portes le 27 avril, et ce en dépit des 5.000 injections qu'il réalisait par semaine. Un exemple loin d'être isolé, comme en témoigne l'appel de près de 130 élus locaux du Pas-de-Calais à Emmanuel Macron, demandant au chef de l'Etat de ne « surtout pas supprimer une réponse adaptée du territoire, avec ces petits centres de proximité (qui) permettent d'aller chercher les gens sur le terrain, de sortir de la compétition Doctolib qui exclut les oubliés du numérique ».
Réduisant la fracture entre territoires ruraux et zones urbaines, la vaccination locale permet aussi et surtout de créer les conditions d'un véritable rapport de confiance - une confiance dans les autorités médicales et politiques qui, précisément, n'a jamais semblé aussi mince et nécessaire à la fois que depuis le début de la pandémie, notamment en direction des populations les plus vulnérables. En misant tout sur les « centres de grande capacité », selon la terminologie officielle, on risque ainsi de donner corps à une stratégie vaccinale à deux vitesses. De plus en plus d'élus locaux s'en inquiètent, à l'image d'Azzédine Taïbi, maire de Stains (Seine-Saint-Denis). « Le rapport de confiance, on l'a dans la proximité », lance l'édile, rejoint dans son combat pour les plus vulnérables par le maire de la ville voisine d'Epinay-sur-Seine, Hervé Chevreau, qui estime qu'il « faut vacciner à outrance, partout où c'est possible ».
Vaccinodromes et centres de proximité : le courage de la complémentarité
En Seine-Saint-Denis, département français le plus touché par le virus, l'ouverture du vaccinodrome du Stade de France tient en effet davantage de l'opération de communication, tentant maladroitement de dissimuler la pénurie de doses de vaccin qui frappe le territoire. Christophe Prudhomme, médecin au Samu 93, ne dit pas autre chose : « Ouvrir un vaccinodrome, pourquoi pas, mais il faudrait déjà que l'on vaccine dans les centres de proximité ». Une stratégie misant sur la complémentarité qui, là où elle est appliquée, a d'ores et déjà fait ses preuves. Ainsi dans le département du Var, où le directeur local de l'ARS revendique avoir « fait un choix assumé de plusieurs centres de vaccination de proximité, plutôt qu'un très gros vaccinodrome ». Non sans un certain succès : « Nous sommes aujourd'hui à flux tendu et nous vaccinons 40.000 personnes par semaine. Nous ne faisons pas de stock », se félicite le responsable de l'Agence régionale de santé.
Cette décentralisation de la campagne vaccinale, au plus près des besoins des territoires et des populations, pourrait enfin connaître un coup d'accélérateur à la faveur de l'arrivée des vaccins Pfizer et Moderna dans les pharmacies. De nouvelles études démontrent en effet que ces vaccins ARN peuvent, contrairement à ce qui était jusqu'alors préconisé, être conservés plusieurs semaines à une température de -20°C - et non plus à -80°C, ce qui nécessitait de posséder des super-congélateurs dont peu de professionnels disposent.
Autrement dit, les pharmacies pourraient, à condition de leur donner accès aux vaccins, bientôt vacciner près de deux millions de personnes par semaine. Un renfort de proximité dont on ne peut raisonnablement penser se priver, alors que la France continue d'enregistrer d'inquiétants taux de contamination et que ses services de réanimation sont proches de la saturation. Plus vite nous utiliserons tous les moyens dont nous disposons, plus vite nous pourrons entrevoir la sortie de la crise et échapper à une quatrième vague.
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