Tesla en route pour les profits : mirage ou réalité ?

L’annonce des bons résultats du constructeur américain de véhicules électriques au troisième trimestre 2018 ne doit pas éclipser les différentes menaces qui pèsent sur son avenir. Par Isabelle Chaboud, Grenoble École de Management (GEM)
(Crédits : Lucy Nicholson)

Tesla annonce enfin les profits tant attendus. Pour le troisième trimestre 2018 (Q3), la marque californienne a publié un chiffre d'affaires de 6,8 milliards de dollars, en progression de 129 % par rapport à l'année précédente, avec un profit net de 312 millions de dollars et un cash-flow opérationnel positif à 1,4 milliard de dollars. Le 24 octobre 2018, le titre s'envole de plus de 12 %. Sur quels éléments reposent ces résultats ? Sommes-nous sur une tendance durable ?

Une production et des livraisons en hausse

Dans son communiqué de presse du 2 octobre 2018, Tesla se félicite d'une production et de livraisons record : « nous avons produit 80 142 véhicules (en Q3), 50 % de plus que nos productions les plus élevées jamais réalisées au deuxième trimestre (Q2), avec 53 239 Model 3 et 26 903 Model S et X ». Le groupe précise que les « livraisons du troisième trimestre ont totalisé 83 500 véhicules, dont 55 840 Model 3, 14 470 Model S et 13 190 Model X. Pour mettre cela en perspective, juste sur Q3, nous avons livré plus de 80 % des véhicules que nous avons livrés sur toute l'année 2017, et environ deux fois plus de Model 3 que nous l'avons fait sur tous les trimestres précédents cumulés ».

Ces performances sont retranscrites dans la présentation des résultats du troisième trimestre 2018. Elon Musk, directeur général, et Deepak Ahuja, directeur financier, indiquent que le Model 3 est devenu le modèle le plus vendu aux États-Unis au troisième trimestre en chiffre d'affaires et le cinquième modèle en volume. Ils précisent par ailleurs que les progrès réalisés ont permis de produire 4 300 véhicules par semaine en moyenne sur ce troisième trimestre et de réduire les coûts pour pouvoir atteindre une marge brute positive à 20 % sur le Model 3 alors qu'elle était encore « légèrement négative » au premier trimestre 2018. Cette performance serait largement imputable à la réduction de 30 % des heures de main d'œuvre sur le Model 3 entre le deuxième et le troisième trimestre 2018.

Selon la direction, la demande sur le Model 3 est non seulement soutenue mais aussi prometteuse. En effet, elle est pour l'instant cantonnée au marché nord-américain et porte sur des modèles vendus à des prix élevés, réglés en liquide ou financés par prêts bancaires. Pour Tesla, il existe de nombreuses opportunités de croissance du marché : par exemple un financement par leasing, en élargissant l'offre avec des modèles standards moins chers, ou encore en déployant des livraisons à l'international.

« Une rentabilité suffisante du Model 3 était essentielle pour rendre notre entreprise durable, ce que beaucoup considérait comme inatteignable. Grâce à l'ingéniosité et au travail sans relâche de nos équipes combinés avec notre stratégie de production et un design innovant, nous avons réalisé une marge sur l'activité automobile de 25 % », soulignent enfin les deux dirigeants en conclusion de leur communication.

Des chiffres non audités

Derrière ces perspectives encourageantes, nous pensons néanmoins qu'il faut conserver une grande prudence car plusieurs points méritent une attention particulière. Il convient tout d'abord de garder en tête que le chiffre d'affaires, le résultat après impôt, ou encore le taux de marge brute du troisième trimestre sont des résultats non audités. À moyen terme, d'autres facteurs risquent donc d'intervenir et pourraient avoir un impact sur le taux de marge brute. Par exemple, le Model 3 qui avait été annoncé à 35 000 dollars, a été vendu en moyenne à 49 000 dollars. Il était supposé être un véhicule accessible à un plus grand nombre. Avec une baisse du prix de vente, la marge brute sera peut-être impactée.

Par ailleurs, Tesla importe des composants de Chine et les nouveaux droits de douane instaurés vont renchérir les coûts. Malgré la progression des ventes et du cash-flow opérationnel (flux de trésorerie), l'endettement n'a pas diminué. Au vu des chiffres non audités, il serait même en hausse à 11,7 milliards de dollars (dettes financières seulement) contre 10,3 milliards de dollars à fin décembre 2017, ce qui porte le levier financier de 183 % des fonds propres à 201 % des fonds propres à fin septembre 2018. Encore une fois, ce devra être un point de vigilance particulière.

Le mode de livraison de Tesla est-il tenable et transposable ?

Tesla adopte un mode de livraison pour le moins original en faisant réaliser la livraison de ses véhicules au domicile ou au bureau de ses clients, soit par Elon Musk lui-même (pour quelques clients privilégiés) soit par des employés de Tesla. Si ce mode opératoire a de quoi séduire les clients en Amérique du Nord et semble possible pour ces derniers tant que les volumes restent limités, il devient difficilement gérable si les volumes augmentent de façon significative et à notre avis encore moins transposable à l'international, par exemple en Europe où la commercialisation du Model 3 est prévue en 2019.

L'arrivée de nouveaux concurrents se précise

Parmi les constructeurs établis, certains ont déjà sorti leurs modèles comme Jaguar avec son i-Pace (lancé en juin 2018), d'autres ont dévoilé leurs prochains modèles électriques lors du Mondial de l'Auto 2018 à Paris. Pour ne citer que quelques exemples : le Mercedes EQC, concurrent du Tesla Model X arrivera en concession fin 2018, début 2019 ; Audi lancera son Audi E-TRON mi 2019 et prévoit de mettre sur le marché 12 SUV supplémentaires d'ici 2015 ; BMW devrait commercialiser son iX3 en Europe aux alentours de 2020 ; Porsche prévoit la sortie de son Taycan pour fin 2019 ou début 2020 ; enfin, Aston Martin a également dévoilé le lancement de la Rapide E pour la fin 2019.


À lire aussi : Aston Martin : l'introduction en bourse en six questions


En sus de ces constructeurs européens, le marché voit aussi proliférer de nouveaux entrants comme Xpeng, Byton, ou encore NIO. Ces startups chinoises ambitionnent de devenir le nouveau Tesla, comme le relève l'Usine nouvelle dans un article récent. Ces dernières bénéficient non seulement du soutien de la Chine dans le développement des véhicules non polluants et dans le but de promouvoir le plan Made in China 2025, mais aussi du soutien financier de groupes puissants tels qu'Alibaba, Tencent ou Baidu.

Certes, ces startups ne ciblent pas toutes la même clientèle que Tesla. Elles sont néanmoins à prendre au sérieux car elles attaqueront le marché chinois au moment même où Tesla prévoit d'ouvrir sa prochaine Gigafactory à Shanghai. L'Usine nouvelle indique d'ailleurs que Byton, soutenu par le géant des services en ligne Tencent, est en train de construire une usine en Chine avec une capacité annuelle de production de 300 000 unités. Le constructeur de voitures électriques Youxia Motors prévoit de son côté de produire 200 000 véhicules par an dans sa première base de production.

Au-delà de ces entreprises chinoises, d'autres acteurs bénéficient de financements de l'empire du Milieu mais sont basés aux États-Unis. C'est par exemple le cas de Karma Automotive (qui a racheté les actifs de Fisker Automotive) ou de Faraday Future qui devrait bientôt produire son SUV électrique ultrarapide, la FF91.


À lire aussi : Elon Musk et Tesla : tweeter n'est pas jouer


Enfin, tout récemment, Sir James Dyson, dirigeant et fondateur du groupe familial anglais connu pour ses aspirateurs et sèche-cheveux innovants a confirmé son intention de se lancer dans les véhicules électriques haut de gamme. Dyson prévoit ainsi un investissement de deux milliards de livres sterling, dont un milliard de livres dans le développement de batteries et un milliard dans le développement et la construction du véhicule.

Le fondateur a annoncé la construction de sa première usine à Singapour. Selon le Financial Times, le montant de l'investissement n'a pas été révélé mais la construction du site devrait débuter à la fin de l'année pour s'achever en 2020 avec un lancement de production en 2021. Dans un premier temps, celle-ci devrait être limitée à un modèle (quelques milliers d'exemplaires). Deux autres modèles seraient ensuite introduits avec une production de plusieurs dizaines de milliers de véhicules, toujours selon le quotidien britannique. Il a été initialement prévu que les batteries seraient développées et produites en internes mais toutes les options demeurent possibles. Dyson envisage en tous cas de concurrencer à terme Jaguar, Audi et Tesla.

Fin des poursuites judiciaires ? Pas tout à fait

Une nouvelle enquête du département de la justice américaine (DOJ) serait actuellement en cours. Selon le Wall Street Journal, le FBI aurait lancé une enquête pour déterminer si Tesla a volontairement « gonflé » les volumes de production du Model 3 communiqués aux actionnaires.

S'agit-il encore d'une information trompeuse diffusée aux investisseurs ? Toujours d'après le WSJ, l'enquête remonterait même aux chiffres de 2017. Cette nouvelle enquête intervient donc après celle de la SEC déclenchée par le fameux tweet du 7 août 2018 dans lequel Elon Musk avait annoncé qu'il envisageait le retrait de Tesla de la bourse à 420$ avec un financement garanti et sur lequel il s'était ensuite rétracté.

Rappelons-le, le patron de Tesla avait alors été sanctionné par le gendarme de la bourse américaine pour informations mensongères. Il avait été contraint à démissionner de son poste de président du conseil d'administration de Tesla et à payer une amende de 20 millions de dollars.


À lire aussi : Elon Musk, ou les dérives du culte de l'entrepreneur


Après avoir traversé une année extrêmement difficile qui l'aurait conduit au bord du burn-out, Elon Musk semble pouvoir aujourd'hui célébrer une victoire : celle d'avoir réussi à accélérer la production de 100 000 à plus de 340 000 véhicules par an. Les investissements conséquents réalisés dans les Gigafactory I et II lui ont permis, avec sa Model 3, de devenir le premier constructeur de véhicules électriques mondial au troisième trimestre 2018.

Mais combien de temps ce succès peut-il durer ? Et dans quelles conditions ? Un challenge ardu attend Jérôme Guillen, le Français devenu, en septembre 2018, le second d'Elon Musk. Celui qu'on surnomme déjà « The Fixer » (Trad. : « le réparateur » réussira-t-il à aider Tesla, toujours sous le viseur des autorités américaines, à relever les défis de production et de logistique dans un contexte de concurrence accrue et de tension entre la Chine et les États-Unis ?

The Conversation _______

 Par Isabelle ChaboudProfesseur associé d'analyse financière, d'audit et de risk management, Grenoble École de Management (GEM)

La version originale de cet article a été publiée sur The Conversation

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Commentaires 5
à écrit le 09/11/2018 à 11:48
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Ce résultat trimestriel de ventes a été obtenu en réalité grâce à 2 années et demi de commandes accumulées qui n'avait pas été livré... On verra la vraie demande lorsque les commandes "en souffrance" auront été livrés. Lorsqu'on voit les ventes de Mo...

à écrit le 07/11/2018 à 15:28
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Bonjour madame, vous omettez un point essentiel quand vous pointez le risque que représentent pour Tesla les nouveaux venus sur son marché: ils n'ont pas de réseau de recharge et n'en auront pas avant plusieurs années pour être au niveau du réseau...

à écrit le 07/11/2018 à 10:51
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Musk s'est vendu à la finance américaine, sa liberté perdue lui vaudra la pérennisation de son entreprise. Il serait temps quand même d'englober la dérive financière qui fait que ce n'est pas parce qu'une entreprise et bonne ou pas qu’elle foncti...

le 07/11/2018 à 16:27
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Faut savoir que Tesla Motors est l'une des entreprises qui a été le plus shortée (action vendue à découvert), attaquée médiatiquement et mal vue par une partie de la finance ! Les banquiers ne font pas nécessairement la pluie et le beau temps (en ord...

le 08/11/2018 à 17:13
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"Les banquiers ne font pas nécessairement la pluie et le beau temps (en ordre dispersé !)." Aux états unis non en effet, mais en UERSS, oui hélas...

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