Vous avez innové  ? Attendez (un peu) avant de vous lancer !

Si la réussite des entreprises de la Silicon Valley est devenue un modèle pour tous, elle marche surtout pour les entreprises du net. Pour les entreprises plus classiques qui innovent, le meilleur moyen de gérer l'incertitude, c'est de l'éviter ! Pour cela, il y a une voie médiane à suivre consistant à agir et observer. Par Charles Cuvelliez, Université de Bruxelles.
Charles Cuvelliez.

Avec Internet et les réseaux sociaux où tout se sait et se juge vite, lancer un produit qui ne corresponde pas à 100% aux besoins de vos clients est très risqué. Si 80 % des CEO (chief executive officer) sont persuadés que leurs produits sont les meilleurs, seuls 8 % des leurs clients sont d'accord. En 2018, plaire à ses clients est devenu aléatoire car la rapidité des changements technologiques et surtout de leur fréquence ont ajouté un climat d'incertain intense. Anticiper les besoins de vos clients , c'est un vrai pari que la plupart des sociétés prennent pourtant le risque de faire.

Le premier arrivé rafle la mise... sur Internet

C'est qu'on apprend, depuis toujours, dans les MBA qu'être le premier sur un marché confère un avantage concurrentiel. Les success stories d'Internet nous le disent : le premier arrivé rafle toute la mise. Sauf qu'Internet, ce n'est pas représentatif de toute l'industrie, le coût d'expérimentation y est moindre et il est si facile de lever des capitaux.

Ailleurs que sur Internet, le lancement de produits nécessite des capitaux et suivre la Silicon Valley est un vrai pari dans l'incertain. C'est lancer à tout crin de nouveaux produits pour lesquels il n'y a pas de demande mais avec l'espoir qu'ils vont créer une attraction irrésistible et un marché. On ne compte plus les avions remplis de comités de direction qui vont s'inspirer des méthodes de la Silicon Valley. Sauf que si imaginer et créer un iPhone était si simple, Apple ne serait pas si seul au Panthéon des capitalisations à plus de 1.000 milliards de dollars. Il y a eu plein de sociétés qui ont eu des idées trop tôt, de celles qui font les licornes aujourd'hui, sauf qu'elles sont tombées en faillite. Tous les Deliveroo, Hello Fresh and Co ont eu leurs précurseurs malheureux. Foncer n'est pas la solution. Google comme Facebook ont des centaines de projets qui ont été mis à la poubelle et qui les auraient mis en faillite si elles n'avaient pas la taille d'aujourd'hui. Se précipiter dans le blockchain pourrait conduire à se réveiller avec la gueule de bois : la CNIL vient d'exprimer son questionnement sur la compatibilité entre le RGPD et cette innovation : certains blockchains devront revoir leur copie.

Que faire alors ? Le meilleur moyen de gérer l'incertitude quand on est un industriel, c'est de l'éviter ! Car l'incertitude, forcément, diminue avec le temps, ce qui ne veut pas dire qu'il faut être passif (wait and see). Car attendre et observer, c'est perdre du temps et risquer de ne pas détecter à temps le concurrent qui prendra une avance irréversible.

Act and see

Il y a une voie médiane : agir et observer (act and see). Tester, jauger, expérimenter est désormais possible à petite échelle avec tout ce que l'IT permet en design, simulation, production à petite échelle, prototypage, toutes ces techniques qui donnent enfin au concept de développement agile toute sa substance au lieu d'être un mantra. Le succès de Zara dans la confection ne tient pas à sa rapidité à mettre en magasin ou sur ses sites les nouvelles collections mais à la justesse avec laquelle il arrive à sentir ce que veulent ses clients, au travers des nouvelles collections qui arrivent en continu, quitte à faire des essais-erreurs. Tout le monde l'a suivi au point que seuls les grands couturiers s'en tiennent encore aux deux collections par an (uniquement pour justifier leur grand messe). L'e-commerce qui ne se satisfait pas du statique : retourneriez-vous sur un site quand, après 3 visites, vous y voyez toujours la même chose ?

Une stratégie d'expérimentation en continu permet à l'entreprise de réduire le niveau d'incertain en interne : cette connaissance de ce qui marche ou pas à petite échelle s'accumule. Elle décourage les concurrents qui, s'ils n'ont pas pris le même pli, auront peur d'expérimenter. C'est en situation de crise qu'il faut y aller car les concurrents sont alors tétanisés et font l'inverse : ils réduisent les coûts au lieu de réorienter l'organisation à faire plus de R&D. Les champions de demain naissent des crises d'aujourd'hui. Un Amazon a failli disparaître lors de la bulle de l'an 2000 mais il a tenu bon en imaginant d'autres manières de faire tout comme Netflix.

Une erreur de nombreuses organisations est de séparer la technique ou même la technologie du marketing : tout le monde connait une histoire du produit techniquement génial mis au point par les ingénieurs mais qui ne servent à rien pendant qu'au même moment de tout aussi brillants marketeers imaginaient le service qui allait tout rafler mais impossible à fabriquer. Tester et expérimenter passe d'abord par forcer ces deux profils qu'on a toujours séparés à vivre ensemble.

Tout cela n'est pas tellement éloigné de l'expérimentation scientifique : les expériences modernes demandent tellement de fonds que les scientifiques ont pris l'habitude d'exploiter les données des expériences précédentes, de découvrir les relations de cause à effet, de collecter les idées de tout le monde avant de démarrer la construction d'un nouvel accélérateur de particule. Un bel exemple de act and see qui finit souvent par un Prix Nobel. Engager des gens techniquement brillants, cela ne suffit plus. Ils doivent être des expérimentateurs confirmés.

Nouveaux marchés et marchés matures

Lancer de nouveaux produits dans un marché mature, ce n'est pas la même chose que les lancer dans un marché naissant. Dans ce dernier cas, bien sûr, il faut tout tester car rien n'est acquis mais dans une industrie mature, on serait bien mal inspiré de exploiter sa profonde expérience du secteur et d'y découvrir, dans ce qui ressemble à une industrie assoupie, les voies de croissance explosive. L'industrie automobile nous en donne un bel exemple : c'est la voiture électrique qui compte, pas une la réduction du CO2. On dirait que l'industrie automobile ne connaitra pas le sort de l'industrie des voitures à cheval et il se peut que Elon Musk aura foncé trop vite trop tôt (on ne le lui souhaite pas).

Pour savoir dans quelle direction « act and see » se lancer, un indicateur est bien utile : le rapport apprentissage sur coût de R&D c'est-à-dire l'efficacité avec laquelle la société apprend et diffuse la connaissance qui vient de sa R&D. La société sait peut-être faire de la R&D mais ne sait rien en aire. Elle fait mieux alors d'adopter une stratégie « wait and see ».

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Pour en savoir plus :

How to Launch Products in Uncertain Markets, Jan-Michael Ross and Jan Hendrik Fisch, Magazine: Fall 2018 Issue (August 08, 2018), MIT Sloan management review.

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Commentaires 2
à écrit le 01/10/2018 à 14:34
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"Tout cela n'est pas tellement éloigné de l'expérimentation scientifique" En effet mais c'est terriblement éloigné de la pensée néolibérale financière voulant qu'il faut faire le maximum d'argent en un minimum de temps. Bref c'est de la pensé...

à écrit le 01/10/2018 à 12:41
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y a plein d'outils pour limiter les risques........ allez en parler a es chefs d'entreprises et a des ingenieurs responsables de la production de leur produit....... on commence par vous traiter de con, on vous dit que c'est inutile, que le chef d'e...

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