Une défense européenne au seuil de l'autonomie passe par un pilier européen fort dans l'OTAN

Le constat est sans appel pour le groupe Mars : la défense européenne n'est pas aujourd'hui autonome. Elle est même très dépendante des Etats-Unis. C'est pour cela que Mars préconise un pilier européen fort dans l'OTAN, seule alliance à assurer la défense de l'Europe (hors nucléaire). Ce qui permettrait à l'Europe d'être au seuil de l'autonomie. Par le groupe de réflexions Mars.
L'Union européenne et ses États membres auraient dans l'immédiat et à court terme beaucoup de difficultés au niveau capacitaire à faire face à un affrontement de haute intensité de manière souveraine et autonome (groupe de réflexions Mars)
"L'Union européenne et ses États membres auraient dans l'immédiat et à court terme beaucoup de difficultés au niveau capacitaire à faire face à un affrontement de haute intensité de manière souveraine et autonome" (groupe de réflexions Mars) (Crédits : DADO RUVIC)

Lors de son adresse aux Français du 2 mars, le président Emmanuel Macron a annoncé qu'il « réunira les 10 et 11 mars prochains à Versailles les chefs d'État et de gouvernement, européens lors d'un sommet qui aura » à prendre des décisions notamment sur « une nouvelle étape » pour la défense européenne. En effet, l'Europe, « Puissance de paix », ne peut « pas dépendre des autres pour [se] défendre que ce soit sur terre, sur mer, sous la mer, dans les airs, dans l'espace ou le cyberespace ». Ce sommet est une étape importante. Certes un nouveau « paquet Défense » pour la consolidation de la défense européenne devait être annoncé au cours de la présidence française du Conseil de l'Union européenne. Mais l'offensive illégale et désastreuse lancée par les autorités russes en Ukraine le 24 février a changé la donne.

L'Union européenne a montré une capacité à agir vite

Tout d'abord, l'Union européenne a affiché une capacité à agir rapidement et de manière unifiée sur un dossier politico-militaire à de multiples dimensions. Cette réaction rapide et forte montre que, quand elle le doit, dans des contextes de crise de haute intensité, l'Union Européenne peut agir d'une seule voix.

Ensuite, l'Union européenne a pris des mesures coercitives inédites dans de nombreux domaines, largement relayées dans les médias. Au niveau de la défense, on retiendra notamment la décision de financer l'achat et la livraison de moyens létaux - étape que l'Union avait refusé de franchir jusque-là malgré les moyens à sa disposition.

Enfin, beaucoup d'États membres de l'Union européenne, Allemagne en tête, ont d'ores et déjà décidé d'augmenter significativement leurs budgets de défense, afin de se rapprocher voire de dépasser l'objectif des « 2% du PIB » dans la défense fixé par l'OTAN.

Cette agression tragique en Ukraine et les décisions importantes prises par l'Union Européenne et ses membres ouvrent de nouvelles perspectives pour la Défense européenne, et la possibilité d'une « nouvelle étape ».

La défense européenne n'est pas aujourd'hui autonome

Mais la France ne doit pas se tromper d'objectif à court terme. La doxa française, souvent rappelée, y compris récemment dans cette campagne électorale qui se cherche, est de promouvoir une défense européenne autonome et souveraine comme objectif. Si cette autonomie et souveraineté doivent être un objectif de très long terme pour l'Europe, elle ne doit pas être un espoir, voire pire une condition de cette « nouvelle étape ». Pour deux raisons simples.

Primo, l'Union européenne et ses États membres auraient dans l'immédiat et à court terme beaucoup de difficultés au niveau capacitaire à faire face à un affrontement de haute intensité de manière souveraine et autonome. En plus des capacités limitées de chaque pays européen - le récent rapport de l'Assemblée nationale pointe par exemple quelques limites des forces françaises -, des capacités critiques pourraient faire défaut, car otaniennes ou sous validation ou contrôle américain. C'est le cas par exemple du contrôle aérien militaire à l'échelle de l'Europe, coordonné au niveau de l'OTAN par l'Air Command and Control System (ACCS). Ou encore tout simplement de beaucoup d'équipements de fabrication américaine : l'utilisation des avions de combat F-35 ou de la majorité des munitions des avions de combat de fabrication américaine sont par exemple soumis à validation préalable par les Etats-Unis.

Secundo, la majorité des partenaires européens n'en veulent pas. Pour ces pays, notamment à l'est de l'Europe, l'OTAN reste le fondement de leur sécurité pour les conflits de haute intensité. Et compte tenu de l'attitude récente de la Russie, cette position, existentielle, ne changera pas rapidement. L'OTAN présente un double avantage pour les Alliés : elle confère à des forces fragmentées entre différents pays un effet de masse dissuasif et elle inclut une composante de dissuasion nucléaire comme garantie ultime pour la sécurité des intérêts vitaux. Sans oublier que la « mort cérébrale » de l'OTAN est pour beaucoup vue comme un avantage. En effet, là où l'Union européenne a dans son essence même une logique d'intégration progressive des compétences nationales, y compris régalienne, dans une organisation supranationale, l'OTAN est et restera toujours limitée à une alliance politico-militaire entre membres égaux - d'accord, certains plus que d'autres - et politiquement souverains.

Pourtant, se cacher derrière l'OTAN, en priant pour le meilleur, n'est pas entièrement satisfaisant. Ce serait ignorer le risque du désengagement américain de l'Europe, soit pour des enjeux de politique intérieure, soit tout simplement par un engagement des forces américaines en Asie, ne permettant plus aux Etats-Unis d'assurer la sécurité de l'Europe autrement que par la dissuasion nucléaire.

OTAN : un pôle européen fort, au seuil de l'autonomie

Pour concilier ces impératifs contraires, cette « nouvelle étape » devrait être un pas pour obtenir une « pôle européen » fort dans l'OTAN - fort au niveau politique, stratégique, capacitaire et industriel -, « au seuil » de l'autonomie. « Au seuil » ? L'idée de seuil se comprend bien dans le concept d'État « du seuil nucléaire ». Un État « du seuil nucléaire » est un État qui ne possède pas l'arme nucléaire mais qui a les capacités techniques, militaires et industrielles pour détenir une arme nucléaire opérationnelle en quelques mois.

Puisque l'OTAN est à ce jour le fondement de la sécurité des pays européens pour les conflits de haute intensité, l'objectif de la défense européenne doit être d'avoir une Europe assez forte sur les plans politiques, stratégiques, capacitaires et industriels pour assurer rapidement une défense autonome et souveraine dans l'hypothèse où l'alignement entre Européens et Américains ne permette plus à l'OTAN de garantir la sécurité en Europe. A l'inverse donc d'un retrait du commandement intégré de l'OTAN souhaité par certains, c'est au contraire vers un renforcement de l'OTAN, par la consolidation d'un « pôle européen » structuré qu'il serait pertinent d'aller.

Au début de l'invasion russe en Ukraine, l'Europe a montré qu'elle pouvait être forte politiquement, en réactif : elle a montré qu'elle pouvait facilement combiner des actions coercitives non-militaires au niveau de l'Union européenne avec des actions militaires au niveau de l'OTAN pour le renforcement du flanc Est, combinant judicieusement plusieurs dimensions de la guerre hybride. L'Europe doit maintenant construire cette approche de manière proactive, progressive.

Nouvelle étape versus vieux réflexes

La « nouvelle étape » souhaitée par le Président Macron doit confronter nos « vieux réflexes ». Cette « nouvelle étape » ne va pas de soi et certains « vieux réflexes » doivent être écartés ou confrontés rapidement. Le premier pourrait être appelé le « réflexe stratégique français ». En France, la défense, pour la protection des intérêts vitaux de la Nation, est nécessairement autonome et souveraine. Ce principe est ancré profondément dans notre vie politique, et la dissuasion nucléaire en est une de ses expressions. Il est commun à tous les candidats à l'élection présidentielle. Et la tentation est forte, et légitime, de vouloir appliquer ce principe au niveau européen.

Cependant, il est loin d'être partagé au niveau européen, où beaucoup de pays ont renoncé à leur autonomie stratégique. Il est grand temps de comprendre nos partenaires européens sur ce sujet, et de ne plus mettre la nécessité d'une souveraineté européenne, construite en dichotomie voire en opposition de l'Alliance atlantique, comme condition sine qua non pour une stratégie ambitieuse et crédible pour la défense européenne. En positionnant l'OTAN comme pilier principal pour la sécurité en Europe face au risque de conflit de haute intensité - ce qui écartera de facto à court terme la dissuasion nucléaire, sujet polémique dans plusieurs pays et dont la décision d'emploi doit rester national -, le renforcement politique et capacitaire de la défense européenne n'en sera que facilitée.

Mais ce développement des capacités des pays européens comprend lui aussi un risque intrinsèque. La crainte générée par l'offensive russe en Ukraine pourrait pousser de nombreux partenaires européens à choisir l'habituelle solution de facilité : s'équiper de capacités américaines ou sous contrôle américain (ITAR...). Ces capacités, certes souvent rapidement disponibles, permettent « d'acheter sa sécurité » mais marqueraient l'échec d'une défense européenne forte. Le renforcement capacitaire décidé par les pays européens doit donc s'accompagner d'une véritable ambition capacitaire européenne et d'une politique industrielle sérieuse.

Il est clair qu'à court et moyen terme, beaucoup d'équipements américains continueront à équiper les forces européennes. Mais la « nouvelle étape » doit marquer un renouveau pour les grands projets capacitaires européens visant à assurer un haut niveau d'interopérabilité des forces européennes ou encore à développer ou produire pour la communauté des capacités critiques. Ce pourrait notamment être le cas des missiles hypervéloces ou de capacités de cyberguerre. La majorité des moyens et des véhicules pour de tels projets capacitaires ambitieux existent. Il ne reste qu'une volonté politique forte pour les utiliser. La France doit être force de proposition pour cette « nouvelle étape ».

Il est évident également que les exercices majeurs de préparation aux conflits de haute intensité seront otaniens, les normes d'entraînement seront otaniennes et les standards d'interopérabilité seront otaniens mais cela est tout à fait compatible d'un « pôle européen » fort tant que l'Europe et la France ne désertent pas les commissions d'experts et les exercices et y contribuent activement.

Un outil industriel européen résilient, voire redondant

Enfin, bien que la politique industrielle soit le parent pauvre des actuelles politiques néo-libérales, celle-ci ne doit pas être négligée, ni au niveau national, ni au niveau européen. Elle doit permettre de mettre en place un outil industriel performant et réactif - pour produire et/ou remplacer rapidement des capacités jugées nécessaires -, innovant - pour maintenir des capacités au niveau des menaces -, résilient voire redondant - capable de produire même après une attaque -, à l'échelle européenne - pour assurer un niveau de production important ainsi qu'une acceptabilité politique et sociale - et aussi autonome que possible.

L'exercice est complexe, tant de mauvaises expériences l'ont montré. Et les difficultés actuelles sur l'avion de combat SCAF ou le char de combat MGCS le montrent encore. Mais une politique industrielle sérieuse et cohérente reste essentielle à la consolidation d'un « pôle européen » fort. Deux écueils en particulier sont à éviter. D'un côté, l'abandon de compétences ou de capacités industrielles sans contrepartie de même nature au nom d'un objectif politique jugé honorable - la France a souvent tendance à placer ses objectifs politiques au-dessus de ses objectifs industriels. Certains de nos partenaires, Allemagne, en tête, non. Ne l'oublions pas.

De l'autre, l'absence de consolidation de l'industrie européenne dans des grands champions à l'échelle européenne. Ces rapprochements industriels ne sont pas impossibles, à l'image de MBDA dans le domaine des missiles, mais les Européens y sont réticents. Toujours est-il que compte tenu de la taille du marché européen, il sera difficile de conserver 5 chantiers navals majeurs ou 4 producteurs de radar de combat par exemple répondant aux critères ci-dessus. La consolidation est nécessaire et sera progressive, mais les Européens doivent profiter de cette « nouvelle étape » pour établir des principes communs facilitant cette consolidation tout en respectant les contraintes de souveraineté et les expertises de chacun.

L'attaque délibérée de l'Ukraine par la Russie a rappelé à beaucoup de citoyens et de dirigeants politiques européens que la guerre en Europe était toujours possible et qu'une défense forte de l'Europe était nécessaire. Chaque pays doit contribuer. Reste à s'accorder sur la consolidation de ces contributions à l'échelle de l'Europe. Et sur ce point, la France ne doit pas se tromper d'objectif.

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(*) Le groupe Mars, constitué d'une trentaine de personnalités françaises issues d'horizons différents, des secteurs public et privé et du monde universitaire, se mobilise pour produire des analyses relatives aux enjeux concernant les intérêts stratégiques relatifs à l'industrie de défense et de sécurité et les choix technologiques et industriels qui sont à la base de la souveraineté de la France.

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Commentaires 12
à écrit le 11/04/2022 à 0:51
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Oui, un pilier fondamental pour l'OTAN, puisque sous son égide, qui dans un contexte de futures "guerres préventives" auxquelles les USA sont accoutoumés, Pourquoi pas la prochaine étape (Taiwan?) où l'Otan pourra envoyer "ses hommes européens" dans ...

à écrit le 07/03/2022 à 19:08
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Bonjour, N'importe comment nous ne pouvons nous privée de l'OTAN actuellement... Mais ils nous faut un pilier forts militairement, histoire de maintenir notre sécurité immédiate... Ensuite, comme beaucoup de nation sont OTAN site , nous ne souhait...

à écrit le 07/03/2022 à 14:12
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On ne va pas assez loin ! Y'en a marre de la défense, il est tant de reprendre l'offensive ! Je veux avoir dès la semaine prochaine un plan réaliste de neutralisation de la Russie ! Oui ! il s'agit de désactiver cette menace permanente inacceptable...

à écrit le 07/03/2022 à 10:20
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Bonjour Se n’était pas le groupe Mars qui écrivait ,qu’il fallait se rapprocher de la Russie?? On voit le résultat , encore des génies !!

à écrit le 07/03/2022 à 9:23
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L’Europe se doit d'assurer toutes ses politiques en toute indépendance en relation avec ses amis.. L'OTAN est une ligne Maginot face à la Russie et à la Chine.. A méditer : Les responsables des guerres ne sont pas ceux qui les déclenchent mais ceux q...

le 07/03/2022 à 9:42
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Ligne Maginot? un bon exemple? Pour ce qu'elle a servi? Europe de la Défense : qui commande? le Président français n'est plus chef des Armées? pour se transfert de souveraineté : un référendum ? un Congrès à Versailles? sous le coup de l'émotion beau...

à écrit le 07/03/2022 à 8:41
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De toutes façons les allemands feraient n'importe quoi avec une armée on ne peut raisonnablement pas leur en confier une, qu'ils paient pour leur sécurité oui mais qu'ils ne commandent surtout pas. Les deux seules armées crédibles sont l'armée frança...

le 07/03/2022 à 16:01
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Effectivement il existe deux seules armées dans l'UE la notre et celle de l'Italie (l'armée anglaise n'est plus dans l'UE -BREXIT-et n'est plus l'armée des années 1955-60 voir le niveau de sa marine ...) c'est pour cela que Macron a signé le Traité ...

le 07/03/2022 à 17:10
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L'armée italienne sans rire ? Ouais ben je mise 100 fois plus sur l'armée anglaise, je sais pas pourquoi hein comme ça... ^^

le 07/03/2022 à 23:41
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Je suis tout à fait d'accord avec les arguments de Mr Klein, en défense classique l'armée italienne, qui a été de tout les combats au Kosovo au Liban en Iraq en Afghanistan en Afrique aujourd'hui en force en Roumanie et dans les pays baltes, est bien...

le 08/03/2022 à 8:45
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@ multipseudos: "Je suis tout à fait d'accord avec les arguments de Mr Klein" Oui tu es d'accord avec toi même donc et c'est vrai que c'est bien d'être en accord avec soi-même mais l'armée italienne qui guide une défense européenne aurait du sens en ...

à écrit le 07/03/2022 à 8:20
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Quel commandement ? Jamais un accord ne pourra se faire.

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