Inondations dans le Pas-de-Calais  : curer les canaux est-elle vraiment la solution pour éviter les crues ?

En l'espace de trois mois, le département du Pas-de-Calais a été frappé deux fois, en novembre et en ce début janvier, par des crues dévastatrices. Des inondations jamais vues, dues aux précipitations exceptionnelles attribuées intuitivement au réchauffement climatique mais aussi la conséquence d'une topographie très particulière et unique en France. Décryptage.
Entre le 1er novembre et 8 janvier, l'IIW a évacué 604 millions de mètres cubes dont 300 millions par gravité (avec les portes des écluses grandes ouvertes à marée basse) et 304 millions via les pompes en place sur le littoral dans les villes de Marck, Calais, Gravelines, Mardyck et Dunkerque, renforcées par les méga-pompes mises en place dans l'urgence par l'Etat.
Entre le 1er novembre et 8 janvier, l'IIW a évacué 604 millions de mètres cubes dont 300 millions par gravité (avec les portes des écluses grandes ouvertes à marée basse) et 304 millions via les pompes en place sur le littoral dans les villes de Marck, Calais, Gravelines, Mardyck et Dunkerque, renforcées par les méga-pompes mises en place dans l'urgence par l'Etat. (Crédits : Institution Intercommunale des Wateringues)

Ici, ce n'est pas un secret : le triangle entre Saint-Omer, Calais et Dunkerque n'est autre qu'un... polder ! Autrement dit, un aménagement réalisé par l'homme pour gagner des terres sur l'eau et mis en place au Xème siècle. Ce territoire, qui compte 430.000 habitants et 1.500 kilomètres de voies d'eau, adopte la physionomie d'une baignoire. « Avec des côtés qui descendent en pente, un fond qui constitue le polder et une bonde d'évacuation au bout qui seraient les stations de pompage vers la mer », compare Frédérique Barbet, adjointe au directeur de l'Institution intercommunale des « wateringues » (IIW), le terme flamand désignant les zones basses des polders assainies par l'homme.

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Alors quand il pleut trop fort et trop longtemps, comme en novembre dernier et en ce début janvier, la « baignoire » déborde. « Dans ce genre de crue, la première cause du débordement, ce sont les précipitations, qui sont tombées sans discontinuer sur un sol déjà saturé par les pluies de novembre, et avec des nappes phréatiques déjà pleines », poursuit Frédérique Barbet. Les niveaux de pluies sont restés importants ces trente derniers jours, avec plus de 100 millimètres sur le polder et 160 mm sur l'amont du bassin versant. Au total, du 15 octobre au 2 janvier, les niveaux de pluie étaient plus de 2,5 fois supérieurs la normale, selon Météo France. Entre le 1er et le 14 novembre, il faut imaginer que ce sont trois mois de précipitations habituelles pour la saison qui sont tombées... en seulement 15 jours !

 Quantités d'une année évacuées en trois mois

Les quantités d'eau rejetées vers la mer ces derniers mois sont impressionnantes. Entre le 1er novembre et 8 janvier, l'IIW a évacué 604 millions de mètres cubes dont 300 millions par gravité (avec les portes des écluses grandes ouvertes à marée basse) et 304 millions via les pompes en place sur le littoral dans les villes de Marck, Calais, Gravelines, Mardyck et Dunkerque, renforcées par les méga-pompes mises en place dans l'urgence par l'Etat. Pour avoir une idée de comparaison, entre 2020 et 2022, c'étaient 620 millions de m3 d'eau en moyenne rejetés par an à la mer. « Dans les années les plus critiques connues (1999, 2009 et 2021), nous avions pompé 100 millions de m3, c'est donc trois fois plus en un mois qu'en un an », compare Frédérique Barbet.

Avec un énorme problème de surcoût à la clef. « Ces pompes géantes fonctionnent en continu depuis fin octobre avec de l'électricité : une facture de 4 millions d'euros va tomber alors que notre budget total de fonctionnement à l'année est de 4,7 millions de fonctionnement à l'année », calcule l'adjointe au directeur de l'Institution intercommunale des wateringues. Pour l'instant, le Premier ministre Gabriel Attal a annoncé, juste après sa nomination à Matignon, des aides pour les surcoûts énergétiques.

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  Millefeuille administratif pour la gestion

Pour Allan Turpin, maire (Sans étiquette) d'Andres dans le Pas-de-Calais et président de l'association Stop Inondations Pas-de-Calais, les inondations sont également le résultat du ruissellement des eaux dans la « cuvette », due à l'urbanisation et l'artificialisation des sols mais également provoquée par les nouvelles méthodes agricoles qui laissent des plaines vides. « L'entretien des waterings (appelés aussi watergangs) est aléatoire : par exemple, sur ma commune, nous avions souhaité renforcer les berges. La section en charge de l'entretien a tout simplement déclassé cette voie d'eau pour ne plus avoir à l'entretenir : l'intercommunalité n'a pas souhaité prendre en charge les travaux, et a donc délégué les travaux à notre municipalité, en nous octroyant 30.000 euros de subvention alors que les travaux représenteraient un investissement de 395.000 euros ! »

Le maire de cette commune de 1.500 habitants ne décolère pas. « Un rapport de la Cour des compte fait état de réseaux en très mauvais état, de berges au point de s'effondrer, de stations de pompage datant d'une quarantaine d'années. A Andres, nous avons déjà été inondés en 2006 et rien n'a été entrepris depuis », résume l'élu qui souhaite faire « exploser le mille-feuille des acteurs impliqués ». Dans la gestion du polder, on trouve donc le syndicat mixte Institution intercommunale des wateringues, créé en 1977, qui avait pour mission au départ d'évacuer l'eau du polder vers la mer et qui est, depuis peu, en charge du réseau primaire, à savoir les artères principales du polder ; 13 « sections » de wateringues du Pas-de-Calais, qui s'occupent des branches secondaires ; les Voies navigables de France qui, par définition, sont là pour faciliter le passage des bateaux ; les agriculteurs, en tant que propriétaires privés, très largement impliqués dans les « sections ».

 Prendre en compte les situations particulières

« Quand trop de personnes doivent gérer, personne ne décide », poursuit Allan Turpin, qui demande instamment « une institution gouvernante intégrant toutes les communes afin d'intégrer toutes les situations particulières ». Pour le premier édile, il faut non seulement laisser les pompes additionnelles en place mais également modifier en profondeur les plans de gestion des eaux. « La fixation des niveaux d'eau du watergang qui traverse notre commune est bien trop haut : il a été déterminé sans aucune concertation avec nos communes ».

Au-delà de cette gouvernance unifiée, quelles seraient les solutions pour éviter ces crues ? La réponse globale est complexe car la gestion des crues repose sur des digues (remblais construits le long des côtes pour protéger les terres des inondations marines), des ouvrages hydrauliques tels que des écluses, des vannes et des pompes mais aussi sur un certain entretien des canaux artificiels, à commencer par les fameux curages des waterings, qui s'est récemment invité dans le débat politique régional. Si la nature sait faire naturellement les choses, tout ce qui est a été bâti de la main de l'homme demande souvent un certain entretien.

« Difficile de tout casser sans réfléchir, ce sont des travaux en eau très compliqués dont nous nous n'avons pas encore les contours précis », résume Frédérique Barbet, de l'Institution intercommunale des wateringues. « Il sera nécessaire d'une part améliorer les capacités de pompes qui datent d'une quarantaine d'années mais il faut également travailler sur les afflux d'eau depuis l'amont : ralentir les écoulements des eaux, augmenter les capacités de stockage de l'Aa, créer des zones d'expansion de crues... Idem pour le curage, curer les sédiments au fond de l'eau, c'est « guérir » mais l'objectif est d'identifier d'où viennent les sédiments et mettre en place des moyens d'éviter qu'ils ne viennent encombrer les canaux ».

 Pour quels financements ?

Si aujourd'hui l'Institution intercommunale des wateringues (IIW) s'est déjà mise au travail pour évaluer les travaux à mener : ils devraient être de l'ordre de 40 millions d'euros pour les seuls 140 kilomètres en gestion, sur les 1.500 que compte le territoire. Le problème restera l'argent, le budget d'investissement depuis 2022 n'étant que... de 400.000 euros issus des taxes GEMAPI (compétence de la gestion des milieux aquatiques et de prévention des inondations) versées par les cinq intercommunalités. Ce qui sera donc loin d'être suffisant ni pour les réseaux principaux, et encore moins à l'échelle du polder.

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Commentaires 2
à écrit le 13/01/2024 à 18:39
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Il faut sans doute le faire mais ça ne suffira pas. Quand on a une cuvette qui se remplit il n'y pas 3 solutions. Il y en a 2, soit il y a une bonde de fond et l'eau s'en va...si la bonde est assez grosse!, soit on pompe et on rejette au delà des bor...

à écrit le 13/01/2024 à 12:39
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cela fait parti des mesures correctives ainsi que la fabrication de digues et de leurs entretiens si les rivières étais curée et nettoyer régulièrement mais voila les écolos et autre parasite de la societe manifeste pour la protection des oeufs ...

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