À Marseille, "le maire avait la possibilité juridique de faire réaliser d'office des travaux"

Agrégé de droit public, professeur à l’université Jean Moulin - Lyon 3 et consultant de l’étude 14 Pyramides notaires, Hervé de Gaudemar décrypte les arrêtés de péril pris avant l'effondrement des 63 et 65 rue d'Aubagne, à Marseille.
Hervé de Gaudemar est professeur à l’université Jean Moulin - Lyon 3.
Hervé de Gaudemar est professeur à l’université Jean Moulin - Lyon 3. (Crédits : DR)

LA TRIBUNE - Propriété de Marseille Habitat, le 63 rue d'Aubagne était sous le coup d'un arrêté de péril imminent depuis dix ans. Concrètement, qui aurait pu éviter ce drame ?

HERVÉ DE GAUDEMAR - Marseille Habitat est une société d'économie mixte. Du point de vue de la personnalité juridique, elle se distingue donc de la ville de Marseille. Les pouvoirs de police que le maire détient au titre de la législation sur les bâtiments menaçant ruine peuvent donc s'exercer sur Marseille Habitat. Mais dans la mesure où la ville de Marseille en est l'actionnaire majoritaire, les moyens de police n'étaient sans aucun doute pas les plus appropriés à son égard.

D'après les éléments que j'ai pu recueillir dans la presse, Marseille Habitat serait devenue propriétaire de l'immeuble en 2017 à la suite d'une procédure d'expropriation. L'arrêté de péril remonterait quant à lui à 2008, à une époque où l'immeuble était en copropriété. Je n'ai pas consulté cet arrêté, mais l'existence d'une procédure d'expropriation laisserait à penser qu'il s'agissait d'un arrêté de péril ordinaire, et non pas d'un arrêté de péril imminent, et qu'il était assorti d'une interdiction définitive d'habiter.

Marseille Habitat est devenue propriétaire en avril 2017 d'un immeuble vide déjà frappé par un arrêté de péril, précisément pour mettre fin à l'inaction de ses anciens copropriétaires. À première vue, il paraît donc difficile de lui reprocher de ne pas avoir agi et cela d'autant plus que des travaux semblaient avoir été programmés. En revanche, si l'enquête judiciaire en cours devait montrer que l'effondrement du 63 rue d'Aubagne a été lié à des vices qui lui sont propres, et non pas à l'effondrement de l'immeuble voisin (celui du 65 rue d'Aubagne), la responsabilité de la ville de Marseille pourrait plus facilement être recherchée car le maire avait la possibilité juridique de faire réaliser d'office les travaux qui ne l'ont pas été par les anciens copropriétaires.

Le premier étage du numéro 65 avait, lui, fait l'objet d'un arrêté de péril imminent en octobre dernier. Comment cela est-ce possible pour seulement un étage et pas l'ensemble de l'immeuble ?

N'ayant pas consulté cet arrêté de péril et ne connaissant pas la situation de l'immeuble, il m'est difficile de répondre à cette question. Mais d'un point de vue général, il est parfaitement concevable que l'arrêté de péril imminent puisse ne porter que sur un étage du bâtiment si l'expert désigné par le tribunal a estimé que seul cet étage présentait un péril grave et immédiat.

Il faut par ailleurs avoir à l'esprit que si les pouvoirs de police du maire en cas de péril imminent lui permettent d'agir en urgence pour ordonner des mesures provisoires, ces pouvoirs sont aussi très contraignants pour les propriétaires. Ils sont dès lors limités aux travaux nécessaires. En l'occurrence, il a vraisemblablement été estimé que seul le 1er étage présentait un danger, notamment pour ses occupants. Mais, comme je vous l'ai indiqué, je ne peux pas réellement m'avancer sur ce point.

Le maire de Marseille, Jean-Claude Gaudin, a sans cesse évoqué des « procédures trop longues ». Quelles sont les principales étapes de la procédure suite à un arrêté de péril ?

Le code de la construction et de l'habitation institue deux procédures de péril concernant les bâtiments menaçant ruine : une procédure ordinaire et une procédure d'urgence, dite de « péril imminent ». Cette dernière procédure, notamment, peut permettre au maire d'ordonner les travaux nécessaires dans des délais assez rapides, de l'ordre de 72 heures environ. La réalisation effective des travaux dans le délai fixé par le maire est une autre question. Mais si les travaux ne sont pas exécutés dans ce délai, le maire peut les faire exécuter d'office aux frais du propriétaire de l'immeuble.

La procédure de péril ordinaire offre plus de garanties aux propriétaires. Elle est donc nécessairement plus longue. Mais il ne faut rien exagérer. Une fois recueillies les informations attestant du mauvais état d'un l'immeuble, le maire engage une procédure contradictoire avec le propriétaire de l'immeuble. Sa durée minimale n'est que d'un mois. Des travaux, voire la démolition de l'immeuble, peuvent être prescrits à ce moment-là. Le maire peut aussi assortir ces mesures d'une interdiction d'habiter ou d'utiliser les lieux. Le problème n'est donc pas tant d'ordonner des mesures que d'obtenir leur exécution par les propriétaires concernés. Le maire n'est bien entendu pas démuni à leur égard. Il dispose en particulier de la possibilité de les faire réaliser à leur place et à leur frais, après mise en demeure. Mais en pratique, ce n'est pas si simple, notamment si les propriétaires ne sont pas faciles à identifier ou si l'immeuble est en copropriété.

On peut enfin évoquer une dernière voie d'action, tout à fait exceptionnelle. En dehors de ces procédures spécialement instituées par le code de la construction et de l'habitation, qui comportent des délais incompressibles, le maire dispose, par ses pouvoirs de police administrative générale, de la possibilité de prescrire sans délai des mesures, pouvant aller jusqu'à la démolition, vis-à-vis d'un immeuble créant dans une situation d'extrême urgence un péril particulièrement grave et imminent.

200 bâtiments seraient sujets à un arrêté de péril dans la cité phocéenne. Qui peut faire quoi ?

Le drame entraîne une large prise de conscience, non seulement des acteurs publics, mais aussi des propriétaires privés et de leurs compagnies d'assurance, le tout sous la pression des médias... Sur un terrain plus juridique, en cas de carence du maire dans l'exercice de ses pouvoirs, des mesures conservatoires pourraient être décidées par le juge des référés du tribunal administratif de Marseille. Le juge des référés pourrait aussi décider d'ordonner d'office les travaux nécessaires à la cessation du péril, même s'il existe des difficultés à identifier sur le propriétaire d'un immeuble.

En cas de carence du maire toujours, le préfet pourrait encore décider de se substituer à lui pour exercer au nom de la commune les pouvoirs qu'il n'exerce pas. Ces mesures de police contre les bâtiments menaçant ruine seront vraisemblablement complétées par des opérations d'urbanisme de plus grande ampleur ou par des opérations programmées d'amélioration de l'habitat.

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