Aurélie Valognes : « Je me fiche de ce que l'on pense de moi »

ENTRETIEN - L’autrice signe son dixième livre, une correspondance intime entre deux écrivaines. L’une débute dans l’écriture, l’autre n’écrit plus.
Aurélie Valognes,
mardi à l’hôtel
Le Littré.
Aurélie Valognes, mardi à l’hôtel Le Littré. (Crédits : © LTD / CORENTIN FOHLEN POUR LA TRIBUNE DIMANCHE)

Pour ne pas rater la finale de Koh-Lanta avec ses deux garçons, elle n'hésite pas à faire un aller-retour Dinard-Paris dans la journée spécialement pour La Tribune Dimanche. Rendez-vous à l'hôtel Le Littré, non loin de la gare Montparnasse. Elle débarque dans le hall incognito en jean-baskets. Avec dix livres en dix ans, Aurélie Valognes est l'une des romancières les plus lues de France avec 5 millions d'exemplaires vendus. Un rêve éveillé pour cette fille d'assistante maternelle et d'ouvrier qui a grandi en cité HLM. Et malgré son environnement peu propice à l'ambition, la quadra a toujours su que sa curiosité insatiable la transporterait dans une vie prodigieuse. Une exilée de classe qui a enfin réussi à trouver sa place.

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LA TRIBUNE DIMANCHE - L'écriture est-elle votre plus grande addiction ?

AURÉLIE VALOGNES - Absolument. C'est le moment où je me sens moi. Le moment où je me sens vraiment à ma place. Et utile.

Parce que votre place n'est pas ailleurs ?

J'ai toujours été un peu l'anomalie dans ma famille. On pourrait très bien se demander pourquoi ma mère et mon père sont mes parents. Je suis la seule de la famille à avoir fait de longues études, à avoir habité à l'étranger, à ressentir ce désir infini d'apprendre sans cesse, de me confronter à moi-même pour grandir et essayer d'être chaque jour une meilleure personne. C'est mon moteur. Mais j'ai de la chance : la curiosité est un merveilleux cadeau de naissance.

Vous vous sentiez également « l'anomalie » à l'école ?

Enfant, je ne me posais pas toutes ces questions. Je m'en posais sûrement d'autres, et beaucoup. J'étais une petite fille très nature, un peu irrévérencieuse mais très bonne élève aussi. J'ai vécu l'enfance comme une torture car je voulais diriger ma propre vie. Nous vivons dans un monde qui nous apprend dès le plus jeune âge à ne pas dire ce que l'on pense. Surtout chez les petites filles. Nous, les femmes, on grandit avec l'idée que si on dit ce que l'on pense, on risque de ne pas être aimée. On attend de nous tant de don de soi, de perfection, et sur tous les tableaux. J'ai essayé mais j'ai très vite compris que je n'y arriverais pas, que ce n'était pas pour moi. Je ne suis pas la mère ou l'épouse parfaite. Ni femme au foyer ni fée du logis. Il ne faut pas attendre cela de moi. Ce n'est pas pour rien que l'on se met à écrire. On écrit car on ne peut pas dire. Donc, quand ça explose en moi, je prends mon crayon et une feuille. L'écriture me soigne.

Vous avez toujours craint de ne pas être aimée pour ce que vous êtes ?

Je commence seulement à accepter d'être moi-même. Quand je peux être 100 % naturelle, je suis une bonne personne. Par contre, ce n'est pas tous les jours facile pour mon entourage parce que je défends ma liberté. Gisèle Halimi disait que pour être une femme libre il faut être égoïste. Elle a raison, et pourtant je n'aime pas ce mot : un homme qui fait ce qu'il veut est « libre », mais une femme serait « égoïste » ? J'essaie déjà de me remettre au centre de ma propre vie, viennent ensuite mes enfants et mon mari. C'est comme l'histoire du masque à oxygène dans les avions. Je ne peux pas aider les autres si je suis en souffrance. L'abnégation m'a plongée dans des burn-out et des baby blues.

Vous avez vendu plus de 5 millions de livres. Avez-vous réellement conscience
de votre réussite ?

Je vois bien que quand j'ouvre la boîte aux lettres ou que je tends ma carte bancaire je n'ai plus peur.

Je déteste le dimanche car c'est un jour où je ne travaille pas

Vous culpabilisez d'être si heureuse ?

Je fais profil bas. Comme toute transfuge de classe, je sais d'où je viens. Je mène une vie privilégiée, j'habite une ville que j'ai choisie, à Dinard en Bretagne, pas loin de chez François Pinault. Mon quotidien est beaucoup plus facile que celui de mon enfance, et pour autant je ne crois pas avoir changé. Au contraire.

Pourquoi avoir attendu trente ans pour devenir écrivaine ?

C'était un rêve de petite fille, mais je l'avais mis de côté. Tout ce que j'ai appris, c'était par l'école, et il n'y avait pas d'école pour devenir écrivain, alors j'ai fait d'autres études. Et puis  ça ne pouvait pas être pour moi : les vrais écrivains, ceux que j'étudiais à l'école, étaient des hommes, bien nés, cultivés. Le mot « écrivaine » n'existait même pas, pas étonnant que l'on se sente illégitime. Quand mon mari a été muté à Milan, j'ai dû démissionner de mon poste dans le marketing. Je me suis inscrite à l'Institut français, et quand on m'a demandé ma profession, il était inenvisageable de répondre « chômeuse » ou « femme au foyer ».        Alors j'ai dit « écrivaine ». À partir de ce moment-là, je ne pouvais plus faire marche arrière. C'était maintenant ou jamais. La vie peut s'arrêter du jour au lendemain, même jeune. Au même moment, ma plus proche cousine se battait contre un cancer du sein et cela me hantait. Toutes les nuits, je rêvais de ma tombe, sur laquelle était gravé « Aurélie Valognes, écrivain ».

Ressentez-vous du mépris dans le milieu germanopratin ?

Pas de la part de mes confrères ou consœurs écrivains. Au contraire, avec eux, je ressens beaucoup de bienveillance. Avec certains journalistes, peut-être... Mais je vais être très honnête avec vous. Je peux me mettre à leur place. Je ne connaissais rien à ce milieu littéraire, aux codes, à ce qui se faisait ou pas. J'ai autoédité mon premier livre, Mémé dans les orties, depuis Milan, j'ai choisi une couverture à motif vichy parce que ça me rappelait les serviettes de table de mon grand-père, et comme ça semblait marcher, j'ai continué à utiliser des expressions françaises pour les titres de mes livres. Ensuite, c'est vrai que quand j'ai découvert qu'il y avait à la Sorbonne un colloque sur les romans « feel good » dont les miens, cela a été un choc. Surtout la rencontre avec deux professeures universitaires qui avaient tout lu de moi et notamment L'Envol, le premier dans lequel je prenais le « je ». Elles m'ont fait le plus beau des cadeaux, celui que j'attendais sans le savoir, qui ne pouvait venir que de l'école, quand elles m'ont dit : « C'est beau d'assister à la naissance d'une écrivaine. » Ça donne toute la force du monde, la liberté aussi de poursuivre, et de se sentir enfin légitime.

C'est comment, le dimanche d'Aurélie Valognes ?

Je déteste le dimanche car c'est un jour où je ne travaille pas. Même petite, je déprimais car je ne pouvais pas aller à l'école. Je suis plutôt solaire de caractère, mais s'il n'y a rien pour me tirer du lit je peux vraiment me laisser dépérir. Heureusement, les oiseaux qui chantent, les livres que j'ai envie de lire et mon golden retriever sont de bonnes raisons de me lever le dimanche matin.

La Lignée, Fayard, 360 pages, 21,90 euros.

Ses coups de cœur

Elle aime emmener sa maman, Corinne, dîner au Petit Bleu. « Un resto très
recherché tenu par un couple et avec une belle sélection en cave. » Si elle est plutôt amatrice de Patti Smith, la voix de la jeune chanteuse Pomme peut lui provoquer quelques frissons. Autres frissons, mais pour les yeux : l'essai de Carol Gilligan Une voix
humaine.

* Le Petit Bleu, 31, rue de la Vallée, Dinard (Ille-et-Vilaine).

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