Pays de la Loire : le secteur du numérique se mobilise pour l'égalité femmes-hommes

Moteurs de la croissance de l’emploi dans la métropole nantaise, les métiers du numérique concentrent encore 76% d’hommes pour 24% de femmes. Pour enrayer ce déséquilibre sociétal et lever les freins des difficultés de recrutement, l’association des Décideurs du numérique de l’Ouest vient de signer une charte d’adhésion au plan régional en faveur de l’égalité entre les femmes et les hommes mis en œuvre par l’État.
Dans les locaux de l’agence Digitaly et de l’incubateur 1Kubator, des startuppeuses nantaises (Switch-up, Team-officine, Benevolt, Makidoo…)  ont témoigné de leur expérience lors de la signature de la charte d’adhésion au Plan régional en faveur de l’égalité entre les femmes et les hommes entre ADN Ouest et l’État.
Dans les locaux de l’agence Digitaly et de l’incubateur 1Kubator, des startuppeuses nantaises (Switch-up, Team-officine, Benevolt, Makidoo…) ont témoigné de leur expérience lors de la signature de la charte d’adhésion au Plan régional en faveur de l’égalité entre les femmes et les hommes entre ADN Ouest et l’État. (Crédits : Frédéric Thual)

Dans les Pays de la Loire, parmi les 1.700 personnes recrutées lors du 2e semestre 2017 dans les métiers du numérique, seules 25% étaient des femmes selon l'Observatoire régional des compétences numériques (*). Autre indication : 56% des entreprises ligériennes comptent moins de 20% de femmes au sein de leur effectif numérique. « Nous sommes une profession intellectuelle, il n'y a donc aucune bonne raison pour qu'il y ait plus d'hommes que de femmes », observe Franz Jarry, délégué général de l'Association des décideurs du numérique (ADN Ouest) qui vient de signer une charte d'adhésion au Plan régional en faveur de l'égalité entre les femmes et les hommes, lancé par l'État en 2016.

Inscrite dans la loi du 4 août 2014, l'égalité entre les sexes est devenue une priorité de l'action publique avec une approche interministérielle et partenariale. C'est l'objet du Plan interministériel en faveur de l'égalité professionnelle (PIEP) 2016-2020, décliné sous la forme d'un plan triennal en Pays de la Loire. Celui-ci vise à créer des emplois, diminuer le taux de chômage des femmes notamment celles les plus éloignées de l'emploi, améliorer la performance économique des entreprises et accompagner les transformations du marché du travail.

"Vous êtes la secrétaire du préfet ?"

Si elle a quitté le registre "anecdotique", la question de la mixité est encore loin d'avoir trouvé une réponse pleine et entière. « Quand nous allons à la rencontre de financeurs, ce sont systématiquement des hommes et âgés », constate Sophie Comte, co-fondatrice de la startup Makidoo, spécialisée dans la conception et le montage vidéo automatisés. « Quand il s'agit d'aborder les moyens financiers, ils s'adressent à mon associé. Or, dans le projet, les finances, c'est moi qui les gère ! »

Un constat partagé par la préfète Nicole Klein venue signer la charte dans les locaux de l'agence nantaise Digitaly, engagée dans la transformation numérique et la mixité.

« Croyez-moi, le milieu des hauts fonctionnaires n'est pas épargné. J'ai connu les mêmes problématiques quand certains s'interrogeaient ouvertement sur mes capacités à discuter de financement de politiques du logement ou du social. Combien de fois m'a-t-on pris pour la secrétaire du préfet ? Combien d'hommes continuent de m'appeler Madame le préfet ? Or, ce qui ne se nomme pas, n'existe pas ! » témoigne-t-elle.

Que prévoit la charte ? De lutter contre les stéréotypes sexistes, d'encourager la mixité professionnelle, d'accompagner le dialogue social en faveur de l'égalité, de promouvoir la création et la reprise d'entreprises par les femmes. « Une charte est une charte. Il n'y a pas de sanctions derrière, c'est juste un moyen de pression et d'éveiller les consciences à plus d'égalité », indique Véronique Tomas, directrice régionale aux droits des femmes et à l'égalité, à la préfecture de région.

« On veut faire faire chausser les lunettes de l'égalité à tous ceux qui ne se posaient pas de questions. Ceux pour qui il n'y a pas de problème », résume-t-elle.

À ce jour, cinq chartes ont été signées (Manitou, FRSEA, Arefa...), quatre autres sont en cours. Le chemin est encore long.

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Femmes du numérique, Château des ducs de Bretagne

[En 2017 à Nantes, les femmes du numérique rassemblées devant le Château des ducs de Bretagne, ont voulu faire savoir qu'elles existaient au lendemain d'un article publié par le magazine Capital. Ce dernier présentait une photo des plus grands startupers français, où les femmes étaient absentes. Crédit : F.T.]

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Une prise de conscience qui est variable d'un département à l'autre

Selon deux études publiées en 2017 par l'Insee dans les Pays de la Loire, l'écart entre les femmes et les hommes est le quatrième plus élevé de France métropolitaine.

« En 2013, 17% des femmes de 25 à 29 ans se déclarent au chômage contre 14% des hommes. »

Côté salaire, le compte n'y est pas non plus. Même si elle est, en partie, due à une grande proportion de contrats à temps partiel, la rémunération moyenne de 17.200 euros est plus faible de 26% comparée à celle des hommes. En équivalent temps plein, l'écart tombe à 20% et devient similaire aux écarts rencontrés en province. « Les inégalités entre les femmes et les hommes persistent sous de multiples formes. On retrouve une concentration de femmes dans seulement 12 des 87 familles de métiers existants », souligne Véronique Tomas, mettant en évidence les difficultés d'accès à l'emploi, aux postes à responsabilités et à la création d'entreprises - dont les données, estimées à 10% pour la création de startups, restent encore méconnues.

« Alors que le secteur numérique, en plein essor dans les Pays de la Loire, génère des emplois, les femmes s'orientent peu vers ces métiers. Elles ne représentent encore que 30% des salariés et sont majoritairement cantonnées dans des fonctions de service (59%) et sous-représentées dans les métiers techniques comme ingénieures et techniciennes où leur proportion atteint seulement 16% », ajoute-t-elle.

Selon l'ORCN, qui a interrogé 318 entreprises du numérique, en un an, le nombre d'entreprises ayant plus de 20% de femmes dans leur effectif numérique est passé de 32% à 36%. En 2017, les actions de l'inspection du travail, qui a rappelé aux entreprises de 50 salariés et plus leur obligation de s'engager vers des démarches d'égalité, ont permis de faire passer cette de proportion de 29% à 44% entre 2015 et 2017.

En dépit de ces incitations, plus d'une sur deux demeurent encore en dehors des clous. À y regarder de plus près, les variations sont même très importantes d'un département à l'autre : elles atteignent 70% en Vendée contre 14% en Maine-et-Loire.

Une mine d'or théorique

« La profession du numérique souffre de gros problèmes de recrutement. Quand on se dit que nous sommes face à une mine d'or théorique, c'est que l'on a dû rater quelque chose. Et au-delà des seuls problèmes de recrutement et sans tomber dans les caricatures, les hommes et les femmes ont, par nature, des approches différentes dont la collaboration amène de vraies richesses », reconnait le délégué général d'ADN Ouest qui, depuis deux à trois ans, a pris à bras le corps cet enjeu, avec notamment la promotion de la mixité dans les collèges et lycées.

L'association, engagée sur la mixité, le handicap, les quartiers prioritaires ou encore l'inter-génération, a par exemple soutenu l'opération "Girls Can Code" pour initier au code une vingtaine de filles âgées de 11 à 17 ans, le "Rails Girls" destiné à accompagner un public 100% féminin dans leur projet de reconversion ou encore le "Digital Job Ambition" destiné aux personnes issues de la diversité via son fonds de dotation. « Consciemment ou non, on y pense. Quand on constitue un jury lors d'un d'événement comme le concours sur la transformation numérique Digital Change, on s'efforce de respecter les équilibres. À l'instar de notre accélérateur où 40% des porteurs de projets sont des femmes », indique Franz Jarry reconnaissant, malgré tout, que le conseil d'administration de la structure soit encore composé de 30 hommes pour cinq femmes. « Mais, on y travaille ! » assure le signataire de la charte.

Des femmes du numérique qui parlent aux femmes

La quête d'un équilibre parfait à 50/50, c'est l'objectif du géant du numérique Accenture, 465.000 employé.e.s dans le monde dont 720 en France - dont la plupart, à Nantes, où l'entreprise a implanté son centre de services informatiques il y a une quinzaine d'années. Avec cinq hommes ! Histoire ancienne.

En 2018, l'entreprise qui recrute 150 à 200 personnes par an a fait de la mixité l'un de ses chevaux de bataille, orchestré par le programme national dédié Equals, inspiré de l'initiative nantaise Accent sur Elles. « Aujourd'hui, 40% de notre effectif est féminin. L'objectif est d'atteindre les 50% à l'horizon 2025 », précise Gaël Garandeau, responsable du centre de services informatiques Accenture à Nantes.

« Nous sommes très présents sur les réseaux sociaux et organisons tous les deux mois des 'Women after work' où nos collaboratrices expliquent leur métier à des jeunes femmes qui veulent nous rejoindre et s'intégrer dans les métiers du numérique. Nous ne sommes pas une startup, il est essentiel d'expliquer ce que l'on peut faire chez nous, du développement, de la conception métier.... C'est un moyen d'acculturer à l'informatique des candidates. »

Parallèlement, Accenture multiplie les partenariats avec les associations Le Printemps des fameuses, le Prix des femmes du digital... L'entreprise s'investit, par le biais de contrats de professionnalisation, auprès des écoles (EPSI, ENI, IMIE...) où le taux de féminisation plafonne à 10%.

« On manque cruellement de femmes dans nos métiers. Et pourtant, c'est le plein emploi. Ça explose partout ! Mais beaucoup s'orientent après leurs trois mois de formation vers les métiers de la banque ou de l'assurance », observe Gaël Garandeau.

« Or, la diversité amène de l'innovation, de la créativité, des points de vue différents et de la richesse dans les échanges entre les équipes. L'image de l'informaticien reste très marqué masculin dans l'état d'esprit des familles et des parents d'élèves. D'où la nécessité de rencontrer les jeunes femmes », soutient le responsable d'Accenture, dont les 175 recrutements de l'an dernier comprenaient 36% de femmes contre 30% l'année précédente. « J'aurais aimé que l'on m'apprenne à rêver plus haut », atteste Gabrielle Rodier, mère de famille qui a suivi son mari à Nantes où elle a, finalement, fondé la startup Switch-up pour proposer des services de logement, de scolarisation, d'intégration, aux salariés en mobilité géographique déboussolés lorsqu'ils arrivent dans une ville nouvelle. « Mais pour ça, il m'a fallu du temps pour comprendre que le numérique est un lieu où la femme à sa place et que tout est possible ! » témoigne-t-elle.

(*) L'ORCN (Observatoire régional des compétences numériques) a été créé par l'Association des décideurs du numérique de l'Ouest avec le soutien de la Région des Pays de la Loire, de la Direccte, de Nantes Métropole et de la Communauté d'agglomération de la Région Nazairienne (Carene).

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ENCADRÉ

Chasser les stéréotypes dès l'école

Signataire du plan régional pour l'égalité des femmes et des hommes, le Rectorat apporte lui aussi sa pierre à l'édifice égalitaire. « Parce que si l'État nous demande de former des jeunes de 3 à 18 ans et de les préparer à devenir des citoyens, qu'ils soient garçons ou filles, ils doivent avoir des chances égales de réussite », explique Olivier Maréchau, inspecteur d'académie et co-pilote de la mission académique égalité filles-garçons et femmes-hommes dans le système éducatif.

« Pour leur donner des chances égales, on s'est interrogé sur le rôle des enseignants et du personnel de l'éducation nationale, et leur manière d'enseigner selon qu'ils s'adressaient à un groupe de filles ou à un groupe mixte. Des observations ont montré que dans les classes, lorsque l'on constituait des groupes, les filles avaient, par exemple, tendance à prendre le rôle de secrétaire ou l'enseignant de s'adresser en priorité aux garçons dans les deux tiers des situations. »

Et d'ajouter :

« La forme des appréciations dispensées à une fille que l'on considère comme sérieuse et studieuse aura aussi un impact. Tout comme le jeune garçon à qui l'on va dire qu'il peut mieux faire ou qu'il a les capacités de mieux faire va le conforter dans une certaine virilité. On a fait entrer dans les écoles le poids des stéréotypes véhiculés par les enseignants, les familles. »

Pour une meilleure prise de conscience et faire évoluer les méthodes d'enseignement, des sessions de "jeux sérieux" ("serious games", en anglais) sont organisées avec des enseignants qui, eux aussi, ne sont pas épargnés par les inégalités, dans une profession pourtant réputée féminine. « Dès que l'on dresse un bilan social des directeurs d'écoles ou des inspecteurs d'académie, on s'aperçoit que les femmes sont beaucoup moins nombreuses. Et qu'à profil équivalent, les rémunérations peuvent être inférieures de 15% à 20% en fin de carrière. Idem dans les jurys. Ces inégalités risquent d'avoir un impact sur telle ou telle décision. De nouveaux outils et de nouvelles façons de faire se mettent progressivement en place et nous sommes engagés dans un process de labellisation des pratiques. C'est assez nouveau. Avant, on ne se posait pas de question ...»

Comment cette nouvelle approche est-elle perçue sur le terrain ? « Plutôt bien », observe Olivier Maréchau. Pour dépassionner un débat qui pouvait, par le passé, prendre des tournures militantes, les instigateurs de la démarche se sont demandé ce que disait la recherche. Étayés scientifiquement, observations et arguments devenaient, cette fois, beaucoup moins discutables... Et peuvent permettre d'atténuer les freins culturels de la société envers l'égalité des femmes et des hommes. Pour ouvrir davantage les portes.

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Par Frédéric Thual,
correspondant pour La Tribune dans les Pays de la Loire.

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