Laurel Hubbard n'aura pas de successeure à Paris. Cette haltérophile néo-zélandaise a été la première athlète ouvertement transgenre à prendre part aux Jeux olympiques, à Tokyo en 2021. « Submergée » par l'émotion, et « pas totalement inconsciente de la controverse » entourant son éligibilité, elle n'avait pu soulever la moindre barre. Remplaçante dans l'équipe américaine de BMX freestyle lors de cette même édition, Chelsea Wolfe avait un bon profil pour reprendre le flambeau. Mais son horizon s'est subitement bouché le 14 juillet 2023, quand l'Union cycliste internationale (UCI) a promulgué l'interdiction de ses épreuves aux personnes transgenres.
Si le Comité international olympique (CIO) entend « prévenir toute forme de discrimination fondée sur l'identité sexuelle », il a renoncé, fin 2021, à établir des critères uniformes de participation. Pour s'en remettre aux fédérations internationales. À elles de trouver un équilibre entre inclusion et équité sportive. En toile de fond, la crainte d'un avantage physique des athlètes transgenres sur les femmes cisgenres. Or, la tendance est à un net durcissement de ces critères, avec des taux de testostérone très abaissés, voire à une interdiction pure et simple. Car il s'agit bien de cela quand l'accès aux compétitions féminines est conditionné par une transition effectuée avant la puberté. C'est le cas du cyclisme, donc, mais aussi de la natation ou de l'athlétisme, disciplines olympiques majeures.
Lors de l'annonce des nouvelles mesures, en mars 2023, Sebastian Coe semblait sur un fil. « Nous ne disons pas non à tout jamais », avançait le président de World Athletics, tout en insistant sur la volonté de « protéger » les catégories féminines: « Pour beaucoup, les preuves que les femmes trans ne conservent pas un avantage sur les femmes biologiques sont insuffisantes. Nous avons besoin d'en savoir plus. » L'ex-roi du 1 500 mètres justifiait aussi le manque de données par le fait qu'il n'y a « aucune athlète transgenre de haut niveau ».
En France, Halba Diouf, 22 ans, n'est pas exactement de cet avis. Seulement autorisée à s'aligner en compétition départementale, cette spécialiste du 200 mètres, qui a entamé sa transition à sa majorité, a couru en 22"61 en juin 2023, tout près des minima olympiques. Pour voir plus loin, pas d'autre choix pour elle que de se lancer dans une course de fond juridictionnelle. Comité national olympique (CNOSF), tribunal administratif et enfin Conseil d'État, tous ont retoqué ses demandes. Dans leurs attendus, « les deux conseillers d'État ont juste réécrit le règlement de World Athletics », pointe l'avocat de la sprinteuse, Laurent Clauzon. Ultime option, en appeler directement au CIO. Ce qui a été fait le 10 mai, sous la forme d'un recours visant à « la suspension du règlement 2023 de World Athletics, comme non conforme à la charte olympique et au cadre éthique pour l'inclusion ». Aucune réponse n'a encore été notifiée à Halba Diouf, qui poursuit un traitement suppresseur de testostérone. Son niveau s'avère au passage très inférieur aux 2,5 nanomoles par litre fixant la limite pour les athlètes intersexes. Comme Caster Semenya, double championne olympique du 800 mètres (2012, 2016), désormais privée des pistes pour un taux trop élevé, et qui a récemment plaidé son cas devant la Cour européenne des droits de l'homme.
Si les combats sont longs, la réduction ou la fermeture des accès aurait tendance à favoriser la paix sociale au sein même des disciplines. « Dans le cyclisme, on avait six ou sept athlètes transgenres qui concouraient, et ça nous valait des tsunamis de mails disant qu'on tuait le sport féminin, retrace Xavier Bigard, directeur médical de l'UCI. Mais après l'interdiction, on a eu très peu de réactions de la communauté transgenre. » Tendance corroborée par un sondage réalisé au sein de l'Association française des coureures cyclistes : 86 % des femmes se sont dites opposées à la participation des transgenres aux compétitions Élite.
2,5 nanomoles par litre
Le taux de testostérone limite pour les athlètes intersexes
Pour autant, toutes les disciplines n'ont pas statué. Le sujet reste sensible, d'autant que le consensus scientifique fait défaut et que toutes ne sont pas égales devant l'importance de la force physique. En l'absence de cas pratique, c'est souvent la politique de la règle vide qui prévaut. « Pas loin de 40% des fédérations olympiques n'ont pas encore édicté de règles d'éligibilité », reprend Xavier Bigard, qui a participé en avril à Paris aux Endocrinolympiades, un colloque autour du sport, des hormones et de la santé. « C'est un sujet difficile et évolutif », soupesait l'an passé Amélie Oudéa-Castéra. Avant que son ministère des Sports ne mette en place un comité d'experts sur la transidentité dans le sport de haut niveau. Recommandations attendues fin 2024.
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