Paris 2024 : sur le « Belem », l’aventure d’une vie

Après trois jours de tourbillon émotionnel, 16 jeunes sélectionnés au mérite ont quitté Athènes sur le « Belem ». Ils escortent la flamme olympique jusqu’à Marseille.
À bord du trois-mâts, ces jeunes « éclaireurs », entourés de Tony Estanguet avant le départ, veilleront sur la flamme jusqu’au 8 mai.
À bord du trois-mâts, ces jeunes « éclaireurs », entourés de Tony Estanguet avant le départ, veilleront sur la flamme jusqu’au 8 mai. (Crédits : © LTD / VINCENT CURUTCHET/CAISSE D’ÉPARGNE)

Entouré d'une vingtaine de plaisanciers grecs munis de cornes de brume, le Belem a quitté Athènes hier matin. À son bord, conservée dans une lanterne, la flamme allumée à Olympie le 16 avril. Le voilier, splendeur de trois-mâts mis à l'eau en 1896, année de naissance des Jeux olympiques modernes, est attendu le 8 mai à Marseille. Un millier de bateaux les escorteront jusqu'au Vieux-Port, où le champion olympique de natation Florent Manaudou se saisira de la torche devant 150 000 spectateurs. Cette cérémonie marquera le point d'orgue de l'aventure d'une vie pour 16 jeunes venus de toutes les régions françaises, sélectionnés au mérite après des parcours parfois cabossés. Tous ont quitté le port du Pirée à bord du navire, pour escorter le feu sacré pendant douze jours de traversée de la Méditerranée.

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Ces « éclaireurs » juvéniles, selon l'expression consacrée pour désigner les participants au relais de la flamme olympique, ont pris la lumière jusqu'aux dernières minutes, avant que le Belem n'appareille hier. Salués longuement par le président du comité d'organisation (Cojop), Tony Estanguet, qui a tenu la barre pour quitter le port, et la ministre des Sports, Amélie Oudéa-Castéra, ils sont réclamés pour des photos par de puissants sponsors et sollicités sur le pont par un photographe inattendu, seul capable de rivaliser en popularité avec eux : l'animateur franco-grec Nikos Aliagas, maître de la cérémonie de l'allumage de la flamme, il y a douze jours, et de celle du passage à la France, la veille.

La folie du départ

Le début de leur aventure olympique avait pris corps trois jours plus tôt. À l'aéroport de Paris-Orly, où tous ont fait connaissance dans la file de passagers en partance vers Athènes, Eleonor, 20 ans, élève de l'école de la deuxième chance de Nantes, s'est présentée ainsi à Yassine, un Marseillais de 19 ans: « Je sais que je vais pleurer. Ce qu'on va vivre est trop fort. » Le lendemain matin, les éclaireurs ont retrouvé le Belem, à quai, encore loin de la folie du départ. « Vous allez vivre des moments extraordinaires, merci d'avoir osé l'aventure », leur a lancé le commandant du navire, Aymeric Gibet. Radieux, le marin les a déjà fait voyager, en leur parlant du canal de Corinthe, en maintenance mais ouvert spécialement pour convoyer la flamme, et du détroit de Messine (Italie). « Certains jours, vous vous réveillerez avec 360 degrés de bleu autour de vous. » Il confiera plus tard: « Quelle étape dans le chemin de vie de ces jeunes... »

« Frappé, insulté, harcelé » à l'école, Thomas, 20 ans, s'est senti « apaisé en mer »


Thomas, 20 ans, vient de l'Ain. Dyslexique, chétif, il a été « frappé, insulté, harcelé » à l'école. Il a passé trop de temps dans les tribunaux, où ses parents se déchiraient. « Mon rapport avec ma mère est très compliqué. » Il a plongé très bas, est devenu pompier volontaire. Il revit. Le stage régional d'insertion organisé par la Caisse d'épargne, propriétaire du Belem et partenaire des Jeux, a agi comme une révélation: « En mer, je me suis senti apaisé. Comme un petit dans un berceau. On regarde au loin, ça tangue... »

Le Belem n'avancera pas sans ses éclaireurs

Manon a 24 ans. Elle vit à Tourves (Var). Après des études de lettres, puis un CAP de
boulangerie, elle se cherche. L'association qui l'emploie en service civique lui a suggéré
le stage sur le Belem. « Je suis une fille de la campagne, mais j'ai tout de suite aimé ça.
Surtout l'entraide à bord. On se sent fort. Et puis il y a eu un moment de calme. J'étais
sur le pont, je me suis sentie à ma place, ç'a été cathartique. » Faire partie des sélectionnés, parmi 300 candidats, compte pour elle: « Je suis fière, ça combat mon syndrome de l'imposteur. » Comme les autres, Manon est sortie du lot lors d'un bref stage en mer. Elle a le pied marin, le sens de l'effort et du collectif. Le Belem n'avancera pas sans ses éclaireurs.

Paris 2024 : sur le « Belem », l’aventure d’une vie

Le Belem (Crédits: © LTD / VINCENT CURUTCHET/CAISSE D'ÉPARGNE)

Ils vont hisser les 22 voiles, laver le pont, servir le petit déjeuner, préparer des nœuds, aux côtés des 16 membres d'équipage et de 6 encadrants de la Marine nationale. Tous expriment leur fierté. Yassine a grandi dans les quartiers nord de Marseille. « Au moins, j'aurai réussi quelque chose dans ma vie, glisse-t-il. La flamme, c'est la paix dans le monde grâce au sport. Et on la transporte. » Eleonor acquiesce. Elle se dit « fière de représenter [son] pays, de voir la France montrer ce qu'elle sait faire ». Vendredi matin, lors d'une visite du Musée olympique, Houari, un autre jeune Marseillais, a fait danser Chloé pour la tirer de son ennui. « J'ai hâte de naviguer, je n'aime pas les musées », lance la jeune fille venue d'Agde (Hérault).

Chloé passe une formation pour devenir skipper sur des bateaux de plaisance. « Le Belem va m'offrir une très belle expérience de matelote, apprécie-t-elle. Vivre en équipage est ce qui m'intéresse le plus. » À 18 ans, elle a lu Florence Arthaud. Elle adore Titouan Lamazou, artiste et navigateur. Comme lui, elle dessine, elle écrit. « J'ai mon carnet avec moi, je note mes impressions. Sur un bateau, c'est comme si je pouvais atteindre tout ce que je veux. C'est-à-dire conquérir le monde, et inspirer les autres. »

J'ai 25 ans, mais j'ai l'impression d'en avoir 50

Zabih, éclaireur d'origine afghane

Le monde, Zabih ne le connaît que trop. Il a quitté seul Kaboul, en Afghanistan, il y a
dix ans. Son père a été tué par les talibans, sa mère a fui en Malaisie. Il vit aujourd'hui
à La Rochelle (Charente-Maritime). « J'ai 25 ans, mais j'ai l'impression d'en avoir 50,
souffle-t-il. J'ai vécu quatre ans en Suède, dormi deux mois sous une tente porte de
la Chapelle, à Paris. J'ai été peintre, maçon, j'ai fait du nettoyage, de l'hôtellerie, de la
restauration. Avec les éclaireurs, pour la première fois de ma vie, je me sens complètement en sécurité, je n'ai jamais été aussi content. Je suis tout en haut de ma vie. » Zabih doit « partager », il ne peut pas s'arrêter de parler. Le Belem lui donne des idées: il songe à se former à l'électricité sur les bateaux.

Le sommeil a eu du mal à venir

Vendredi soir, le jeune Afghan a encore écarquillé les yeux. Il était installé avec les
autres éclaireurs dans les travées de marbre blanc du stade panathénaïque d'Athènes,
extraordinaire théâtre de la remise de la flamme à la France. Il s'est prêté de bonne
grâce aux sollicitations médiatiques. A brandi son téléphone pour immortaliser la
transmission de la flamme, entendu Tony Estanguet prononcer son prénom au micro lors de son discours. Avant de filer avec la flamme à l'ambassade de France, où elle a passé la nuit. Avec ses 15 compagnons, il a rallié le trois-mâts pour la grande aventure. Le sommeil a eu du mal à venir. Deux petites heures, selon leur décompte commun. Cela n'empêche pas Houari, 20 ans, de respirer la joie de vivre. Son copain marseillais Yassine l'a devancé lors des sélections de la Caisse d'épargne, mais il a été repêché par la municipalité.

Dans sa valise, un drapeau de la ville. « C'est mon maire, Benoît Payan, qui me l'a donné lorsqu'il m'a fait venir à l'hôtel de ville. Il m'a dit: "C'est ta mission, il faudra le sortir à l'arrivée à Marseille." » Houari et Yassine n'ont pas pu attendre. Devant les officiels et une foule amusée, ils ont sorti l'étendard sur le pont du Belem au moment de quitter Athènes, pour lancer un chant de supporters de l'OM. Un peu plus tard, au loin, on apercevait les premières manœuvres: voiles hissées, cordes tirées... Douze jours de traversée s'annoncent, mais après? Comment reprendre son quotidien? « Une décompression est inévitable, admet Jacques-Olivier Hurbal, directeur du développement de la Caisse d'épargne. On va faire attention à eux, on va les accompagner. » Et voguent les éclaireurs. Et vogue le Belem.

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Commentaire 1
à écrit le 28/04/2024 à 21:14
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Belle démonstration de la technologie verte américaine avec ses 2 moteurs Diesel de 500 ch chacun John Deere...

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