Surf : Paris 2024 fait des vagues à Teahupoo

Essor et féminisation de la discipline, afflux touristique et, bien sûr, tensions environnementales : les Jeux chamboulent Tahiti.
La surfeuse française Vahine Fierro, à Teahupoo en compétition de la World Surf League (WSL), le 16 août 2023.
La surfeuse française Vahine Fierro, à Teahupoo en compétition de la World Surf League (WSL), le 16 août 2023. (Crédits : latribune.fr)

Une église, une école, une mairie, une épicerie, 1 400 habitants et une vague dont la réputation dépasse désormais le cercle des surfeurs. Teahupoo, petit village sur la côte sud de Tahiti (Polynésie française), en plein cœur du Pacifique, s'apprête à accueillir les épreuves de surf de Paris 2024 (du 27 au 30 juillet). Un énorme coup de projecteur sur l'archipel, qui fut le berceau du horue, l'ancêtre du surf. « Avant, quand je disais que je venais de Tahiti, on me répondait : "Oh, de Bora Bora ?", sourit le surfeur local Kauli Vaast, 21 ans, qualifié pour les épreuves de cet été. Avec les Jeux, les gens connaissent désormais Teahupoo. »

Pour les hôteliers, les chauffeurs de taxi, les vendeurs de matériel ou encore les acteurs de l'immobilier, les retombées économiques sont estimées à 1 million d'euros. « C'est beaucoup pour les familles modestes du village, mais par rapport aux 4 milliards investis [le budget du Comité d'organisation (Cojop) est de 4,397 milliards d'euros], c'est relatif, nuance Astrid Drollet, secrétaire de l'association de défense de l'environnement Vai Ara o Teahupoo. Avait-on vraiment besoin de construire un village olympique temporaire de 3 000 mètres carrés, par exemple ? Ça nous semble démesuré pour quatre jours de compétition. » Pour le Cojop, ce choix est « l'opportunité d'associer les Outre-mer et leurs populations aux JO tout en valorisant la diversité et la richesse du patrimoine ».

Depuis qu'il a été choisi il y a quatre ans, le site est au cœur de tensions entre le gouvernement local, le comité d'organisation, les riverains et les associations écologistes. La construction de la nouvelle tour des juges, accusée de dégrader les fonds marins et de nuire à la biodiversité, est le principal point de crispation. Qui a atteint son paroxysme début décembre quand une barge a brisé du corail. Si bien que la question du maintien des épreuves s'est posée. « Tant qu'il y a la volonté et des solutions, il n'y a aucune raison de revenir dessus, y compris quand ça secoue un peu », estime le patron du Cojop, Tony Estanguet. Cette semaine, la fédération internationale (ISA) a proposé de se passer de la tour. « Un peu tard », a répondu le président de la Polynésie française, Moetai Brotherson. « Option déjà étudiée et écartée », a appuyé le Cojop.

Autre sujet : l'éloignement de Teahupoo du centre d'activité de Papeete a nécessité plusieurs chantiers d'envergure. L'agrandissement des marinas, la construction d'une nouvelle passerelle piétonne, l'aménagement de la pointe Riri et l'apport de nouveaux services « qui permettront de développer l'attrait économique et touristique après les Jeux », selon l'office du tourisme de Tahiti, comme le déploiement de la fibre optique et l'extension du réseau d'eau potable. La presqu'île ne disposant pas d'une structure hôtelière capable de répondre au cahier des charges, les sportifs seront hébergés sur un navire amarré à Vairao, à une dizaine de kilomètres du site, et les accrédités chez l'habitant.

On voit de plus en plus de filles sur le spot

Vahine Fierro, qualifiée pour les JO

Au sein de la population, les retours sont nuancés. Si la grande majorité était favorable à l'accueil des Jeux, l'armada de travaux déployée, associée à un manque de transparence et de communication, a freiné les ardeurs. « Ces Jeux à l'image grandiose, ça fait beaucoup pour un petit territoire enclavé entre le lagon et les montagnes », assure Astrid Drollet. Ce coin de l'archipel à la végétation luxuriante, aux plages de sable noir et aux eaux translucides vivait surtout de la pêche, de l'agriculture et d'un peu de tourisme. Depuis 2019, les dynamiques ont évolué. « Les habitants font de leurs logements des Airbnb et achètent des bateaux et des jetskis pour faire des tours touristiques, observe Kauli Vaast. Certains surfeurs locaux sont aussi recrutés par les équipes internationales, qui veulent appréhender plus rapidement la vague. » Pas toujours pour le meilleur. La vidéaste aquatique Lea Hahn a ainsi « failli être scalpée » par l'hélice d'un bateau dans laquelle ses cheveux avaient été pris car le conducteur s'était approché trop près de la vague, dans la zone des photographes. « Sur le spot, expliquet-elle, ça n'a plus rien à voir. Il y a énormément de bateaux et de surfeurs, ça rend parfois les choses dangereuses. »

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Les programmes de formation développés pour les Jeux olympiques ont néanmoins permis à la filière du surf tahitien de se structurer et d'emmener les jeunes vers la professionnalisation. La qualification aux JO de Kauli Vaast et de Vahine Fierro enorgueillit tout l'archipel. Cette dernière a été la première habitante à défier la vague mythique, longtemps interdite aux femmes et dont la fréquentation s'est féminisée. « C'est important de montrer que l'on peut se mesurer aux mêmes défis que les hommes, et ça encourage les surfeuses locales à se lancer, apprécie l'intéressée. On voit de plus en plus de filles sur le spot. » Qui fait de nouveau partie du circuit mondial féminin après plus de quinze ans d'absence [de 2006 à 2022].

Vahine Fierro fait part de sa « grande joie pour le surf polynésien », mais trouve « aussi important que Paris 2024 soit à l'écoute de la population locale pour impacter le moins possible cet endroit magique ». Une sorte de « en même temps »...

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