La vente aux enchères de pub en ligne, un marché très juteux, mais (trop) opaque ?

Les professionnels français du marché de la publicité digitale - le seul segment qui connaît une croissance – se sont accordés sur le principe pour réguler entre eux la vente automatisée d’espaces publicitaires en ligne. Un système complexe qui rend la chaîne de valeur difficile à tracer et suscite la polémique.
Marina Torre
Le marché de la vente aux enchères en temps réel d'espace publicitaire pourrait doubler pour atteindre plus de 100 millions d'euros en France en 2014.

RTB, CRM, CPM, DMP, SSP (voir lexique en fin d'article*)... A moins d'être un pro du e-marketing, ces acronymes vous paraîtront sans doute obscurs. Pourtant, dans le monde de la publicité, sans ces sésames, impossible de s'y retrouver dans cette nouvelle caverne d'Ali Baba que représente le marché de "l'achat programmatique" ou échange informatisé d'espaces publicitaires en ligne ou sur mobile.

 

Des pub ciblées

 

Ce système de vente aux enchères quasi instantané tire parti des informations recueillies sur les pratiques des internautes (les fameuses "data") et permettent de cibler la diffusion des publicités. En clair, si vous avez l'impression, parfois, que les publicitaires lisent dans votre esprit lorsqu'ils vous proposent un plan voyage quand vous préparez vos vacances ou bien une nouvelle offre de voiture quand vous cherchez à revendre la vôtre, c'est que les agences médias ont su, grâce à ce système, utiliser vos données de navigation ou "cookies" pour offrir le meilleur espace aux annonceurs.

 

Bien traités, les milliards de clics produits chaque jour par les internautes, leurs achats, leurs recherches permettent en effet de déterminer à quel moment, en quel lieu et sur quelle page une réclame digitale aura le plus de chance de tomber sous les "bons" yeux. Ce qui est censé rendre de la valeur aux espaces publicitaires en ligne qui en ont beaucoup perdu avec la multiplication des supports.

 

La pub en ligne: 15% de croissance en cinq ans

 

Ce système représente une véritable manne dans un marché de la publicité digitale qui fait lui-même figure d'exception puisque contrairement aux autres supports, elle est la seule à croître en France. L'an dernier, les recettes de la publicité sur internet et mobiles a augmenté de 3% selon l'Observatoire de l'e-pub réalisé avec le cabinet PwC. Dans les dépenses des annonceurs, le digital représente désormais 22% (20% l'an dernier) contre 24% pour les Etats-Unis, 30% pour l'Allemagne, et 35% pour le Royaume-Uni.

 

S'il rattrape un peu l'écart avec ces pays, il reste cependant relativement faible en volume. Son chiffre d'affaires a ainsi atteint 2,79 milliards d'euros nets en 2013. Mais la tendance est à la hausse. Dans une autre étude publiée en juin 2013, le cabinet PwC prévoyait ainsi une hausse de 15% du secteur d'ici 2017, la pub digitale restant la seule à croître au cours de cette période.

 

Doublement des dépenses de RTB

 

Un domaine en particulier connaît une explosion : le fameux achat programmatique cité plus haut, également appelé RTB (pour real-time bidding), l'achat quasi instantané d'espaces publicitaires dans les bannières, les vidéos, bref, les pages qui s'affichent sur votre écran de PC, tablette ou de mobile.

 

Les dépenses dans ce domaine devraient... doubler cette année ! C'est du moins ce que prévoit le cabinet IDC qui évaluait les recettes du RTB à  113,5 millions de dollars en France (82 millions d'euros) en 2013 et anticipe une multiplication par 6 des dépenses publicitaires sur mobile par ce biais en 2014.

 

Autant dire que, pour se partager cette manne, les candidats sont nombreux. Parmi leurs champs de bataille du moment : le cadre règlementaire. Car se pose en effet un problème légal. Le marché de la publicité est régi, entre autres, depuis vingt ans, par le chapitre II de la loi Sapin sur la transparence de la vie économique. Celle-ci dispose notamment que :

 

"Tout achat d'espace publicitaire ou de prestation ayant pour objet l'édition ou la distribution d'imprimés publicitaires ne peut être réalisé par un intermédiaire que pour le compte d'un annonceur et dans le cadre d'un contrat écrit de mandat."

 

Encadrement des rémunérations

 

Elle interdit les "surcommissions", une pratique courante avant 1993 qui consistaient pour les agences médias à négocier les meilleurs prix auprès des vendeurs (les supports) en se faisant rémunérer au passage sans répercuter ces ristournes sur la note finale. Une double facturation contre laquelle les législateurs ont souhaité agir en imposant la transparence à toutes les étapes du processus.

 

Or, à l'heure de la vente quasi instantanée d'espaces publicitaires par des logiciels spécialisés, l'interprétation de cette loi votée quand Internet était encore confidentiel fait débat. Des agences en France s'octroieraient même des marges indues de "30 à 70%" sur ces transactions automatisées confie un acteur du secteur ayant souhaité rester anonyme.

 

"Pour une fois que l'exception culturelle va dans le bon sens"

 

Du côté des annonceurs, l'UDA tient fermement à faire respecter le principe de la loi. Au lendemain de l'accord avec les autres professionnels, Pierre-Jean Bozo, son président, indique à La Tribune :

 

"Au niveau mondial, on constate des dérives importantes dans les pratiques surtout en Chine et au Japon par le biais des achats programmatiques ou RTB. La France a jusqu'à présent la palme de la transparence grâce à la loi Sapin qui empêche les surcommissions occultes, pour une fois que l'exception culturelle va dans le bon sens, il n'y a pas de raison que cela ne continue pas."

 

Multiplication des intermédiaires

 

En face, les intermédiaires, représentés notamment par l'Udecam (Union des entreprises de conseil et d'achat médias), souhaitent plus de souplesse. Sébastien Danet, membre de l'Udecam et président de VivaKi, la filiale de Publicis qui chapeaute notamment l'agence ZenithOptimedia, critique notamment les deux "statuts" créés par la loi Sapin. Cette dernière fait en effet la différence entre les agences médias qui font du conseil et les régies ou centrales d'achat qui doivent obtenir un mandat pour pouvoir réaliser les transactions. Il s'interroge :

 

"Sont-ils cohérents avec l'évolution du marché? Il y a bien d'autres intermédiaires dans la chaîne de valeur".

 

De fait, entre les supports (pure-players, site de chaînes de télévision, de radio, d'éditeur de presse écrite) et les annonceurs, les régies publicitaires et les agences de communication sont loin d'être les seules. Il faut désormais compter avec les "trading desks" qui gèrent les échanges comptabilisés en "coût pour mille" (CPM) en ligne. Mais aussi les plateformes qui réunissent les acheteurs (ou leurs représentants), celles qui rassemblent les vendeurs, et les places de marché elles-mêmes. Il faut ajouter aussi les spécialistes du ciblage comme le champion français Criteo. Les sites eux-mêmes se sont regroupés au sein de plateformes dites "d'Adexchanges" comme Audience Square et La Place Média.

 

Le schéma ci-dessous résume le parcours entre les vendeurs et les acheteurs d'espace publicitaire on-line.

 

graphique vente enchère pub digitale

 

(Source: document de l'IAB Interactive advertising bureau, association de promotion de la publicité en ligne)

 

Comment facturer?

 

Avec autant d'intermédiaires, le système de facturation et de rémunération se complique... Sébastien Danet pointe ainsi :

 

"Évidemment, il y a tout ce qui est acheté dans cette chaîne de valeur, depuis l'inventaire, enrichi avec des outils, des algorithmes, des data, jusqu'aux annonceurs. Comment facturer ça entre le départ et l'arrivée ?"

 

Et d'ajouter :

 

"nous pensons que la rémunération relève du domaine contractuel entre le client et le fournisseur, pas besoin de l'encadrer juridiquement".

 

Si, pour l'instant, la voie de l'autorégulation semble privilégiée, le législateur pourrait être amené à donner son avis.

 

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Lexique:

 

*RTB : real-time bidding enchères en temps réel

 

CRM : Customer relationship management - gestion de la relation clients, ensemble des outils pour utiliser les informations sur le profil, les goûts, les habitudes d'achats des clients ou clients potentiels des annonceurs.

 

CMP : Coût pour mille - Mode de fixation des tarifs pour les annonces

 

DMP : Data management platform - logiciels de traitement des données anonymes qui tirent parti des profils, centres d'intérêts et intentions d'achats des cibles.

 

SSP : Supply side platform - plateforme rassemblant les différents acheteurs qui les met en concurrence et permet donc d'optimiser la valeur des espaces publicitaires mis en vente (également inventaire).

Marina Torre

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