Apple vs Epic Games : trois choses à savoir sur ce procès crucial pour l'économie des applications

Dans un procès qui s'est ouvert ce lundi en Californie, Epic Games entend remettre en cause le fonctionnement de l'App Store, magasin d'applications et véritable vache-à-lait pour la firme à la pomme. L'éditeur du jeu vidéo phénomène Fortnite entame donc une croisade contre Apple, qu'il accuse d'abus de position dominante.
Anaïs Cherif
(Crédits : STEFANO RELLANDINI)

Une longue bataille judiciaire en perspective. Le procès intenté par Epic Games contre Apple s'est ouvert ce lundi à Oakland (Californie) pour une durée de trois semaines. L'éditeur du jeu phénomène Fortnite accuse la firme à la pomme d'abus de position dominante. Au programme : un procès sans jury, où les deux patrons Tim Cook (Apple) et Tim Sweeney (Epic Games) devront témoigner en personne.

Alors que les régulateurs américains et européens tentent actuellement d'adapter leur droit de la concurrence aux modèles économiques des géants de la tech, ce procès pourrait fortement peser dans les débats en cours.

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  • Pourquoi Epic Games part en guerre contre Apple

Le premier épisode commence en août dernier. Epic Games a pris l'initiative de proposer à ses 350 millions de joueurs dans le monde des prix réduits sur la monnaie virtuelle de Fortnite à condition qu'ils l'achètent directement via son système de paiement. Le but : éviter les systèmes de paiement proposés par Apple et Google, qui contrôlent l'immense économie des applications via leurs systèmes d'exploitation mobile respectifs, iOS et Android.

Et c'est un gros problème pour les développeurs d'applications. Concrètement, Apple impose aux développeurs d'utiliser son propre système d'achat intégré propriétaire «IAP», lorsqu'ils proposent du contenu payant à leurs utilisateurs. C'est même une condition pour pouvoir figurer dans l'App Store, ce qui garantit aux développeurs de toucher un très large public. En clair, si un utilisateur d'iPhone ou d'iPad souhaite accéder à du contenu payant sur une application - comme il est possible sur Fortnite-, il doit nécessairement télécharger l'application depuis l'App Store et il est obligé de payer directement via le système de paiement d'Apple. La firme californienne prélève au passage une commission de 30% sur les transactions entre consommateurs et développeurs générés la première année du téléchargement de l'appli, puis 15% les années suivantes.

Une commission qui, selon Epic Games, représente un manque à gagner important. Environ 10% des 31 millions de joueurs quotidiens de Fortnite recourent à des appareils Apple, selon des documents portés au dossier et dévoilés par le Wall Street Journal, et parmi eux, les deux tiers réalisent des achats pour Fortnite uniquement via l'iOS. Ainsi, ces joueurs auraient dépensé près de 750 millions de dollars en achats "in-app" (en français, dans l'application) par le biais de système d'exploitation mobile d'Apple.

Le marque à la pomme, considérant que l'éditeur ne respectait plus ses règles d'utilisation en proposant son propre système de paiement, avait immédiatement retiré le jeu de tir de son App Store. Il était donc impossible de télécharger Fortnite pour tous les utilisateurs ayant des iPhone ou des iPad, car Apple interdit carrément le téléchargement d'applications sans passer par l'App Store, contrairement à Google qui autorise l'installation d'applications "de source inconnue".

C'est pourquoi Epic Games a déposé plainte contre le groupe californien pour abus de position dominante. Qualifiant la fameuse commission de "tyrannique", éditeur de jeux vidéo estime dans sa plainte que Apple "impose des restrictions déraisonnables et illégales pour monopoliser les deux marchés" - à savoir la distribution d'applications et le système de paiement.

"Apple est devenu ce contre quoi il pestait autrefois. Le monstre qui veut contrôler les marchés, bloquer la concurrence et étouffer l'innovation", peut-on lire dans la plainte. "Apple est plus gros, plus puissant, plus enraciné et plus pernicieux que les monopoles d'antan."

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  • Comment Apple défend le fonctionnement de l'App Store

Sur ce dossier, le géant américain est donc considéré comme juge et partie. D'un côté, il fixe unilatéralement les règles d'entrée sur le marché en pleine croissance des applications, ainsi que sa commission sur les transactions. De l'autre côté, il propose ses propres applis, qui entrent parfois en concurrence directe avec celles proposées par les éditeurs.

Pour pouvoir toucher leur public, les éditeurs sont obligés de passer via l'App Store - sans quoi leurs applications ne pourraient être téléchargées sur iPhone et iPad - et donc, de se soumettre de fait aux règles édictées par la firme de Cupertino. Refuser les conditions imposées par Apple, qui revendique un milliard d'iPhone actifs dans le monde, reviendrait à se couper directement de cette manne potentielle d'utilisateurs.

Pour justifier le prélèvement de sa commission de 15% ou 30%, le groupe de Tim Cook fait régulièrement valoir qu'elle sert à assurer le bon fonctionnement et la sécurité de la plateforme. Imposer un système de paiement unique, contrôlé par Apple, permettrait de protéger les développeurs et les utilisateurs de potentielles arnaques, justifie le groupe.

Lancé en 2008, l'App Store propose désormais 1,8 million d'applis. En plus d'une décennie, les applications sont passées de simple gadget à un élément incontournable du quotidien pour qui possède un smartphone. Conséquence : l'App Store est devenu une véritable économie au sein de l'écosystème du géant américain, qui a généré près de 54 milliards de dollars en 2020 (+16% sur un an).

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  • Pourquoi ce procès peut être décisif

Si le procès va durer trois semaines, la bataille judiciaire pourrait durer des années entre les différents appels et recours. Epic Games demande à la justice américaine de contraindre Apple à changer ses conditions d'utilisation pour tous les développeurs.

Selon le verdict, ce procès pourrait durablement influencer le débat sur le droit de la concurrence à l'ère numérique, alors que les régulateurs américains et européens tentent actuellement d'adapter leur droit aux modèles économiques des géants de la tech. D'autant plus que la grogne monte depuis plusieurs années parmi les éditeurs et les développeurs ayant à faire à l'App Store.

C'est pourquoi à l'automne, une douzaine d'entreprises, dont Epic Games et les services de musique en ligne Deezer et Spotify, se sont rassemblées sous la bannière "Coalition for App Fairness" (en français, coalition pour l'équité entre applications) pour tenter de peser dans le débat. Spotify, leader mondial du streaming audio, a d'ailleurs remporté une victoire contre Apple au sein de l'Union européenne la semaine dernière. La Commission européenne a estimé que le fabricant de l'iPhone "faussait la concurrence" sur l'App Store pour évincer ses rivaux, notamment grâce à des commissions "très élevées" dont ses propres applications sont de facto exemptées.

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Anaïs Cherif

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