C'est un peu la version moderne et numérique de David contre Goliath. Le 9 mars dernier, l'association France Digitale, qui rassemble 1500 startups, a porté plainte auprès de la Cnil contre Apple, reprochant au géant californien des pratiques qui ne respecteraient pas le règlement général sur la protection des données (RGPD) et la directive européenne e-Privacy. En cause, concrètement, les publicités ciblées au sein de l'App Store, Apple News ou Bourse, qui, selon France Digitale, ne requièrent pas, dans l'iOS 14, le consentement préalable de l'utilisateur pour récolter les données personnelles mais sont activées par défaut - à l'utilisateur de les désactiver s'il le souhaite dans les paramètres de son téléphone. « Je vous défie de trouver comment décocher la case sur votre IPhone ! », a lancé Benoist Grossmann, co-président de France Digitale et managing partner du fonds de capital-risque Idinvest, à l'occasion de la première édition du Think Tech Summit, organisé par La Tribune le 29 mars au Grand Rex de Paris.
« Il y a un deux poids deux mesures, entre les grands qui peuvent s'affranchir de ce genre de système et les autres qui n'ont pas la possibilité de le faire », s'est indigné Benoist Grossmann. En cause : l'hypocrisie de la marque à la pomme, qui imposerait aux développeurs d'applications des exigences très fortes vis-à-vis du RGPD, sans s'astreindre elle-même à ses propres recommandations. « C'est difficile de lutter contre une société qui a quelque 200 milliards de dollars en cash », a estimé le co-président de cet organisme professionnel, qui a décidé de porter la colère des jeunes pousses contre le groupe de Cupertino.
« Distorsions de concurrence frappantes »
Surtout, « dans leur combat vs Apple, les start-up n'ont pas forcément la possibilité de se plaindre publiquement parce que c'est toujours difficile d'attaquer un de ses canaux de distribution ». D'autant que, pour un développeur d'applications, il est « compliqué » de se passer de l'App Store, qui est la seule porte d'entrée vers les utilisateurs de l'IPhone.
Pour Benoist Grossmann, le groupe de Cupertino utilise sa position dominante sur le marché pour imposer des conditions arbitraires aux développeurs d'applications. Et le co-président de France Digitale de citer l'exemple de l'éditeur du jeu Fortnite, déréférencé de l'App Store après avoir contesté la commission de 30 % prélevée par la plateforme sur les revenus, comme c'est le cas pour toute application qu'elle héberge.
Par ailleurs, « Apple peut vous bannir de l'App Store pour des raisons qui peuvent être subjectives, comme la non-conformité avec les règles générales de politique de propriété intellectuelle ». Autre problématique déplorée, « j'ai des exemples de sociétés qui se sont fait bannir de l'App Store et comme par hasard elles étaient en concurrence avec une des applications développées par Apple ». De même que, « dans le domaine du streaming musical, c'est compliqué pour une société comme Spotify ou Deezer de donner 30 % de ses revenus à son concurrent principal qui exploite Apple Music ». Autant de « distorsions de concurrence qui sont assez frappantes », selon le co-président de France Digitale.
Le RGPD comme prétexte d'attaque
Néanmoins, d'après Benoist Grossmann, qui assure avoir reçu un grand nombre de témoignages anonymes de startups depuis que l'association a porté plainte auprès de la Cnil, « on va se contenter aujourd'hui d'attaquer Apple uniquement sur le non-respect du RGPD. La problématique de toutes les plaintes portées pour abus de position dominante au niveau de la Commission européenne est qu'elles sont sur des temps relativement longs. Entre temps, l'écosystème change, les startups peuvent mourir ou aller en Bourse ». Autrement dit, l'avantage de la plainte auprès de la Cnil serait d'avancer plus vite...
Reste que la bataille ne sera pas aisée. A titre d'exemple, l'Autorité de la concurrence a récemment rejeté la demande de mesures conservatoires de plusieurs acteurs de la publicité en ligne contre le pistage publicitaire d'Apple.
Enfin, France Digitale, qui appelle à un meilleur encadrement des plateformes structurantes, se réjouit d'ores et déjà des récentes propositions de règlement de la Commission européenne dans le cadre du « Digital Market Act », qui vise à assurer la régulation du marché unique numérique et qui pourrait mettre au pas les géants de la tech. Benoist Grossmann de conclure : « Les Gafa ont des positions ultra-dominantes et des taux de croissance vertigineux. Il faut encadrer tout cela pour que les sociétés travaillent dans un environnement de concurrence normale ».
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ReVOIR LA TABLE RONDE
>> KEYNOTE de Benoist GROSSMAN
Les startups contre Apple, un enjeu de concurrence
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