Axelle Lemaire, grande gagnante du départ d’Emmanuel Macron

Non seulement le nouveau ministre de l’Economie et des Finances, Michel Sapin, n’a pas récupéré le Numérique, qui revient exclusivement à Axelle Lemaire, mais celle-ci a obtenu un nouveau maroquin, celui de l’Innovation. A 41 ans, la discrète franco-canadienne s’impose comme l’une des étoiles montantes de la gauche.
Sylvain Rolland
Jeune, dynamique, appréciée chez les entrepreneurs et réputée pour sa compétence économique, Axelle Lemaire incarne à la fois le renouvellement de la classe politique et une certaine idée de la gauche.

C'est l'heure de la revanche pour Axelle Lemaire. Jeudi 1er septembre, la franco-canadienne de 41 ans a obtenu un nouveau maroquin, le secrétariat d'Etat à l'Innovation, jusqu'alors associé à la Recherche. Une nouvelle fonction qui vient compléter celle qu'elle exerce depuis avril 2014 de manière assez logique, le numérique et l'innovation étant intimement liés.

Sauf que cette fois, Axelle Lemaire aura davantage de latitude. Même si elle dépend toujours de Bercy et de son nouveau ministre de l'Economie et des Finances, Michel Sapin, celui-ci ne s'occupera pas de ses dossiers, contrairement à Emmanuel Macron, qui était également ministre du Numérique. Et avec l'Innovation en plus, la secrétaire d'Etat profite du départ d'Emmanuel Macron pour prendre du galon au sein du gouvernement.

Une marque de confiance

Cette promotion peut se lire à trois niveaux. Premièrement, c'est une marque de confiance de François Hollande envers sa secrétaire d'Etat, dont le bilan est honorable. Malgré un poids politique réduit à cause de l'omniprésence de son ministre de tutelle, Axelle Lemaire a gagné le respect des acteurs du secteur par sa maîtrise des sujets et son implication sur le terrain.

Elle a aussi a porté et défendu la loi pour une République numérique, dite loi Lemaire, qui apparaît, malgré ses limites, comme un succès à la fois sur la forme et sur le fond. Sur la forme, il s'agit du premier texte de loi soumis à une consultation publique, puis remanié (à la marge) pour y intégrer des propositions citoyennes (notamment en ce qui concerne l'e-sport). Sur le fond, le texte inscrit dans le marbre de réelles avancées, qu'il s'agisse d'open data (ouverture des données publiques des administrations), d'utilisation du numérique comme levier d'égalité (droit à la connexion minimale, accessibilité), ou encore en anticipant le futur règlement européen sur les données personnelles, qui vise à mieux protéger le citoyen-consommateur. Une fois n'est pas coutume, ce texte a en outre échappé aux traditionnels clivages gauche/droite et a été voté avec le soutien de certains députés de l'opposition.

Une certaine idée de la gauche

En donnant un peu plus de poids et d'indépendance à Axelle Lemaire, François Hollande envoie également un signal en vue de l'élection présidentielle de 2017. Jeune, dynamique, appréciée chez les entrepreneurs, Axelle Lemaire incarne à la fois le renouvellement de la classe politique (c'est une femme, hors des courants du PS, qui gère au gouvernement des dossiers qu'elle maîtrisait auparavant) et une certaine idée de la gauche que beaucoup d'électeurs ne trouvent plus dans François Hollande.

Car Axelle Lemaire, qui se décrit comme une "perpétuelle indignée", représente une gauche qui reste accrochée à ses valeurs d'égalité, de solidarité et de progrès social. Mais aussi une gauche résolument moderne, technophile et prête à faire bouger les lignes sur le plan économique. Un atout dans la manche du chef de l'Etat en vue de 2017. La secrétaire d'Etat, dont la notoriété auprès du grand public reste à faire, pourrait être érigée en étoile montante de la gauche pendant la campagne électorale.

Axelle Lemaire, une arme anti-Macron

Le troisième niveau de lecture est purement politique. L'Elysée considère la démission d'Emmanuel Macron, ancien protégé de François Hollande à qui il doit son irrésistible ascension, comme une trahison. L'ancien ministre de l'Economie veut se lancer dans la course à la présidentielle ? Il faut donc lui mettre des bâtons dans les roues. Et Axelle Lemaire se charge du travail avec beaucoup de zèle.

Dans Le Monde, la secrétaire d'Etat au numérique s'est livrée à un pilonnage en règle de son ancien ministre de tutelle, en dressant l'image d'un opportuniste au bilan médiocre:

"Il est super fort pour écouter, capter et saisir les opportunités. Mais son bilan, c'est la vente en douce d'Alcatel à Nokia ou la fusion avortée Orange-Bouygues. Même la loi Macron, c'est la loi Montebourg repackagée, sans les mesures sur les notaires, les huissiers et les rentes. Il n'y a rien ajouté. Pas une ligne. Pour le reste, il ne s'occupe pas tellement des sujets économiques. Vous entendez souvent le mot industrie dans sa bouche ?"

Si Axelle Lemaire se prête de si bon cœur à l'exercice, c'est parce que la cohabitation à Bercy avec Emmanuel Macron n'a pas été de tout repos. L'enfant-prodige de la gauche n'a cessé de vouloir étouffer sa secrétaire d'Etat -proche de son ennemi Manuel Valls-, en s'accaparant les dossiers les plus médiatiques de la French Tech (comme le CES de Las Vegas) et en tentant de vider le projet de loi Numérique de sa substance. A l'origine, Axelle Lemaire devait porter seule une immense loi-cadre, censée englober les questions de vie privée, de protection des données, d'open data, mais aussi les enjeux économiques, beaucoup plus sensibles, comme la régulation des plateforme collaboratives (dont la question du statut des travailleurs) ou encore la neutralité du net. Hors de question pour Emmanuel Macron, qui a tenté d'imposer, à l'été 2015, une loi "Macron II" reprenant l'essentiel des enjeux économiques prévus dans la loi Lemaire. "Axelle a mal vécu ce passage en force, qui la remettait à sa place et sapait sa légitimité", indique un interlocuteur régulier des deux ministres.

Après l'abandon de la loi Macron II, certaines dispositions réintégreront la loi Lemaire (la plupart seront intégrées à la loi El Khomri). Mais le mal est fait. D'autant plus que selon le journal L'Opinion, Emmanuel Macron aurait demandé la tête d'Axelle Lemaire lors du mini-remaniement de juin 2015.

Encore plus de couleuvres à avaler ?

Reste un paradoxe: Axelle Lemaire est soutenue par le chef de l'Etat et le Premier ministre, alors qu'elle ne cache pas sa désapprobation sur plusieurs axes majeurs de la politique gouvernementale, notamment en ce qui concerne la sécurité.

"Axelle Lemaire a avalé beaucoup de couleuvres et ça ne va pas s'arranger !" s'esclaffe un parlementaire. Plusieurs fois, la secrétaire d'Etat a été à deux doigts du départ, comme l'a révélé Médiapart. "J'ai fait la bonne élève mais je me suis posé la question de ma démission tous les jours", confiait-elle à des députés au moment de l'examen, au premier semestre 2015, de la très intrusive Loi Renseignement.

Bien qu'elle exprime publiquement ses désaccords, surtout sur Twitter, l'ancienne députée des Français de l'Etranger est inaudible au gouvernement lorsque les enjeux deviennent plus politiques. Ainsi sur le chiffrement des données. Axelle Lemaire s'est battue pour imposer la promotion et la protection du chiffrement dans sa loi Numérique. Mais cette position n'a pas résisté aux attentats de Nice et de Saint-Etienne-du-Rouvray. Et la France, avec le ministre de l'Intérieur Bernard Cazeneuve en première ligne, mène aujourd'hui la barque d'une action européenne contre le chiffrement.

Idem sur la polémique autour du burkini. L'indépendante n'a pas hésité à tacler -discrètement et avec humour, certes- le Premier ministre Manuel Valls sur Twitter en affichant son soutien au Premier ministre de Canada, aux positions opposées:

Va-t-elle devoir se museler et rentrer dans le rang si elle souhaite obtenir un poids politique plus important ? "Ce n'est pas son style, et puis au fond, cette liberté de parole ne dérange probablement pas Hollande car il a besoin de cette gauche-là en 2017", croit savoir un observateur. Le fameux art de la synthèse...

Sylvain Rolland

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Commentaires 13
à écrit le 04/09/2016 à 22:14
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Il est un grand mystère dans la 'haute' fonction publique: l'absence de lien entre la fonction d'un individu et son expérience ou ses précédents en la matière. Axelle Lemaire a certainement de nombreuses qualités en plus de son sourire, mais on peine...

à écrit le 04/09/2016 à 12:35
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Ce qui est bien avec l'Innovation, c'est qu'on y met tout et n'importe quoi... Ça permet surtout de faire beaucoup de communication, voire de vent. Elle va pouvoir (encore) créer de nouvelles structures publiques à côté de celles existantes ( la BPI...

à écrit le 03/09/2016 à 9:38
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Mais ça n'a pas fait disparaitre la loi travail! Je me demandais depuis longtemps la mauvaise raison de cette loi, car ce n'était pas bien net car antiproductive. En réalité c'est simple, les gros groupes ou entreprises conséquentes dépendantes du ...

à écrit le 03/09/2016 à 9:28
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Les satisfactions ou insatisfactions de la noblesse de la République nous indifférent totalement. Personne n'imagine un seul instant que quelqu'un dans ce gouvernement aura un impact positif sur la vie des français.

à écrit le 02/09/2016 à 18:35
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C'est qui ? C'est quoi ses competences dans le numérique ? Encore une fois on nomme pour nommer ! Je lui souhaite plein de bonheur pour les 7 prochains mois !

à écrit le 02/09/2016 à 17:17
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"la France n'a pas de leçon à recevoir de la Silicon Valley" comme elle disait dans ce journal en 2014. j'suis fan. pas très français cette attitude. c'est vrai qu'elle n'est pas que Française... les Français sont plutôt des gens manquant de confi...

à écrit le 02/09/2016 à 16:28
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Je me demande comment cette dame va pouvoir exprimer son talent et ses idées en 7 mois (installation/fêtes de fin d'année/départ inclus) !

à écrit le 02/09/2016 à 16:07
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A quelques mois d'une débâcle annoncée des socialistes, est-ce que cela a de l'importance ? Il n'y a quasiment plus de temps pour engager quoi que ce soit comme action...

le 05/09/2016 à 19:48
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Et oui, quand on voit le bilan du seul parti au monde en faillite, constitué de gens très intelligents, soit LR (Les Rentiers), de 2002 à 2012, il est fort probable qu'en 2022 la FRANCE sera un pays sous-développé sous la surveillance de BRUXELLES. ...

à écrit le 02/09/2016 à 13:25
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Difficile de ne pas être séduit en effet et c'est pour ça qu'on se demande bien ce qui a pris à Hollande de l'évincer au profit de Macron le mythomane, c'est tout simplement incompréhensible. Elle ne devait pas être assez de droite je ne vois que...

le 02/09/2016 à 17:24
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Moi je pense que plus on est de gauche plus on est bete. Comme quoi... Enfin ce genre de commentaire ne vole pas tres haut.

le 02/09/2016 à 18:42
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"Moins on possède....bla bla bla ....réfléchi" Dis ça au smicard qui aimerait posséder un peu plus. Et éviter de trop réfléchir à son avenir . Réfléchir ça veut pas dire voter à gauche de la gauche. Quand à faire un parallèle entre électeur de gau...

le 02/09/2016 à 19:50
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"Moi je pense que plus on est de gauche plus on est bete." Ah bon ?! Et pourquoi donc je vous prie ? Merci. Tipano, vous pensez donc que les gens qui nous gouvernent depuis trente ans sont sur la bonne voie ? Pensez vous que Hollande et de ga...

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