Cloud souverain, données privées, Health Data Hub : le grand oral des candidats à la présidentielle sur le numérique

Réunis par le principal syndicat professionnel français de la tech pour présenter le volet digital de leur programme, les candidats à l’élection présidentielle ont insisté sur l’impératif de renforcer la souveraineté numérique de la France et de l’Europe. Protection des données, cloud souverain et préservation des pépites locales sont des objectifs partagés par tous les candidats, qui divergent toutefois quant aux manières d’y parvenir.
Contexte international oblige, la question de la souveraineté numérique du pays s'est naturellement imposée comme l'un des gros enjeux du quinquennat à venir.
Contexte international oblige, la question de la souveraineté numérique du pays s'est naturellement imposée comme l'un des gros enjeux du quinquennat à venir. (Crédits : Reuters)

Cinq minutes de parole accordées à chaque candidat pour pitcher son programme sur le numérique, suivies de dix minutes de questions/réponses. Un agenda millimétré et rythmé par un gong scandant impitoyablement la fin du temps imparti, quitte à interrompre les candidats qui seraient tentés de déborder.

C'est le format qu'avait choisi mercredi soir le collectif Convergences numériques (qui réunit les onze principales associations et organisations professionnelles du secteur numérique français) pour cuisiner les candidats à l'élection présidentielle sur leur vision de l'industrie des nouvelles technologies.

À l'exception de Marine Le Pen, tous les principaux candidats étaient présents : Valérie Pécresse, Nicolas Dupont-Aignan, Yannick Jadot, Eric Zemmour et Anne Hidalgo. Jean-Luc Mélenchon et Emmanuel Macron étaient de leur côté respectivement représentés par Bastien Lachaud, député de la sixième circonscription de la Seine Saint-Denis, et par Cédric O, secrétaire d'État à la Transition numérique et aux Communications électroniques. Chacun leur tour, ils se sont succédés, durant un peu plus de deux heures, pour s'exprimer sur un ring central cerné par le public, exposant leurs visions et répondant aux questions des modérateurs et des spectateurs.

La souveraineté des données au cœur des débats

Contexte international oblige, la question de la souveraineté numérique du pays s'est naturellement imposée comme l'un des gros enjeux du quinquennat à venir pour les candidats. La question du stockage des données, notamment, a été âprement discutée.

La plupart des candidats ont ainsi exprimé leur insatisfaction quant au projet de cloud souverain européen Gaia-X. Initié par la France et l'Allemagne, il vise à mettre en place des infrastructures cloud en Europe afin d'y héberger les données des entreprises et des citoyens européens. Il s'est toutefois attiré de nombreuses critiques, car ouvert aux géants du cloud américains et chinois : Microsoft, Google, Huawei ou encore Alibaba.

« Difficile de parler d'un cloud souverain quand les données personnelles des citoyens européens transitent vers les États-Unis » a d'emblée attaqué Yannick Jadot. « L'extra-territorialité du droit américain fait que le gouvernement peut accéder à ces données sous certaines conditions, un danger notamment souligné par l'arrêt Schrems II », a rappelé le candidat du Pôle écologie, en référence au CLOUD Act américain.

Le Health Data Hub sous le feu des critiques

Un constat partagé par Eric Zemmour, qui souhaite que les données les plus précieuses (régaliennes, militaires) et privées (santé) soient hébergées sur des serveurs français. Mais aussi par Valérie Pécresse, qui affirme vouloir « construire brique par brique un cloud souverain français pour 2030 », tout en concédant que la tâche sera difficile.

La candidate des Républicains a également taclé le Health Data Hub, un projet lancé par l'actuel gouvernement, qui visait à regrouper sur une seule plateforme la plupart des données de santé des Français afin d'aider la recherche, et auquel la Cnil a donné un coup d'arrêt en janvier. « Je n'ai pas accepté que le Health Data Hub soit donné sans appel d'offre à Microsoft », a martelé Valérie Pécresse, qui propose de renforcer la préférence européenne dans la commande publique française, et d'imposer un quota de 50 % de produits européens en matière de logiciels et infrastructures numériques.

Bastien Lachaud a également fustigé le « scandale » du Health Data Hub et affirmé que « nous devons nous doter de centres de données de droit français pour permettre à nos entreprises de protéger leurs données de la prédation. Nous avons des acteurs suffisamment puissants dans la filière pour y parvenir. »

Pas de consensus européen sur le cloud, selon Cédric O

Cédric O a de son côté rappelé qu'il était à l'heure actuelle compliqué de composer sans les géants américains du cloud. « C'est un marché sur lequel on fait face à une tension très difficile à résoudre : d'un côté, il est important que des champions européens puissent émerger autour de cette technologie. De l'autre, il faut que nos entreprises puissent accéder aux meilleurs services cloud au monde pour s'imposer dans la compétition internationale. Allez demander aux chefs d'entreprise français s'ils accepteraient de se passer des hyperscalers américains, ils vous répondront tous non ! »

Le secrétaire d'État à la Transition numérique a également rappelé qu'il n'y avait à l'heure actuelle pas de consensus à l'échelle de l'Union européenne sur cette question, ce qui rend toute avancée longue et difficile. « Tous ceux qui vous disent que l'on pourra avoir un vrai cloud souverain européen dans un an ou qu'on pourra instaurer un seuil de 50% dans la commande publique sur le cloud à l'échelle européenne sont des menteurs. Cela fait cinq ans que nous essayons et nous continuerons d'essayer, mais tous les États membres n'ont pas la même vision du sujet. »

Le protectionnisme au service de la création de champions nationaux

Tous les candidats se sont également entendus sur la nécessité de faire émerger des champions technologiques français et européens, sans lesquels la notion de souveraineté numérique européenne est condamnée à rester un mirage. Pour ce faire, certains proposent de recourir à une stratégie protectionniste, en s'inspirant de méthodes appliquées ailleurs. « Je propose la création d'un Haut Conseil à la souveraineté numérique, qui se prononcera quand une entreprise de la tech française sera menacée d'être rachetée par un pays étranger, c'est ce que font les Chinois et les Américains, et ça marche », a ainsi proposé Valérie Pécresse.

« Je suis favorable à un blocage du rachat quand il y a un danger de perte de savoir-faire pour notre pays », a renchéri Nicolas Dupont-Aignan. Pour le candidat souverainiste, favoriser l'émergence de géants nationaux implique aussi de stopper l'hémorragie des talents, par exemple en augmentant les salaires des chercheurs français pour éviter qu'ils ne s'expatrient à l'étranger, et notamment aux États-Unis.

Un objectif que privilégie également Eric Zemmour. « Mon programme prévoit deux mesures qui iront dans ce sens : l'exonération de charges sociales pour les deux premières embauches d'une entreprise, ainsi que pour les primes versées aux salariés. Cela permettra aux startups de mieux payer leurs employés et ainsi d'éviter qu'ils ne s'expatrient. »

Valérie Pécresse propose de son côté la création d'un fonds d'investissement pour orienter l'épargne des français vers les entreprises stratégiques du numérique, tandis que Cédric O souhaite faire de Paris la « capitale européenne des entrées en bourse », notamment en « adoptant les actions à droit de vote multiple pour que les fondateurs de startups aient envie de s'introduire en bourse à Paris. »

L'éducation, clef de voûte de la souveraineté numérique

Un consensus s'est également dégagé autour de l'impératif de réformer l'éducation afin de favoriser l'émergence de talents qui viendront nourrir l'écosystème numérique français. « Le code est devenu une langue vivante, c'est pourquoi le président de la République a récemment annoncé qu'il serait enseigné dès la cinquième à tous les élèves », a rappelé Cédric O, avant d'affirmer que l'objectif d'Emmanuel Macron serait de « former 500.000 experts du numérique » lors de son prochain quinquennat.

Valérie Pécresse propose pour sa part d'« effectuer un repérage des talents dès la seconde, et de les orienter vers des filières du numérique stratégiques, et ce à tous les niveaux de qualification, du Bac professionnel à l'enseignement supérieur », un dispositif qui relèverait de la compétence des régions. La candidate des Républicains a également tiré à boulets rouges sur la réforme Blanquer et a insisté sur la nécessité de réintroduire les mathématiques dans le tronc commun du bac.

Une mesure que semblent approuver tous les candidats, d'Eric Zemmour à Jean-Luc Mélenchon. « La réforme Blanquer est une catastrophe pour l'égalité hommes/femmes dans le numérique, on voit par exemple que beaucoup de lycéennes ont arrêté d'étudier les mathématiques suite à la réforme, ce qui rendra plus difficile pour elles de s'insérer dans l'industrie. Pourtant, 50% des gamers sont aujourd'hui des femmes, ce qui montre qu'elles ont une vraie appétence pour les nouvelles technologies », a affirmé Bastien Lachaud. Anne Hidalgo a également affirmé vouloir réformer le lycée pour orienter davantage d'étudiantes vers les métiers du numérique, déplorant que le secteur demeure très majoritairement masculin.

La cybersécurité curieusement peu évoquée

Malgré la guerre qui sévit actuellement en Ukraine, et qui se déroule également sur la toile, la cybersécurité a été relativement peu présente lors des débats. Valérie Pécresse a été la seule a vraiment insisté sur la question. « La guerre en Ukraine nous montre que nos satellites peuvent être attaqués, que nos câbles sous-marins peuvent être coupés, et que la guerre est aussi une guerre informationnelle », a ainsi déclaré la candidate, qui propose de créer un parquet dédié à la cybersécurité pour permettre à la police d'aller « chercher tous les trafiquants qui utilisent le web pour enfreindre la loi. »

Eric Zemmour a également insisté sur l'importance de renforcer nos défenses sur la toile, mais cet objectif doit selon lui s'appuyer sur l'expertise des entreprises spécialisées dans ce domaine. Cédric O a quant à lui rappelé que 95% des cyberattaques pouvaient être évitées avec les bons gestes, et insisté sur la nécessité de faire des campagnes de sensibilisation pour inciter le public à éviter de cliquer sur les liens envoyés par des inconnus et à adopter des mots de passe sécurisés.

Pour un numérique vert

Enfin, les candidats de gauche ont également tour à tour appelé à la nécessité de construire un numérique plus inclusif (notamment en réduisant la fracture numérique via des investissements d'infrastructures dans les campagnes) et plus vert. « Plutôt que de stocker les centres de données dans des zones quasi polaires pour les faire refroidir, on pourrait les mettre au service des réseaux de chaleur », a proposé Yannick Jadot, tandis que Bastien Lachaud affirmait sa volonté de lutter contre l'obsolescence programmée, sans proposer toutefois de mesures concrètes allant dans ce sens.

Anne Hidalgo propose de son côté de lancer une « grande odyssée industrielle du numérique », avec des investissements ciblés en fonction des besoins des territoires, sur un modèle alliant « responsabilité économique, éthique et environnementale ». La candidate socialiste a également insisté sur l'importance d'agir à l'échelle européenne pour accentuer la lutte contre la monétisation de nos données et promouvoir la sobriété technologique dans le numérique.

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Commentaires 3
à écrit le 12/03/2022 à 9:42
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Le problème n'est pas "le numérique" mais l'excès de données inutiles et leurs créations!

à écrit le 11/03/2022 à 14:58
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Pendant ce temps : Pas de mélange des genres. La “Lettre aux Français” par laquelle Emmanuel Macron a annoncé sa candidature pour un second mandat a disparu ce vendredi 11 mars de son compte Twitter, après un rappel à l’ordre de la Commission na...

à écrit le 11/03/2022 à 8:13
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Aucun oral, aucun débat d’idée, aucune ambition c'est la guerre il faut acquiescer et se taire ou ne parler que de la guerre.

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