Comment Slack compte devenir le "manager virtuel" de l'entreprise 2.0

Lancée en 2014, la messagerie d'entreprise Slack revendique plus de 8 millions d'utilisateurs actifs par jour. La licorne américaine, valorisée 7,1 milliards de dollars, mise désormais sur l'intelligence artificielle pour s'imposer comme l'outil de référence du "management 2.0", et grossir à l'international.
Anaïs Cherif
La messagerie professionnelle Slack revendique plus de 8 millions d'utilisateurs actifs, contre seulement 2 millions en 2016.
La messagerie professionnelle Slack revendique plus de 8 millions d'utilisateurs actifs, contre seulement 2 millions en 2016. (Crédits : Reuters/Dado Ruvic)

Overdose de mails professionnels et manque de temps : telle est l'équation à l'origine de la création de Slack en 2014, à San Francisco. Conçue comme une simple messagerie professionnelle, le service facilite la communication en entreprise en proposant des "canaux de discussion" (channels en anglais), qui permettent aux salariés d'interagir et de partager des documents par équipes, thématiques ou projets en cours. Le concept, d'une simplicité désarmante tout en étant novateur, a permis à Slack de s'imposer rapidement comme un outil de management à part entière, déployé à tous les niveaux de l'entreprise. La startup de la Silicon Valley est donc déjà devenue une licorne, valorisée 7,1 milliards de dollars.

La simplicité et le "bottom-up", les clés d'un succès mondial

Aujourd'hui, l'entreprise revendique plus de 8 millions d'utilisateurs actifs par jour, contre seulement 2 millions en 2016. Elle touche 500.000 entreprises et organisations réparties dans plus de 100 pays, et leur permet d'échanger 202 millions de messages et de télécharger 22 millions de fichiers chaque semaine. Pour l'entreprise, la clé de son succès réside dans sa simplicité d'utilisation:

« Dans le monde du travail, certains employés sont obligés de travailler sur des outils qui leur sont imposés et qui, parfois, sont très compliqués », juge April Underwood, responsable produits chez Slack et ancienne de Twitter, Google et Apple. « Nous construisons Slack avec le confort de l'utilisateur en tête, pour lui proposer un service aussi simple que n'importe quelle autre application de la vie courante », poursuit la dirigeante, soulignant que nombre de leurs ingénieurs ont auparavant travaillé pour des applications grand public.

Slack attire aujourd'hui des clients dans des secteurs très différents. Des entreprises technologiques bien sûr (Spotify, Airbnb, eBay...), mais aussi des acteurs du commerce (LVMH, Marks&Spencer, Asos...) et des médias (BBC, Forbes, Time...). Si la messagerie ne séduisait à ses débuts que les profils tech des entreprises, ce n'est plus le cas aujourd'hui. 62% de ses utilisateurs présentent des profils « non-tech » dans la communication, le service clients ou encore le marketing par exemple.

Les utilisateurs de Slack sont en moyenne connectés dix heures par jour et actifs pendant 2h30. Selon April Underwood, "dans la très grande majorité des cas, Slack commence à être adopté spontanément par les salariés, qui font ensuite remonter leurs usages à leur direction ». Ce type d'adoption est facilité par un business model axé sur le « freemium ». Il permet de tester Slack grâce à une offre gratuite, avant d'opter éventuellement pour un abonnement payant plus complet, allant de 6,25 euros à 11,75 euros mensuels par utilisateur. Au total, l'entreprise revendique plus de 3 millions d'utilisateurs payants. Slack refuse de communiquer sur son chiffre d'affaires et sur sa profitabilité.

Cette adoption par le bas a notamment été pratiquée chez Lonely Planet, éditeur de guides de voyage disposant de nombreux bureaux dans le monde, et donc soumis à des décalages horaires importants. « Il n'y a eu aucune obligation d'utiliser Slack en interne. Pendant un ou deux ans, quelques équipes seulement s'en servaient avant un déploiement généralisé », explique Sebastian Neylan, le directeur marketing en ligne chez Lonely Planet.

Slack, symbole du "management 2.0"

Fluidifier la communication et améliorer la transparence en entreprise est au cœur de la proposition de valeur de Slack. En ligne de mire : changer le rapport au travail pour les salariés afin d'accroître la motivation et donc, la productivité. « Lorsque je travaillais chez Google, n'importe qui pouvait interroger les co-fondateurs sur leur vision et être au courant de tous les projets. Depuis, beaucoup d'entreprises tentent de répliquer ce modèle », estime April Underwood, avant de poursuivre :

« Il y a une transformation dans la culture d'entreprise, où les salariés exigent plus de transparence et une meilleure circulation des informations à tous les échelons. Avec l'évolution du mobile, il y a eu la nécessité de créer de nouveaux outils pour répondre à ces besoins. Avec les emails, beaucoup d'informations restent verrouillées dans votre boîte mails : vous ne savez pas nécessairement qui est en copie cachée, il faut des heures pour les trier, etc. »

D'où l'émergence d'un management 2.0. Dans une même conversation, un salarié communique sur Slack aussi bien avec ses collègues que son boss - et la plupart du temps, avec un ton décontracté adoptant les codes des réseaux sociaux comme les émojis et les gifs. « Slack a permis d'ouvrir les conversations : les employés ne cachent plus d'informations au manager », croit savoir April Underwood. Au point que certaines entreprises disent se passer des mails en interne. « Auparavant, nous utilisions les emails pour les conversations sérieuses et Slack pour les discussions plus instantanées et décisions rapides », détaille Meri Williams, directrice de la technologie chez la banque en ligne britannique Monzo. « Désormais tout passe par Slack. Chez nous, les emails n'existent plus. »

"Nous voulions imposer Slack, cela n'a pas marché"

Pour autant, ce mélange des genres sur Slack peut aussi mener tout droit à un échec, comme cela a été le cas pour OutSystems, société américaine de logiciels d'entreprise. « Nous voulions imposer Slack dans plusieurs équipes d'une dizaine de personnes, mais cela n'a pas marché la première fois. Nous n'avions pas expliqué pourquoi et comment nous voulions utiliser cette messagerie, donc les salariés n'y ont pas vu d'intérêt et ont vite arrêté de l'utiliser », assure Cristiana Umbelino, responsable tech chez OutSystems. « Deux ans après, l'équipe d'ingénieur s'est appropriée Slack. Nous avons pris cela comme un signal : nous avons donc réalisé des sondages sur les attentes des salariés avant de le redéployer pour l'ensemble d'OutSystems. »

En tentant d'effacer la frontière hiérarchique, Slack dit favoriser la prise de décision des salariés, sans systématiquement passer par le bureau des supérieurs. « Les employés peuvent créer leurs propres conversations pour résoudre un problème rapide, sans que les managers soient impliqués. Cela permet d'utiliser les forces vives de votre équipe pour les responsabiliser et donc, les rendre plus motivés », avance Johann Butting, responsable des ventes Europe, Moyen-Orient et Afrique, passé par Dropbox et Google.

Manager par l'intelligence artificielle

L'objectif final de Slack est de devenir le « manager virtuel » de ses utilisateurs, selon les déclarations de son Pdg  Steward Butterfield, début novembre. Pour y parvenir, l'entreprise de 1.200 salariés mise sur l'intelligence artificielle et le machine learning. Slack a ainsi lancé sa fonction « highlights » en 2017, qui permet de mettre en avant les messages jugés importants pour l'utilisateur. L'été dernier, la société a remodelé sa fonction « barre de recherche » pour permettre des suggestions personnalisées sur les personnes et les conversations avec lesquelles l'utilisateur devrait interagir.

« Un manager est une personne qui est toujours à l'affût de sujets pour vous et vous tape sur l'épaule pour vous signaler quelque chose d'important dans votre secteur », résume April Underwood. « Nous pensons que nous pouvons faire tout cela grâce au machine learning et en rendant les notifications plus flexibles. »

Actuellement, les utilisateurs définissent eux-mêmes les notifications qu'ils souhaitent recevoir en fonction des conversations ou des personnes - sous peine d'être noyés de messages, en plus des courriels « A terme, nous aimerions faire des recommandations à nos clients sur la façon dont ils configurent leurs notifications. Par exemple, si vous n'ouvrez jamais une conversation, alors nous pourrons vous proposer automatiquement de la mettre en sourdine au profit d'une conversation que vous consultez plusieurs fois par jour », précise April Underwood.

Miser sur l'international et les grands groupes

Pour doper sa croissance, la licorne mise sur les grandes entreprises et sur l'international. "Nous pensons que le marché potentiel pour Slack s'étend à 600 millions d'employés dans le monde : nos marges de manœuvre sont donc énormes", estime April Underwood. "Jusqu'en janvier 2017, nous n'avions pas de produit capable de répondre aux besoins des grandes entreprises de plusieurs milliers d'employés", reconnaît-elle. La conquête de ce nouveau marché "est une étape importante pour nous. Au début, nous avons été adoptés par des petites startups qui nous ressemblaient. Désormais, nous sommes aussi utilisés par des entreprises de dizaines de milliers d'employés." Parmi ses plus gros clients figure notamment IBM et ses 150.000 employés actifs tous les jours sur la plateforme.

Slack a aussi accéléré son développement à l'international en 2017 avec le lancement d'une version en français et en japonais. En un an, l'entreprise américaine dit avoir été adoptée par 67% des entreprises du CAC40. Au total, plus de 50% de ses utilisateurs se trouvent désormais hors de l'Amérique du Nord, avec en tête de peloton le Royaume-Uni, le Japon, l'Allemagne, la France et l'Inde.

Anaïs Cherif

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Commentaire 1
à écrit le 28/11/2018 à 16:01
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Ce service a l'air intéressant, à ceci près que l'entreprise est de Usa et donc soumise à l'extraterritorialité du droit Us. Inacceptable que la privacy d'entreprise ne soit pas assurée, garantie ! Dommage .

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