Imprimantes 3D : ces petites machines qui vont (beaucoup) changer le monde

La technologie de l'impression en trois dimensions (3D), qui permet de produire des objets à l'unité, se démocratise à toute vitesse jusque dans les foyers, du fait de la forte chute des prix des machines. Ce mode de fabrication, en rupture avec la production de masse, fait naître l'espoir d'une relocalisation des emplois, mais soulève aussi des questions de sécurité et de propriété intellectuelle.
L'imprimante 3D Replicator de chez MakerBot / DR.

Imaginez, demain, vous ébréchez une assiette de votre service préféré, votre petit dernier vient de démembrer la poupée de son aînée ou votre joint de culasse est usé : pas besoin de racheter ces articles ou de passer chez votre garagiste, vous pourrez imprimer vous-même les objets ou les pièces de remplacement, dans votre bureau, depuis votre ordinateur personnel.

De la science-fiction à la Star Trek ? Pas du tout. Ce sont quelques unes des applications déjà possibles grâce aux imprimantes 3D, dont certains modèles ont désormais la taille d'une machine à expresso et sont vendus au prix d'un PC haut de gamme. Cette technologie, qui a déjà près de trente ans mais se démocratise à toute vitesse, pourrait bien révolutionner l'industrie et bouleverser presque tous les secteurs dans les trente années qui viennent.

Barack Obama en a parlé dans son discours sur l'état de l'Union en février dernier, appelant l'Amérique à participer à « la prochaine révolution de la production ». Les plus fervents promoteurs de cette technologie prédisent même qu'elle sonnera la fin des délocalisations, du made in China, voire de la faim dans le monde. L'impression 3D est-elle une nouvelle panacée ou la boîte de Pandore ? Pas une semaine, en effet, sans qu'une nouvelle prouesse sortie tout droit d'une de ces imprimantes à tout faire ne vienne nous ébahir... ou nous interroger sur les conséquences de ce champ des possibles qui semble sans limites, si ce n'est celle de notre imagination : un bébé sauvé par un implant conçu sur mesure pour sa trachée, un programme expérimental de la Nasa pour fabriquer des pizzas dans l'espace ou un pistolet fonctionnel entièrement imprimé en 3D. Le gadget côtoie le vital et le létal. Il suffit d'un fichier numérique de modélisation en trois dimensions conçu par vos soins ou téléchargé sur une plate-forme de partage en ligne, d'une machine et de « cartouches » de matériaux, en vente par exemple sur le site d'Amazon, qui y consacre un rayon entier depuis peu, et vous voilà transformé en Gutenberg du XXIe siècle.

Couche par couche, l'objet prend forme

Comme une machine à jet d'encre 2D imprime un document sur papier ligne par ligne, la version 3D possède une tête d'impression équipée d'un laser qui chauffe et agglomère des couches de grains de poudre ou, selon la technologie, d'une buse chauffante déposant couche par couche un fil de résine fondu. Sous vos yeux, l'objet prend forme par empilement de tranches de matière, qu'il s'agisse de plastique ABS comme celui des briques Lego, de céramique, de métal, etc. D'où le nom technique de « fabrication additive », par ajout de matière.


(Source Comment fonctionne une imprimante 3D ? - Sciences & Avenir)

Pourquoi en parle-t-on autant aujourd'hui ? Parce que logiciels et imprimantes se sont perfectionnés et que les prix ont considérablement chuté, rendant ces machines destinées aux industriels accessibles au grand public, en premier lieu des communautés de passionnés, les « Makers », adeptes de la « bidouille », de l'autoproduction et du logiciel libre, que le « techno-évangéliste » Chris Anderson, ex-rédacteur en chef du magazine américain Wired, a décrit dans son livre paru l'an dernier, "Makers, la nouvelle révolution industrielle".

On a d'abord vu fleurir des "fab labs", un concept venu du MIT, ces lieux de fabrication numérique ouverts à tous, particuliers, designers, entrepreneurs, étudiants, où chacun peut venir fabriquer son propre objet : il en existe une vingtaine en France, notamment à Lille, Strasbourg et Toulouse. Ensuite, les foyers, des technophiles prompts à adopter les nouveautés, se sont équipés pour fabriquer des vases, des ronds de serviette, des patères ou des figurines à leur effigie. « Cela va tout changer, la façon dont on crée, dont on apprend. Ce sera sans doute le dernier jouet que les parents achèteront à leurs enfants », s'emballe Abe Reichental, le directeur général de l'américain 3D Systems, un des pionniers de l'impression 3D, qui a lancé une machine grand public, le Cube, à 1.434 euros. Et la grande distribution s'y met à son tour, notamment les chaînes de fournitures de bureau comme Staples aux États-Unis ou Top Office en France, qui propose un service d'impression 3D à la demande en self-service dans quelques-uns de ses magasins.

Bientôt des imprimantes industrielles à bas prix

« La technologie de l'impression 3D est en voie d'accélération vers une adoption grand public. Les médias s'y intéressent beaucoup. Mais derrière ce battage, il faut rappeler qu'il n'y a encore qu'un petit nombre d'imprimantes 3D dans le monde, environ 100 000, essentiellement pour des usages industriels, selon le cabinet qui fait référence, Wohlers Associates. À titre de comparaison, il se vend 70 000 imprimantes 2D par jour ! », explique à La Tribune Pete Basiliere, expert du sujet chez Gartner.

Il prédit cependant que « cette situation va changer très vite avec l'arrivée d'imprimantes "low cost" pour les entreprises. Nous pensons qu'en 2016 des machines de catégorie professionnelle seront disponibles à moins de 2 000 dollars », soit 5 à 10 fois moins chères qu'aujourd'hui pour les produits d'entrée de gamme. Le marché mondial de l'impression 3D (machines et services) est encore modeste : il s'est élevé à 2,2 milliards de dollars en 2012, en croissance de près de 30 %, selon Wohlers Associates. Il concerne principalement l'automobile et l'aéronautique, qui l'utilisent pour le prototypage rapide, ainsi que les fabricants d'implants médicaux. Au total, le marché devrait presque tripler en cinq ans pour atteindre 6 milliards en 2017. En dix ans, il aura décuplé et dépassera 10,8 milliards en 2021.

Verra-t-on alors fleurir une usine dans chaque maison et le consommateur prendre le pouvoir ? Pour la première fois, en 2012, il s'est vendu plus d'imprimantes 3D grand public que de professionnelles. Et les prix de ces machines pour les particuliers devraient chuter sous les 1 000 dollars dans les douze à dix-huit mois puis sous les 500 dollars, selon 3D Systems, qui veut devenir « l'iTunes ou l'App Store de la 3D » en proposant à tout un chacun de monétiser ses créations sur sa plate-forme de partage de fichiers.

Est-ce la fin de la société de consommation de masse, du prêt-à-porter et du jetable, dans laquelle acheter du neuf coûte moins cher que réparer, au profit d'une nouvelle ère du sur-mesure, à la demande ? La fin de l'obsolescence programmée ?

Le français Sculpteo, qui a développé un site Internet de fabrication à la demande à distance, a d'ailleurs lancé des adaptateurs de stations d'accueil imprimés en 3D au moment du changement de connecteur de l'iPhone 5. On le comprend, les rentes établies dans différents secteurs et tout un écosystème de sous-traitants peuvent se trouver menacés. Cela pourrait conduire à un vrai changement de paradigme dans l'industrie. La fabrication à la demande rompt en effet totalement avec le principe des économies d'échelle, des grandes séries et des investissements de masse, qui se situe au fondement de la pensée industrielle : théoriquement, il n'y aurait donc plus de droits de douane, plus de transport de marchandises, d'entrepôts de stockage, ni même de magasins physiques. Voire plus de main-d'oeuvre ? Tous ouvriers, tous producteurs, le marxisme réinventé en 3D. La dématérialisation ultime.

« L'usine au foyer... On n'y est pas encore ! »

Pour l'instant, comme l'explique Duncan Stewart du cabinet Deloitte, « à quelques exceptions près, la fabrication en impression 3D revient plus cher. Un particulier peut très bien imprimer ses assiettes de table à la maison, mais ça lui coûtera 10 à 30 fois plus que de les acheter au supermarché du coin ! C'est finalement la même chose qu'imprimer un livre à domicile ». Autre obstacle : l'impossibilité de fabriquer des objets complexes en plusieurs matériaux. « On peut imprimer en 3D des sabots de plage en résine de plastique [type Crocs] mais pas une paire de chaussures de sport de performance, composée de 50 à 60 matières différentes. Même dans trois ans, ce ne sera pas possible », assure l'expert des prévisions technologiques chez Deloitte. Si Nokia a laissé les consommateurs ayant acheté son dernier Lumia imprimer en relief la face arrière personnalisée de leur téléphone, « on ne pourra jamais fabriquer un iPhone ou un BlackBerry en impression 3D. Tout simplement parce que les puces ultra-perfectionnées dont sont équipés les smartphones sortent d'usines ayant coûté des milliards de dollars », fait valoir Duncan Stewart, qui conclut : « L'usine dans chaque foyer, on n'y est pas encore ! ».

Quant à la relocalisation de l'emploi, Pete Basiliere, de Gartner, estime de son côté que « l'on peut sans doute lutter contre la désindustrialisation, mais s'imaginer qu'on va rapatrier toute la production localement, il ne faut pas y compter ».

Idem pour la production alimentaire : « Il existe certes des imprimantes culinaires, fonctionnant notamment avec du chocolat, ce qui requiert d'avoir... les cartouches de chocolat. De là à éradiquer la faim dans le monde, je crois qu'il faut être un doux rêveur », considère l'expert de Gartner. Prudent, il relève cependant que « dans l'impression 3D, il ne faut jamais dire jamais ! Énormément de gens très intelligents expérimentent toutes sortes de choses. La start-up Organovo imprime par exemple des tissus humains à partir de cellules vivantes pour l'industrie pharmaceutique ». Et cela n'est visiblement qu'un début.

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>>> DIAPORAMA Comment les imprimantes 3D vont changer le monde

 

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Commentaires 8
à écrit le 25/07/2013 à 10:19
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J'ai vraiment hâte !!! Je pense que c'est réellement un nouveau mode de pensée qui va émerger petit à petit...Je ne sais pas ce que vous en pensez mais je pense que les imprimantes 3D sortiront massivement été 2014 !? A lire aussi sur le même sujet :...

le 09/08/2013 à 0:47
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Tout dépend ce que vous appelez "sortiront massivement". Ce qui compte, ce n'est pas tant le nombre d'imprimantes 3D qui sortent mais bien l'adoption par le grand public. Comme le précise l'article, ce n'est pas demain la veille que l'on aura une im...

à écrit le 10/07/2013 à 14:03
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Merci pour cet article très complet. Pour en savoir plus, n'hésitez pas à visiter ce site dédié aux imprimantes 3D : http://fr.3dilla.com/

le 20/07/2013 à 1:09
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Il y a plus de 15 ans que dans les lycées les étudiants du BTS microtechniques travaillent en prototypage rapide avec une imprimante 3D. De même partout en France le nouveau bac technologique STI2D comporte l'utilisation de cet outil pour la format...

à écrit le 10/07/2013 à 13:29
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Je pense que l'application la plus directe et utile sera pour la réalisation de prototypes dans les bureaux d'études, des plans en 3D en quelque sorte. Il faudra du temps avant que ça arrive massivement chez les particuliers, qui n'en ont pas vraimen...

à écrit le 10/07/2013 à 13:10
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Maintenant , le premier système de cette " disruptive technology " est...Dassault Systèmes. So , one more time , les Américains ...nous ont copié.

à écrit le 10/07/2013 à 12:39
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ça y est pour la paire de chaussures de sport complète : Nike a réalisé en 3D une semelle impossible à réaliser de façon classique. Mais , Boeing est en train de fabriquer les buses d'alimentation de ses réacteurs également avec cette même technologi...

le 27/12/2013 à 16:47
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Malheureusement en tant d'expert du secteur, il est à constater que toutes les boîtes liée de près ou de loin à l'impression 3D se font racheter par les deux géants américains du secteur (Stratasys ou 3DSystem). Votre cher Phenix Systems ne fait pas ...

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