Le data center le plus vert du monde

En Norvège, un ancien entrepôt de munitions de l'Otan a été reconverti en centre de données ultra-sécurisé et écologique, grâce à l'eau du fjord refroidissant les salles de serveurs informatiques. Un lieu hors normes, qui sert de vitrine technologique à Schneider Electric.
Delphine Cuny
Véritable bunker creusé dans la montagne, ultrasécurisé, le site de l’île de Rennesoy abrite un méga-data center conçu par les équipes de Schneider Electric.

Depuis le port cossu de Stavanger, au sud-ouest de la Norvège, il faut plonger à 220 mètres sous la mer du Nord et emprunter deux tunnels sous-marins longs de 5 km pour rejoindre l'île de Rennesoy (3.000 habitants), puis sillonner de petites routes de montagne escarpées, bordées de prairies verdoyantes où paissent tranquillement vaches et moutons, avant d'arriver devant une grande grille verte surmontée de caméras, barrant l'accès depuis la route et la mer. Seuls de rares visiteurs dûment inscrits à l'avance sont autorisés à franchir ce premier obstacle. Invisible des touristes visitant le fjord en bateau de croisière, une petite ouverture dans la roche dissimule l'entrée ultra-sécurisée d'un véritable bunker creusé dans la montagne : sas individuel à vérification biométrique et contrôle de poids pour le personnel, porte blindée coulissante de 40 cm d'épaisseur pour les autres. C'est un ancien entrepôt de munitions de l'Otan construit en

1964, à l'épreuve des attaques nucléaires, où étaient stockées mines et torpilles des forces alliées. Sous 200 m de granit, ce sont désormais des paquets de données, des communications ou des transactions financières qui circulent virtuellement : ce dédale de galeries abrite aujourd'hui «le data center le plus écologique du monde». C'est du moins le titre revendiqué par son propriétaire, Green Mountain, filiale de la holding familiale norvégienne Smedvig (1,2 milliard d'euros d'actifs sous gestion).

« C'est certainement l'un des centres de données les plus "green" au monde à ce jour», nuancent à peine les équipes de Schneider Electric.

Le groupe français a conçu l'ensemble des infrastructures énergétiques - refroidissement, électricité, baies climatisées - de ce site hors du commun, qui lui sert de vitrine technologique. Les data centers ont généralement plutôt l'image de bâtiments énergivores : en France, ils sont responsables de près de 10% de la consommation totale d'électricité par an.

UNE AMBIANCE DE SOUS-MARIN...

Le centre de données de Rennesoy utilise les ressources naturelles à disposition sur place. C'est l'eau du fjord qui alimente le système de refroidissement des salles de serveurs informatiques, qui peut représenter jusqu'à 50% de l'énergie totale consommée par un data center. Si la mer du Nord a pu grimper jusqu'à 23°C en surface durant cet été, exceptionnellement chaud, l'eau demeure à 8° toute l'année à 100 mètres de profondeur où elle est puisée, sans pompage, par le seul effet de la gravité, et conduite dans de grands tuyaux jusqu'aux bassins alimentant les «échangeurs thermiques» : l'eau chaude du centre de données est ainsi rafraîchie par l'eau salée à travers des plaques de titane résistantes à la corrosion. L'eau de mer est rejetée à 18° dans le fjord à 30 mètres de profondeur, en faible quantité à raison d'un mètre cube par seconde à comparer au débit de 3.000 m3/seconde du bras de mer, ce qui n'aurait pas d'impact, selon Green Mountain, sur les fermes d'élevage de saumons toutes proches.

Ce système de refroidissement naturel indirect puisant de l'eau de mer salée est également utilisé par Google dans son méga-data center de Hamina en Finlande, installé dans une ancienne usine de papier au bord de la mer Baltique. Le «free cooling» indirect serait plus régulier que le refroidissement direct par l'air extérieur, qui poserait parfois des « problèmes d'hygrométrie et d'empoussièrement des salles» selon Schneider, mais qui est plus fréquemment utilisé, par exemple par Facebook dans son centre de données de Lulae en Suède, et par Orange dans son centre de données normand de Val-deReuil.

L'eau fraîche doit ensuite être acheminée jusque dans les salles de serveurs ellesmêmes, dans des tuyaux cachés dans les planchers techniques : un système de climatisation a été mis en place dans les rangées de baies informatiques au plus près des équipements émettant de la chaleur, ce qui permet d'optimiser l'espace de stockage et le rendement de la climatisation. Des capteurs sans fil mesurent la température de chaque baie. Tout est fait pour fonctionner sans intervention humaine, ou presque. La bonne marche des opérations de l'ensemble du data center est supervisée depuis un tableau de bord logiciel. Au moindre dysfonctionnement, le manager reçoit une alerte par SMS et envoie sur place un technicien qui s'engouffre sur sa patinette dans ce labyrinthe de couloirs blancs immaculés, où se succèdent des salles volontairement non identifiées pour des questions de sécurité : aucun nom de clients, les données desquels sont forcément sensibles. Une dizaine d'employés de maintenance travaillent sur le site, dans cet environnement confiné, sans lumière naturelle, semblable à un sous-marin par son incessant bourdonnement et son air manquant d'oxygène. Une bruyante machinerie diminue en effet volontairement le niveau d'oxygène, comme si l'on se trouvait à 3000 m d'altitude, alors que le bâtiment se trouve au niveau de la mer, afin d'éviter le risque d'incendie, une problématique de sécurité majeure des centres de données.

Autre carte «verte» abattue par Green Mountain : l'énergie consommée par le data center de Rennesoy est elle-même renouvelable puisqu'elle provient à 100 % de centrales hydrauliques de la région. En Norvège, l'hydroélectricité est quasiment la source unique d'énergie (98,5 %), à la différence des voisins suédois et finlandais, ce qui garantit également des coûts très bas et prévisibles à long terme. De nombreux projets de centres de données ont éclos en Scandinavie, en particulier en Norvège, à partir de 2009, lorsque le Cern (recherche nucléaire) cherchait un lieu d'extension de son puissant centre de calcul, finalement implanté à Budapest.

Si le data center de Rennesoy s'affirme si «green», c'est aussi que la réhabilitation de cette friche industrielle a réduit le bilan carbone de la construction du site lui-même. L'Otan aurait dépensé plus de 100 millions de dollars dans le creusement de la montagne, l'aménagement et l'agrandissement de ce bunker, vendu fin 2009 à la municipalité. Green Mountain a obtenu un bail de soixante-dix ans et investi 450 millions de couronnes, environ 55 millions d'euros, dans la reconversion des lieux. Par endroits, la roche apparaît, peinte en blanc, sur la voûte, les parois, aux intersections. Les trois galeries de 160 mètres de profondeur dans la montagne n'ont pas toutes été entièrement aménagées et les immenses salles toutes en longueur, vidées de leurs munitions, n'attendent plus que leurs rangées de serveurs.

30% MOINS CHER QU'UN DATA CENTER CLASSIQUE

Un peu plus d'un an après son ouverture commerciale, Green Mountain affiche un taux de remplissage de 10 % de ses capacités (12.000 m2 de salles blanches) et espère atteindre classiquement les 100 % en dix ans. Parmi ses clients, il compte le groupe français Géophysique (CGG), le plus important étant la première banque norvégienne, DNB, avec laquelle il a conclu un contrat de vingt ans ! Pour gagner ce grand compte ayant besoin d'un centre de stockage intégralement redondant, l'exploitant du centre de données a construit en cinq mois, avec l'aide de Schneider, un site «miroir», son doublon de 5.000 m2 à 300 km sur la route d'Oslo, à Rjukan, dans le comté de Telemark, berceau du ski nordique, au pied de la spectaculaire chute d'eau de Rjukanfossen, autre puissante source d'hydroélectricité. Green Mountain va investir plus de 75 millions d'euros supplémentaires dans les années à venir dans ce second site, afin d'en faire un grand centre d'hébergement «zéro émission». Knut Molaug, le directeur général de Green Mountain, reconnaît cependant que les clients demeurent plus sensibles à l'argument des coûts opérationnels - qui seraient inférieurs d'au moins 30 % à ceux d'un data center classique - et à celui de la sécurité qu'à celui de l'impact écologique réduit, qui constitue un peu la cerise sur le gâteau, appréciée pour la rubrique développement durable du rapport annuel des entreprises. Les négociations prennent jusqu'à dixhuit mois et il faut ensuite près d'un an au client pour opérer la bascule de ses données vers le nouveau centre.

Les data centers sont un nouvel axe de développement pour la famille Smedvig, qui a fait fortune dans le transport maritime et la conserverie de sardines au début du siècle, puis le forage à la découverte du pétrole en mer du Nord en 1969, activité cédée à la fin des années 1990 pour se diversifier dans l'immobilier, les énergies renouvelables, etc. Elle en attend un retour sur investissement en cinq à sept ans.

Quant à Schneider, le marché des centres de données et réseaux représente déjà 14% de son chiffre d'affaires mondial, soit plus de 3 milliards d'euros. En pleine mutation numérique, le groupe industriel, qui a l'ambition « d'accompagner le business model du cloud», travaille déjà « pour tous les géants du Web, Google, Facebook, Amazon», confie Olivier Delepine, le directeur de la division IT Business. Le spécialiste de la gestion de l'énergie a résolument pris ce virage après sa méga-acquisition pour 6 milliards de dollars, en 2007, d'American Power Conversion (APC) : en mariant les onduleurs monophasés de ce dernier aux triphasés de sa filiale MGE, il est devenu le leader mondial du refroidissement et de l'alimentation critiques. « Schneider Electric n'est ni HP, ni Cisco, ni Bull : nous ne faisons pas l'informatique mais tout le contenant - baies informatiques, prises intelligentes, batteries, planchers techniques, caméras de vidéosurveillance, outils logiciels de pilotage - et toute l'infrastructure d'énergie, sauf les générateurs», précise Olivier Delepine.

L'originalité du système de «free-cooling» de Rennesoy et la prouesse réalisée à Rjukan de « concevoir, construire et livrer clé en main un centre de données opérationnel en cinq mois» lui permettent de se positionner comme un acteur plus global, proposant même des conteneurs de béton modulaires, intégrant le système de distribution électrique. Si la situation exceptionnelle de Rennesoy au bord du fjord est difficilement transposable ailleurs, le groupe français sait trouver d'autres solutions de rafraîchissement naturel. À Grenoble, pour le data center de la SSII Business & Decision, il s'est servi de la nappe phréatique située sous le site où il puise une eau à 14°.

Delphine Cuny

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Commentaires 2
à écrit le 08/10/2014 à 19:38
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Pus d' électricité...plus de système de refroidissement ,dans un lieu confiné et isolé .

à écrit le 08/10/2014 à 10:59
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article réservé aux abonnés ? en 2 clics on a un article détaillé sur Le Monde informatique. la Tribune a vraiment un problème avec le monde moderne !

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