En pleine déroute financière depuis trois ans, Atos continue sa descente aux enfers. Ce lundi, trois semaines après un énième changement à la tête du groupe et une dégradation de sa note financière par Standard & Poor's, le groupe informatique français s'est écroulé à la Bourse de Paris. L'annulation du projet d'augmentation de capital lancée l'été dernier et la nomination d'un mandataire ad hoc pour mener les discussions avec les banques en vue de parvenir à « un plan de refinancement de sa dette financière » ont effrayé les investisseurs. L'action s'est effondrée de près de 30%, pour terminer à 2,81 euros à la clôture. Depuis le début de l'année, la valorisation de l'ancien fleuron de la tech a perdu 60%. Pour rappel, l'action s'échangeait aux alentours de 75 euros début 2021.
« Compte tenu de l'évolution du contexte du marché, les conditions de réalisation du projet d'augmentation de capital avec droits préférentiels de souscription de 720 millions d'euros ne sont plus réunies », s'est justifié le groupe, en précisant toutefois qu'une autre augmentation de capital, d'un montant moins élevé, n'était pas exclure à l'avenir.
Dette colossale
Cette décision est «catastrophique » pour Lionel Melka, associé gérant de Swann Capital. « C'était de l'argent frais censé donner un peu d'oxygène », a-t-il expliqué à l'AFP. Le groupe manque en effet cruellement de cash.
« Atos a perdu un an en préparant un plan de séparation de ses activités qui ne pouvait fonctionner. Aujourd'hui, le business et les rentrées de cash se sont dégradés », confie à La Tribune un proche du dossier.
Et ce, alors que le groupe est confronté à une dette colossale avec 3,65 milliards d'euros d'emprunts et d'obligations à rembourser ou refinancer avant fin 2025. La direction table sur deux cessions pour retrouver un peu d'air : celle de Tech Foundations, l'entité qui regroupe les activités historiques d'infogérance d'Atos, qui fait l'objet de discussions acharnées avec le milliardaire tchèque Daniel Kretinsky. Et celle des activités Big Data & Security de l'entreprise (BDS) pour lesquelles Airbus s'est manifesté.
Si « les discussions avec EPEI », la société d'investissement de Daniel Kretinsky, « se poursuivent » explique le groupe, il n'y a pas de « certitude qu'elles aboutissent à un accord », prévient-il. Un accord est en effet loin d'être acquis. Les discussions avec Daniel Kretinsky sont difficiles en raison du durcissement de la position d'Atos. En cas d'échec, le groupe « devra accéder aux marchés de capitaux (dettes et actions) et/ou envisager la vente d'actifs supplémentaires, afin d'assurer une liquidité adéquate pour faire face aux échéances de la dette en 2025 », a-t-il déjà averti mi-janvier.
Négociations avec Airbus
Dans le même temps, les négociations avec Airbus pour le rachat des activités Big Data & Security d'Atos (BDS), annoncées début janvier, se poursuivent, pour une valeur d'entreprise comprise entre 1,5 et 1,8 milliard d'euros. La « due diligence » a commencé il y a une quinzaine de jours et l'idée est, selon nos informations, de finaliser un accord d'ici à fin mars. Cette cession convient à l'Etat qui souhaite que ces activités stratégiques tombent dans des mains françaises. « C'est sa seule préoccupation dans ce dossier, le reste n'est pas stratégique pour lui », fait valoir un connaisseur du dossier, alors que Bruno Le Maire a assuré dans Les Echos que « l'Etat français ne laissera pas tomber les activités industrielles d'Atos et les dizaines de milliers d'emplois ».
« L'Etat utilisera tous les moyens à sa disposition pour préserver les activités stratégiques d'Atos », a ajouté le ministre de l'Economie.
Restructuration de la dette
Pour autant, même si ces deux cessions se réalisaient, Atos n'aura pas suffisamment de cash pour faire face à son endettement. Une restructuration de la dette avec une conversion des créances en capital semble inévitable, selon un proche du dossier, comme l'ont fait Orpea ou Casino. La nomination d'un mandataire va dans ce sens. Elle vise à trouver une solution avec les 22 banques créancières d'Atos.
« Le mandat ad hoc est une procédure amiable permettant de conduire des négociations dans un cadre confidentiel », explique le groupe. Il ne « concerne que la dette financière (...) sans incidence sur les salariés, clients et fournisseurs », tient-il à préciser.
En attendant, ce point inquiète les investisseurs. Pour Lionel Melka, « c'est entrer dans une nouvelle phase de négociation avec les créanciers, cela indique que la situation est compliquée ».
Le scénario d'une conversion de la dette en capital, qui prendra bien une année, devra s'accompagner d'une injection de nouveaux capitaux, la fameuse « new money », de la part de certains créanciers et d'actionnaires actuels. Les yeux sont évidemment tournés vers le PDG de Onepoint, David Layani, actionnaire à 11,4% du groupe et (ou) de Daniel Kretinsky si ce dernier entrait au capital, sachant que certains n'excluent pas une alliance.
Face à une telle déconfiture, les politiques se sont saisis du dossier. Le sénateur Cédric Perrin (LR), président de la commission des Affaires étrangères, n'exclut pas « de transformer » la mission d'information du Sénat qui commencera ses travaux « courant février » en « commission d'enquête », ce qui élargirait les pouvoirs des sénateurs en la matière, afin de « comprendre ce qui s'est passé chez Atos », a-t-il déclaré fin janvier.
Le géant informatique français Atos, qui a nommé en janvier son cinquième directeur général en trois ans, est embourbé dans une crise financière qui a fait plonger son cours de Bourse à des niveaux historiquement bas et accéléré la valse de ses dirigeants. 2021- l'année noire Dès janvier, l'annonce par Atos d'une offre de reprise du groupe américain de services informatiques DXC apparait « totalement incompréhensible » aux yeux du marché car « en complète contradiction » avec la nouvelle stratégie du groupe axée sur la numérisation, la cybersécurité et le cloud. Atos jette finalement l'éponge mais les investisseurs commencent à perdre confiance. Les relations avec le marché se détériorent encore en avril, quand ses commissaires aux comptes émettent une réserve sur ses comptes 2020 aux Etats-Unis. Un mois plus tard, lors de leur assemblée générale (AG), les actionnaires d'Atos rejettent la résolution approuvant ses comptes consolidés. A cela s'ajoutent mauvais résultats et objectifs financiers non atteints, qui font dégringoler sa capitalisation boursière, jusqu'à l'éjecter en septembre du CAC 40, l'indice phare de la Bourse de Paris. Conséquence : le départ quelques semaines plus tard de son directeur général Elie Girard, aux commandes du groupe depuis 2019, et le départ à la Commission européenne de Thierry Breton, qui dirigeait l'entreprise depuis plus de dix ans. Il est remplacé par Rodolphe Belmer, patron d'Eutelsat à l'époque. 2022- l'annonce du projet de scission A peine six mois après, Atos vit un double coup de théâtre : le départ surprise de Rodolphe Belmer et l'annonce d'un projet de scission du groupe en deux entités cotées. D'un côté, Tech Foundations, l'entité qui regroupe ses activités historiques d'infogérance (gestion de parc informatique pour le compte de tiers) en perte de vitesse. De l'autre, ses activités en pleine croissance comme la cybersécurité, les serveurs de haute performance et supercalculateurs, et le conseil en numérisation des entreprises, rassemblées dans l'entité Evidian. Un trio de dirigeants est nommé pour mener à bien le projet, accompagné d'un plan de refinancement et de cession d'actifs, tandis que Bertrand Meunier, président du conseil d'administration depuis 2019, s'affirme comme le patron du groupe. Mais le projet inquiète les salariés et certains actionnaires, décidés à mener la fronde contre Bertrand Meunier, perçu comme l'artisan principal du plan de scission controversé. 2023- offre de Kretinsky, nouvel actionnaire principal et valse des dirigeants Englué dans une bataille entre actionnaires dissidents et le très contesté Bertrand Meunier, Atos voit débarquer en août 2023 un nouvel acteur de poids : le milliardaire tchèque Daniel Kretinsky, déjà impliqué dans le sauvetage en cours du groupe Casino. L'offre présentée par Bertrand Meunier prévoit une cession totale de l'activité historique d'infogérance (Tech Foundations) à Daniel Kretinsky et une augmentation de capital pour Eviden (anciennement Evidian), qui entraînerait la dilution des actionnaires minoritaires et permettrait au milliardaire tchèque de devenir propriétaire de 7,5% du capital. Face à ce projet, 82 parlementaires LR appellent à maintenir Atos « sous le giron français », notamment car sa branche spécialisée dans les supercalculateurs est indispensable aux simulations d'essais nucléaires et à la dissuasion, tandis que le gouvernement écarte l'option d'une entrée temporaire de l'Etat au capital, affirmant toutefois rester « très attentif » au dossier. Acculé par la fronde d'actionnaires minoritaires, Bertrand Meunier finit par démissionner en octobre. Le projet de cession à Daniel Kretinsky est maintenu mais reporté au « début du 2e trimestre 2024 ». Après les nominations de l'ancien banquier Jean-Pierre Mustier pour succéder à Bertrand Meunier et d'Yves Bernaert au poste de directeur général, Atos connaît en novembre un nouvel actionnaire de référence, le cabinet Onepoint, avec l'acquisition de 9,9% puis 11,4% de son capital. Avec une ambition forte : pousser la direction à renégocier l'accord avec Daniel Kretinsky à des conditions « significativement améliorées » et obtenir trois sièges d'administrateurs, sans envisager toutefois de prendre « le contrôle » d'Atos. Le remplacement mi-janvier d'Yves Bernaert par l'ex-directeur financier Paul Saleh, après seulement trois mois en fonction, fait craindre en interne le scénario d'une faillite, Atos devant rembourser ou refinancer 3,65 milliards d'euros d'emprunts et obligations venant à échéance d'ici fin 2025. (AFP)Trois ans de descente aux enfers
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