
Décidément, le gouvernement britannique et l'autorité de la concurrence du pays ne chôment pas cet été. Alors que le rachat de l'entreprise de défense Ultra Electronics par un fonds américain est actuellement étudié par Londres, un autre dossier est suivi de très près par les dirigeants du pays : l'acquisition d'Arm (Softbank) par Nvidia pour un montant de 40 milliards de dollars. Une opération qui pourrait bien bouleverser la chaîne d'approvisionnement britannique de semi-conducteurs, déjà fortement sous tension partout dans le monde.
Concurrence limitée, hausse des prix, et sécurité d'approvisionnement
Le gendarme britannique de la concurrence a fait part vendredi de ses "craintes" et annonce vouloir ouvrir une enquête approfondie. L'autorité estime que cette fusion pourrait réduire la concurrence sur le marché. L'opération serait de nature par conséquent à entraver l'innovation dans des secteurs comme les centres de données, les jeux ou les voitures autonomes, ce qui pénaliserait in fine leurs clients, qu'ils soient des entreprises ou des consommateurs. "Nous sommes inquiets du fait que le contrôle d'Arm par Nvidia pourrait créer de vrais problèmes pour les concurrents de Nvidia en limitant leur accès à des technologies essentielles", souligne Andrea Coscelli, directeur général de la CMA.
Le gouvernement, estimant dès le début de l'opération que l'entreprise "ARM a un rôle vital dans l'économie britannique", avait demandé en avril au régulateur d'ouvrir une enquête préliminaire sur cette opération initiée en 2020 et d'en évaluer les risques.
Les semi-conducteurs font en effet partie intégrante de nombreuses infrastructures stratégiques au Royaume-Uni notamment dans le domaine de la défense et de la sécurité nationale. D'un point de vue industriel, ARM préempte le marché mondial des semi-conducteurs à destination des smartphone (95%). Ses puces, fabriquées sous licence, se retrouvent aussi dans d'innombrables capteurs, objets connectés et services de cloud (informatique à distance).
Prise de conscience
Cette opération intervient dans un contexte de pénurie de semi-conducteurs, ces petites puces électroniques qui permettent à de nombreux équipements du quotidien de fonctionner. La hausse de la demande post-confinement et les problèmes d'approvisionnement liés à la crise du covid-19 entraînent une raréfaction de la disponibilité de ces micro-processeurs, touchant notamment de plein fouet l'industrie automobile. Toyota a par exemple annoncé hier une baisse de 40% de sa capacité de production. "Durant les derniers mois, le monde s'est rendu compte de l'importance toujours plus grande des puces électroniques", souligne Danni Hewson, analyste chez AJ Bell, un élément essentiel selon l'analyste, dans la future prise de décision des autorités britanniques.
Selon l'agence financière, l'opération pourrait être bloquée par Londres. Défense, compétitivité, protection du consommateur... Autant d'éléments qui pousseraient le Royaume-Uni à interdire cette transaction. "Il semble que la CMA pourrait torpiller la tentative de rachat d'Arm par Nvidia", observe Neil Wilson, analyste chez Markets.com.
Dans les colonnes de La Tribune, le PDG de Kalray Eric Baissus, livrait son expertise quant à l'issue possible de cette opération :
ARM travaillant avec de nombreux acteurs concurrents de Nvidia, le rachat d'ARM par ce dernier constitue un réel problème. Nvidia est un fabriquant de semi-conducteur. Il est donc potentiellement concurrent de beaucoup de clients actuels d'ARM. Il est assez légitime de penser que les clients actuels d'ARM adopteront une attitude de défiance vis-à-vis d'ARM suite à ce rachat. Cette opération peut avoir des répercussions importantes dans notre industrie, il y a de très fortes chances qu'elle soit recalée au niveau des autorités de la concurrence européenne ou par d'autres organismes de régulation, en raison de son impact significatif.
Opération retardée ?
Nvidia a offert des garanties mais celles-ci n'ont pas convaincu la CMA, qui a décidé d'ouvrir une enquête approfondie. Un porte-parole de l'entreprise américaine a réagi en indiquant "avoir hâte de pouvoir répondre aux premières conclusions de la CMA et dissiper toutes les craintes que le gouvernement pourrait avoir". Le ministère du Numérique, qui est en charge du dossier, a lui indiqué que le ministre Oliver Dowden "rendra décision sur la prochaine phase de l'enquête en temps voulu", selon un porte-parole. De son côté, Jensen Huang, directeur général de Nvidia avait reconnu jeudi dans les colonnes du Financial Times que l'opération pourrait prendre davantage de temps compte tenu des enquêtes de régulateurs dans le monde.
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