Comment l'Etat porte à bout de bras le capital-amorçage en France

Dix ans après son lancement, le Fonds national d'amorçage (FNA) de Bpifrance, qui investit dans des fonds aux côtés d'investisseurs privés, a réussi son pari de faire décoller la French Tech grâce à l'argent public. Prochaine étape : booster le pré-amorçage, notamment dans la deeptech.
Sylvain Rolland
(Crédits : Charles Platiau)

A l'heure du bilan, tous les voyants ou presque sont au vert pour le Fonds national d'amorçage (FNA) de Bpifrance. Dix ans après son lancement en 2011, dans le cadre du premier Programme d'Investissements d'Avenir (PIA 1), ce fonds de fonds a réussi la mission que l'Etat lui avait assigné : contribuer à créer un écosystème solide de capital-amorçage en France pour accompagner les startups émergentes.

En dix ans, le FNA a investi 755 millions d'euros dans la French Tech (sur 1,1 milliard d'euros mobilisés par le PIA 1 et le PIA 2), déployés dans 37 fonds de capital-amorçage privés, eux-mêmes gérés par 19 équipes de gestion différentes. Ces fonds ont ensuite financé 600 startups, dont 55% hors de l'Ile-de-France. Et malgré les ratés - 40% des 110 sorties à ce jour sont des faillites et les 60% restants correspondent à un rachat avec un multiple inférieur à 1, synonyme de perte d'argent -, une grosse poignée des 490 pépites encore en portefeuille font partie des fleurons de la French Tech. Parmi elles figurent les licornes Mirakl (logiciel), Alan (fintech) et Shift Technology (assurtech), mais aussi les prometteuses Ynsect (protéines de nouvelle génération pour l'alimentation animale et bientôt humaine), les robots industriels d'Exotec, les écrans d'Aledia ou encore les biotech médicales DNA Scrip, Cardiologs et Enyo Pharma.

"Les dix ans écoulés nous donnent l'occasion de réfléchir sur le fait qu'on revient de loin. Quand le FNA a été créé, la tech en France était quasiment inexistante. A l'exception du monde des biotech médicales, l'innovation digitale et la deeptech étaient au point mort. Structurer le segment de l'amorçage, c'était démarrer la machine pour lancer des startups dont certaines sont devenues de grands succès", rappelle Nicolas Dufourcq, le directeur exécutif de Bpifrance.

Quand l'Etat prend le risque à la place du privé

Effectivement, en 2011, alors que la Mission French Tech n'existait pas encore -elle a été lancée par Fleur Pellerin en 2013- et que l'écosystème du numérique en était à ses balbutiements, le segment du capital-amorçage était délaissé par les investisseurs institutionnels, trop réticents au risque. "Investir en amorçage, c'est mettre de l'argent sur la base de 10 slides dans des startups avec un chiffre d'affaires de zéro. Peu d'investisseurs institutionnels voulaient prendre ce risque à l'époque", raconte Nicolas Dufourcq.

D'où la mobilisation de la puissance publique pour combler une faille de marché. Et ainsi créer un effet de levier auprès des investisseurs tiers, la présence de l'Etat dans des fonds privés "dérisquant" l'investissement. L'astuce a permis à de nombreux nouveaux fonds de se faire une place sur le marché, de 360 Capital à Supernova Invest, en passant par Elaia, Demeter, Innovacom, Irdi Soritec Gestion, Partech, Seventure, Sofimac ou encore Karista.

Bpifrance

De fait, les fonds de capital-amorçage financés par le FNA restent très dépendants à l'argent public. Comme le montre l'illustration ci-dessus, l'argent privé ne pèse que 32% de l'argent souscrit par les fonds dans lesquels le FNA est présent. L'essentiel vient de l'Etat (51% au total, dont 42% du FNA et 9% des collectivités et instituts de recherche publics), avec l'Europe en soutien (13% du Fonds européen d'investissement).

Mais l'évolution des dernières années montre une baisse du taux d'emprise du FNA (de 48% sur la période 2011-2015 à 38% sur la période 2016-2021). Et en même temps une augmentation de la taille des fonds souscrits (40 millions d'euros en moyenne entre 2011 et 2015 contre 62 millions d'euros en moyenne entre 2016 et 2021). Autrement dit, "le secteur privé prend progressivement mais efficacement le relais : le FNA a investi 755 millions d'euros dans les fonds, ceux-ci ont levé au total 1,7 milliard d'euros, ce qui a permis aux startups qu'ils ont financés de lever 6,3 milliards d'euros, décline le dirigeant. En bout de chaîne, un euro apporté par le FNA entraîne 18 euros levés par les sociétés du portefeuille", indique le dirigeant de Bpifrance.

Autre bonne nouvelle : le fait d'avoir engendré quelques dizaines de gros succès a permis d'offrir un retour sur un investissement correct. "En 2011 je disais que l'Etat allait perdre de l'argent en finançant l'amorçage à cause du risque qui est énorme, mais en fait il suffit d'une poignée de gros succès pour équilibrer le tout", se réjouit Nicolas Dufourcq. Dans le détail, la valorisation actuelle du portefeuille du FNA est supérieure de 90% à l'argent qui y a été injecté. Et les deux tiers des 37 fonds souscrits par le FNA ont rapporté de l'argent à leurs investisseurs.

Prochaine étape : booster le pré-amorçage

Est-ce à dire que le secteur privé n'a plus besoin d'argent public dans le segment de l'amorçage ? Pas si vite. "Le FNA s'inscrit dans la durée et il a donc vocation à perdurer", tranche Nicolas Dufourcq. Par contre, l'investissement de l'Etat va être quelque peu réorienté vers un autre segment un peu en souffrance : le pré-amorçage, et notamment la deeptech. "Il faut être honnête : sur le pré-amorçage et les business angels, on n'y est pas encore en France car les conditions fiscales ne sont pas aussi avantageuses qu'au Royaume-Uni par exemple", déplore le directeur exécutif de Bpifrance. Qui poursuit :

"Les subventions d'aide à l'innovation c'est un tas de sable : pour avoir des licornes au sommet il faut alimenter en permanence l'écosystème avec des ressources humaines et monétaires. C'est le rôle que s'est fixé l'Etat pour démarrer la machine, les résultats sont là, mais il faut aujourd'hui faire descendre le tas de sable encore plus bas pour aller financer des innovations dans les laboratoires, au stade de la maturation.", indique-t-il.

L'enjeu : contribuer par la tech à la réindustrialisation de la France, à l'image de Ynsect ou d'Aledia qui créent des usines et des centaines d'emplois dans l'Hexagone grâce à leur technologie de rupture. Verticale du plan national sur la deeptech, le financement de pré-amorçage des deeptech vise à multiplier les chances de toucher le jackpot en dénichant une innovation de rupture majeure. "Développer la deeptech est fondamental car si on réussit à créer 300-400 startups deeptech par an, cela aboutira en bout de chaîne à créer tous les ans des usines et de l'emploi dans les territoires", affirme le dirigeant. Un enjeu qui sera largement abordé dans le plan pour la réindustrialisation de la France, dont le détail devrait être présenté à la fin du mois par le gouvernement.

Sylvain Rolland

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Commentaire 1
à écrit le 08/09/2021 à 13:40
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...les ratés - 40% des 110 sorties à ce jour sont des faillites et les 60% restants correspondent à un rachat avec un multiple inférieur à 1, synonyme de perte d'argent - bref, le résultat des comédiens incultes industriellement bons à rien mauvai...

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