French Tech Finance Partners : quand le gouvernement pilote lui-même les lobbies de la tech

Lancé par le gouvernement la semaine dernière, le French Tech Finance Partners réunit des fonds d'investissements tech comme Partech, des fonds de private equity et de corporate venture (pilotés par les grandes entreprises), des banques, ou encore des organisations et associations comme France Invest et France Digitale. Sa mission : alimenter le gouvernement en propositions pour le financement de la tech. Mais certains acteurs qui feront partie de French Tech Finance Partners dénoncent, sous couvert d'anonymat, une initiative inutile qui risque d'affaiblir les corps intermédiaires.
Sylvain Rolland
Le ministère de l'Economie, des Finances et de la Souveraineté industrielle et numérique, à Paris.
Le ministère de l'Economie, des Finances et de la Souveraineté industrielle et numérique, à Paris. (Crédits : Reuters)

Nouveauté : dans la tech, le gouvernement organise lui-même les lobbies. Jeudi 8 décembre, deux invités prestigieux se sont invités à la fête d'anniversaire -les 40 ans-, du fonds Partech : le ministre de l'Economie, des Finances et de la Souveraineté industrielle et numérique, Bruno Le Maire (en visio), et le ministre délégué à la Transition numérique et aux Télécommunications, Jean-Noël Barrot (en physique). Le tandem de Bercy a annoncé une nouvelle initiative, baptisée French Tech Finance Partners (FTFP). Son but : réunir une partie des investisseurs dans la tech ainsi que les organisations et associations qui défendent les intérêts du secteur, pour alimenter le gouvernement en propositions concrètes. En plus d'endosser le rôle de passerelle entre les lobbies et l'Etat, le FTFP sera directement intégré au sein même de l'administration, puisqu'il s'agit d'une initiative pilotée par la Mission French Tech.

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Avoir une « vision d'ensemble » des propositions de chacun

Dans le détail, French Tech Finance Partners réunira dès janvier au moins 16 acteurs du financement de la tech : des fonds d'investissements -dont Partech-, des fonds de private equity, des banques, des fonds de corporate venture -les structures d'investissement des grandes entreprises- et des organisations, fédérations professionnelles et associations spécialisées. « Il y aura tous les types d'investisseurs dans la tech, qui agissent dans quasiment tous les secteurs et à tous les degrés de maturité des startups, de l'amorçage au growth et à la Bourse », précise Bercy. Les business angels seront aussi représentés. Si tous les fonds ne pourront pas détenir un siège, la présence des associations professionnelles, dont France Invest et France Digitale, assurera une représentation de la quasi-totalité de l'écosystème français du financement de la tech. Les acteurs étrangers qui sont actifs en France pourront également en faire partie. Pour l'heure réduite à 16 membres, la liste définitive sera dévoilée début 2023, lors de la première réunion.

Pour Bercy, cette nouvelle instance est nécessaire car elle lui permettra de mobiliser les principaux acteurs d'un coup et d'avoir une vision d'ensemble des enjeux de financement du secteur. « Jusqu'ici les discussions se faisaient de manière éclatée ou informelle. S'il existe des cercles qui rassemblent certains acteurs, il n'existait aucune instance qui réunissait tout le monde autour de la table », indique le cabinet de Jean-Noël Barrot.

Le gouvernement a confié à Réza Malekzadeh, associé chez Partech -et deux fois candidat malheureux au collège investisseur de France Digitale- la mission de piloter French Tech Finance Partners. L'investisseur conservera par ailleurs sa présidence de la French Tech San Francisco, ainsi que son poste chez Partech. Le gouvernement n'y voit aucun conflit d'intérêts : d'après Bercy, Réza Malekzadeh sera uniquement le visage de l'instance auprès de la Mission French Tech, à laquelle est rattaché le French Tech Finance Partners. Mais ce dernier sera -a minima- un interlocuteur privilégié de l'Etat, chargé de formuler des propositions de politiques publiques tout en travaillant dans une entreprise privée qui pourrait bénéficier de ces politiques.

Quoi qu'il en soit, le FTFP devra proposer des mesures concrètes au gouvernement. L'objectif : « identifier des domaines d'amélioration pour aider le développement de l'innovation et renforcer l'attractivité de la French Tech », précise Bercy. Le gouvernement a déjà demandé à la nouvelle structure de plancher sur le financement des startups en régions ou encore sur celui des deeptech, les innovations de rupture perçues comme stratégiques pour la souveraineté numérique de la France et de l'Europe.

« Mépris hallucinant pour les corps intermédiaires »

« Placer des lobbies au cœur de l'Etat est très mal perçu au sein de la Direction générale des entreprises », soupire un interlocuteur de La Tribune impliqué dans le French Tech Finance Partners, qui ne « comprend pas » l'intérêt de cette initiative.

« Les lobbies du financement de la tech, quels qu'ils soient, sont déjà très bien introduits dans les cabinets ministériels. Le gouvernement n'avait donc pas de problème pour accéder à leurs propositions, d'autant plus que leurs relations sont très bonnes. Ils savent aussi se parler entre eux quand ils ont des enjeux communs. Si French Tech Finance Partners sert uniquement à faire une synthèse de l'ensemble sous la forme d'un joli Powerpoint clés en mains, y'avait-t-il vraiment besoin d'une nouvelle instance ? N'est-ce pas le rôle des politiques d'avoir une vision d'ensemble plutôt que de sous-traiter ce travail aux lobbies ? » s'interroge-t-il.

Plus troublé encore, un autre interlocuteur, dont l'organisation fait également partie des 16 membres du FTFP, nous fait part officieusement de sa colère. « Créer au sein même de l'Etat une structure qui réorganise le fonctionnement des lobbies, c'est hallucinant. On vit ce qu'a vécu le Conseil économique social et environnement (CESE) avec la création du Conseil national de la refondation (CNR). Le gouvernement méprise ce qui existe, construit une coquille vide par-dessus qui refait exactement la même chose mais moins bien, le tout en prétextant la démocratie participative, et au final ça ne fait qu'affaiblir les corps intermédiaires », tonne-t-il.

Une autre source préfère relativiser. « Les investisseurs sont déjà représentés par leurs associations professionnelles et personne ne veut se faire diluer dans un collectif piloté par l'Etat lui-même, donc je pense que le French Tech Finance Partners, c'est surtout Bercy qui brasse du vent pour montrer que l'Etat soutient l'écosystème quand les temps sont durs », développe-t-elle.

Effectivement, après une longue période d'euphorie qui s'est étalée en France jusqu'au premier semestre 2022 inclus, les levées de fonds diminuent spectaculairement depuis la mi-2022, dans la French Tech comme ailleurs. Le fonds Atomico prévoit une baisse globale de 20% des investissements en 2022 par rapport à 2021. La chute des valorisations tech pousse de nombreuses startups à décaler leur tour de table, et de nombreux investisseurs à se montrer plus sélectifs, voire frileux, dans leurs décisions d'investissements. D'après Atomico, 45 licornes ont perdu leur statut en 2022, et 400 milliards de dollars de valorisation se sont évaporés pour la tech européenne.

Sylvain Rolland

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Commentaires 3
à écrit le 13/12/2022 à 19:34
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segolene ROYAL, cecile DUFLOT et COSSE ont pilote le virage strategique d'EDF, avec succes, comme on peut constater la transformation par l'etat de fessenheim en centre mondial de production de Tesla; en outre grace a ce pilotage detat, la france exp...

à écrit le 13/12/2022 à 18:49
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Que du blabla pour se faire mousser … au fait on en Est où de la re- industrialisation ? Est-ce la réforme des retraites qui va financer ses coquilles vides et les petits fours qui vont avec ?.

à écrit le 13/12/2022 à 18:49
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Que du blabla pour se faire mousser … au fait on en Est où de la re- industrialisation ? RT la réforme des retraites qui va financer ses coquilles vides et les petits fours qui vont avec ?.

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