French Tech 120 / Next40 : des obligations d'impact environnemental et sociétal pour les lauréats 2023

La Mission French Tech et le ministre délégué au Numérique, Jean-Noël Barrot, ont lancé l'appel à candidatures pour l'édition 2023 du label French Tech 120 / Next40. Les critères économiques sont réhaussés, et l'Etat demandera aux lauréats de s'engager en faveur de la transition écologique, de la parité et de l'inclusion sociale. La réalisation d'un bilan carbone complet sera obligatoire. Décryptage.
Sylvain Rolland
(Crédits : DR)

Le débat fait rage depuis deux ans : faut-il faire évoluer les critères de sélection des startups du French Tech 120 et du Next 40 -les indices regroupant les pépites les plus prometteuses du pays- pour y intégrer la notion d'impact économique, social et environnemental ? Ou, au contraire, faut-il rester uniquement sur des critères financiers, qui ont l'avantage d'être objectifs, mesurables et incontestables, mais qui valorisent par ricochet uniquement les startups qui jouent le mieux le jeu des levées de fonds et de l'hyper-croissance, au détriment de modèles plus vertueux et d'innovations plus importantes pour la société ou la planète ?

Lire aussiA quoi sert le French Tech 120 et qui sont les startups sélectionnées ?

Pourquoi le gouvernement restait sur des critères purement financiers

Ce dilemme fait cogiter le gouvernement et la Mission French Tech depuis des mois. Car le French Tech 120, au sein duquel se niche le club d'élite du Next40, offre aux startups lauréates non seulement le prestige d'un label gouvernemental qui crédibilise leur innovation, mais aussi un accompagnement sur-mesure qui peut se révéler extrêmement précieux : guichet dédié auprès de l'administration ; aides pour recruter des talents à l'étranger, s'internationaliser, lever des fonds ; conseil juridique et fiscal ; accès à un réseau de mise en relation...

Faire profiter de ce système uniquement aux pépites qui ont levé le plus de fonds et qui sont déjà en hyper-croissance, revient à faciliter la vie des premiers de la classe. C'est cohérent pour faciliter l'essor de nouvelles licornes -notamment dans l'innovation numérique « classique » comme le logiciel-, mais cela laisse sur le bas-côté les startups qui ne reproduisent pas le modèle de la tech financière issu de la Silicon Valley. Ainsi, les deeptech -innovations de rupture-, les startups industrielles ou dans les domaines de la transition énergétique et écologique, les medtech, ou encore toutes les innovations "tech for good" qui visent davantage l'impact sociétal que la performance économique, obéissent à des cycles d'innovation plus longs qui les rendent moins éligibles à ce type de labels, dont elles auraient pourtant elles aussi grand besoin.

Problème : les critères économiques présentent l'avantage de la lisibilité. « Un classement qui repose uniquement sur des critères économiques clairs, mesurables, vérifiables et incontestables, est la seule façon d'obtenir un classement cohérent », expliquait Kat Borlongan, l'ancienne directrice de la Mission French Tech, en 2021. Intégrer la notion d'impact, avec toute la subjectivité qu'il y a derrière, est extrêmement complexe, d'autant plus qu'il n'existe pas encore de référentiel qui fasse l'unanimité et qui permette de pondérer la notion d'impact sociétal, environnemental, ainsi que la diversité, la mixité ou l'éthique, avec les critères économiques. C'est pourquoi le gouvernement avait choisi, malgré la grogne d'une partie de l'écosystème, de rester sur des critères uniquement financiers.

Mais il ne trouvait pas cette situation satisfaisante. Car si le but de la Mission French Tech est de faire grossir l'écosystème tech en France et d'aider de nouvelles licornes à émerger, son ADN comporte aussi -et de plus en plus- la mission de corriger certaines failles de l'écosystème, notamment la mixité femmes/hommes et la diversité. La Mission French Tech est aussi pleinement mobilisée pour valoriser une tech qui incarne les valeurs françaises et européennes, et qui contribue à résoudre les grands défis économiques, environnementaux et sociétaux de l'Europe.

Lire aussiNext40, French Tech 120 : faut-il changer les critères pour mesurer le succès des startups ?

Un entre-deux pertinent pour l'édition 2023

Pour l'édition 2023, dont l'appel à candidatures a été lancé jeudi 20 octobre, le gouvernement et la Mission French Tech ont tenté de résoudre le problème. Leur solution : le statu quo sur les critères de sélection, qui restent uniquement économiques, mais qui se trouvent désormais assortis d'un engagement à faire mieux en terme d'impact social et environnemental. Ainsi, le gouvernement demandera aux 120 startups sélectionnées des actions concrètes dans trois domaines : la transition écologique, la parité femmes/hommes, et l'inclusion sociale.

Pour l'impact environnement, les lauréats seront obligés de réaliser un bilan carbone complet (scopes 1, 2 et 3, émissions directes et indirectes) d'ici à la fin de l'année 2023. Le gouvernement va ainsi plus loin que la loi, car les startups ne sont aujourd'hui pas concernées par l'obligation de réaliser un bilan carbone -c'est d'ailleurs l'objet du mécontentement du collectif Climate Act-. Le scope 3 n'est même pas intégré dans les obligations actuelles. Or, c'est une source importante d'émissions de gaz à effet de serre, notamment pour les entreprises du numérique, car le scope 3 désigne les émissions indirectes telles que les  achats de services numériques ou les déplacements professionnels et domicile-travail.

En ce qui concerne la parité, les 120 lauréats devront transmettre à la Mission French Tech le résultat de leur index d'égalité Femmes/Hommes, associé à des propositions d'actions pour l'améliorer. Enfin, sur l'inclusion, le French Tech 120 demandera à ses futurs pensionnaires de "participer à un travail collectif impulsé et animé par la Mission French Tech sur ces enjeux dans le courant du 1er semestre 2023, qui commencera par un diagnostic".

Des critères économiques renforcés

Si cette prise en compte de l'impact sociétal et environnemental peut être considérée comme un minimum, elle a le mérite de placer les 120 startups les plus performantes du pays dans une démarche d'amélioration sur ces sujets, même si le gouvernement ne précise pas si le non-respect de ces obligations pourrait entraîner une exclusion de l'entreprise pour l'année suivante.

Pour prendre en compte la maturité et les performances de plus en plus remarquables des startups, les critères économiques ont été réhaussés pour l'édition 2023. Les licornes seront à nouveau automatiquement admises au sein du Next40, soit environ 25 places. Les 15 places suivantes seront attribuées aux pépites ayant réalisé les levées de fonds les plus importantes entre 2020 et 2022, sans que le seuil de 100 millions d'euros donne lieu à une qualification automatique, comme c'était le cas les années précédentes.

Pour intégrer le French Tech 120, les critères économiques se divisent en deux volets, chacun pour 40 places. D'abord, les levées de fonds : il faudra avoir réalisé, entre 2020 et 2022, une levée de fonds d'au moins 40 millions d'euros (contre 20 millions d'euros précédemment). « La sélection se fera par ordre décroissant des levées de fonds, à hauteur des 40 places disponibles. Ce volet permet notamment de sélectionner des startups deeptech et/ou industrielles, qui ont besoin de financements importants pour financer leur R&D et/ou leur site industriel, sans avoir de revenus dans les premières années », précise Clara Chappaz, la directrice de la Mission French Tech.

Ensuite, il y a le volet hyper-croissance : 40 autres startups devront avoir réalisé un chiffre d'affaires d'au moins 10 millions d'euros lors du dernier exercice fiscal clôturé, et avoir réalisé une croissance moyenne d'au moins 25 % lors des trois derniers exercices clôturés. Après avoir listé les entreprises répondant à ces critères, la sélection se fera par ordre décroissant de chiffre d'affaires, à hauteur de 40 places disponibles.

Enfin, comme pour les éditions précédentes, un critère régional sera intégré à la sélection en 2023. L'objectif : éviter que le classement soit préempté quasi-exclusivement par des startups parisiennes, qui réalisent 80% des levées de fonds en valeur du pays, et l'essentiel des plus importantes. Le critère régional permettra d'assurer la présence au sein du classement d'au moins deux startups de chaque région hexagonale, et d'au moins deux pépites issues des régions et territoires d'Outre-mer.

Lire aussiFrench Tech 120/Next 40 : "Les innovations des startups bénéficient à toute la société" (Clara Chappaz)

Sylvain Rolland

Sujets les + lus

|

Sujets les + commentés

Commentaire 0

Votre email ne sera pas affiché publiquement.
Tous les champs sont obligatoires.

Il n'y a actuellement aucun commentaire concernant cet article.
Soyez le premier à donner votre avis !

-

Merci pour votre commentaire. Il sera visible prochainement sous réserve de validation.