
A chaque voyage, le godet dentelé de la pelleteuse embarque des tonnes de déblais qu'il déverse quelques dizaines de mètres plus loin. Nous sommes sur un chantier de terrassement comparable à tous les autres, quelque part en Normandie. Sauf qu'aux manettes de cet engin de 25 tonnes, on ne voit pas l'ombre d'un être humain. La machine montée sur chenille effectue son travail toute seule avec la régularité d'un métronome et une précision millimétrée.
A l'origine de ce joli tour de force, un ingénieur des travaux publics : Jean-Charles Le Floch, fondateur de la startup rouennaise Heraclès Robotics labellisée Deeptech. Depuis quatre ans, ce quadra technophile, aidé d'un consortium de laboratoires de recherche normands, développe une interface intelligente capable de se plugger (brancher) sur n'importe quel engin de terrassement qu'il rend autonome.
Robotique high tech
Sous le capot, une architecture numérique très sophistiquée qui renferme un GPS de positionnement, plusieurs centrales inertielles pour asservir les commandes, un Lidar et un serveur de calculs. Le tout couplé à un algorithme d'intelligence artificielle adapté aux contraintes des TP. Pour en arriver là, les roboticiens associés au projet ont accompli des prouesses, insiste l'inventeur.
« Contrairement à une voiture autonome, la machine ne se contente pas de naviguer dans son environnement mais elle doit aussi le déformer ce qui présente d'énormes difficultés que nous avons résolu ».
A l'arrivée, la démonstration est assez bluffante. Guidée par un modèle en 3D, la pelleteuse -mobilisable 24 heures sur 24 et 7 jours sur 7- réalise le chantier de bout en bout sans intervention humaine.
Une réponse aux enjeux de main d'œuvre et de décarbonation
Jean-Charles Le Floch explique avoir conçu sa solution en réponse à la pénurie de main d'œuvre galopante que rencontre le secteur des travaux publics. Celle-ci est devenue particulièrement criante en été lorsque les opérations de terrassement battent leur plein, rappelle t-il.
« Le problème ne se posait pas il y a quelques années. Aujourd'hui, il vaut mieux que les conducteurs d'engins se consacrent à des travaux plus complexes, en ville par exemple, qu'à ces tâches répétitives à faible valeur ajoutée ».
Mais ce n'est pas la seule promesse d'Heraclès Robotics. Outre une réduction de 30% du coût des chantiers, les premiers prototypes équipés montrent que l'interface « éduquée » à l'éco-conduite permet une amélioration des délais et une diminution de 18% de la consommation de carburant : un taux qui devrait être optimisé à mesure que le système apprendra grâce à l'IA. Pas exactement un point de détail quand on sait qu' un parc de dix machines dévore quotidiennement entre 3.000 et 5.000 litres de GNR (Gazole non routier).
« Evangéliser le marché »
Les premiers cas d'usage s'étant révélés concluants, la société (6 salariés et 5 recrutements à venir) se positionne désormais comme opérateur de travaux publics. Son objectif : convaincre les sous-traitants de Vinci, Eiffage et consorts de franchir le pas. « L'idée est d'évangéliser ce marché très traditionnel dans lequel la tech peine à émerger et où il est difficile de prendre des paris », souligne son patron. La commercialisation proprement dite du système devrait être lancée en 2025 ou 2026 « au prix d'un module de guidage classique », estime son concepteur.
Dans sa ligne de mire notamment, les parcs d'engins des centrales à béton et des centres d'enfouissement de déchets. Un test en vraie grandeur est déjà en cours sur un site exploité par Veolia.
Quant à la concurrence, elle vient surtout des Etats-Unis où trois startups californiennes planchent sur le terrassement autonome. Pas de quoi décourager Jean-Charles Le Floch. "La robotique française n'a rien pas à rougir de la comparaison avec les américains, nous avons les moyens de prendre le lead avec notre solution 100% bleu, blanc rouge ", assure t-il. De terrasser les rivaux en somme.
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