"Nous entrons dans un cycle où les entrepreneurs sont des héros"

Les Américains Mark Zuckerberg (Facebook), Travis Kalanick (Uber) ou encore le Français Frédéric Mazella (Blablacar), sont les modèles d'aujourd'hui pour les entrepreneurs de demain. Entretien avec Gaëtan de Sainte Marie, co-auteur du livre "Ensemble on va plus loin".
Mounia Van de Casteele
Gaëtan de Sainte Marie, co-auteur de "Ensemble, on va plus loin" (ed. Alisio), et président fondateur de PME Centrale, première centrale d'achats collaborative pour PME en France. Ce réseau mutualise les moyens de 4.500 PME, employant quelque 68.000 salariés.

LA TRIBUNE - "Chaque génération a ses héros : artistes, chanteurs, comédiens, écrivains, sportifs, super héros de bande dessinée... Mais désormais, ce sont les entrepreneurs qui tiennent le haut de l'affiche. Et ce n'est pas nous qui le disons parce que nous sommes entrepreneurs, mais Fred Turner, professeur et historien américain de l'université de Standford".

Dans le livre que vous avez co-écrit avec Antoine Pivot, "Ensemble on va plus loin"(*), Gaëtan de Sainte Marie, vous expliquez que nous sommes à l'aube d'un nouveau cycle historique. Nous assistons au changement de monde qu'évoquait le philosophe et historien Michel Serres en 2012. Ce monde, c'est celui de la "génération Y", soucieuse de l'environnement, adepte du système "D" et de la consommation collaborative sous toutes ses formes. Un monde dans lequel les jeunes prennent pour modèle des Frédéric Mazella (fondateur de BlaBlaCar, leader du covoiturage), Travis Kalanick (créateur d'Uber) ou encore Mark Zuckerberg (Facebook)...

Désormais, les héros sont moins les artistes que les entrepreneurs qui réussissent à monter un projet, et, pour les plus chanceux d'entre eux, à entrer dans le cercle des licornes [entreprises valorisées plus de 1 milliard d'euros, comme BlaBlaCar, Ndlr].

GAËTAN DE SAINTE MARIE - Oui, aujourd'hui, un créateur est un entrepreneur. Ce qui requiert une certaine sensibilité,  comparable à celle de l'artiste d'ailleurs. Cela fait aussi référence à la liberté, dans une certaine mesure, et à la capacité à faire, mais surtout à la capacité à faire changer les choses. Il y a la notion de "faire pour changer". Il y a quinze ans, lorsqu'on parlait d'entrepreneur, on pensait tout de suite au secteur du BTP. Depuis, le terme a été relooké dans la Silicon Valley, et c'est devenu hyper cool aujourd'hui d'être entrepreneur.

D'ailleurs, Marc Zuckerberg ne se montre qu'en tee-shirt et sweat à capuche, le summum du cool n'est-ce pas ? Sachant que vous dites également que ce qui prime aujourd'hui n'est plus tellement de faire carrière et d'accumuler de l'argent mais de trouver sa place dans la société et un travail qui favorise le bien-être et permette de concilier harmonieusement vie professionnelle et vie personnelle. Sans oublier le choix d'une entreprise, dont le projet fait écho à certaines valeurs...

Aujourd'hui, chacun recherche le job qui lui correspond. Or, l'économie collaborative permet de rapprocher à nouveau celui qui produit de celui qui consomme. Une notion que l'on semble avoir perdue dans les grosses entreprises. Il ne faut jamais perdre de vue la question du pourquoi l'entreprise est là. La réponse se trouvant du côté des clients.

Il faut pouvoir répondre au mieux à leurs attentes...

Oui, et surtout, se demander si on est capable d'expliquer le rôle de son entreprise à son enfant par exemple ? Si l'on n'est pas capable de définir son activité par des mots simples, il y a des questions à se poser...

Vous expliquez en outre qu'un entrepreneur ne peut trouver le modèle économique idéal tout de suite, et qu'il faut d'abord tâtonner. Ce que raconte Frédéric Mazella dans la préface d'ailleurs...

Oui ! Sauf à avoir une chance un croyable, un business model ne se trouve pas en un claquement de doigts. C'est un changement de culture phénoménal que de comprendre que l'on ne peut pas trouver d'emblée le modèle idéal. Et pour cause: depuis l'école, on nous éduque à avoir 20 sur 20. On nous apprend qu'avoir 10 sur 20, ce n'est pas bien. Ce n'est pourtant pas si mal d'avoir la moyenne ! Et cela permet de comprendre que l'on ne peut pas trouver la solution idéale. Cela fait appel à une certaine intuition, trop souvent mise de côté dans le système éducatif classique. Alors que c'est indispensable pour réussir ! C'est d'ailleurs sans doute pour cela que les écoles Montessori ont de plus en plus de succès. Cela me fait penser à une anecdote amusante : aux Etats-Unis, la fête de l'école a lieu le jour de la rentrée des classes, tandis qu'en France c'est le dernier jour de l'année..."

D'ailleurs, en ce sens, il est bien pour une entreprise d'établir une stratégie, mais il faut partir de l'expérimentation. La classe politique doit s'inspirer de cela ! Donnons-nous le droit à l'expérimentation.

C'est également le problème qui entoure la quête d'une réglementation idéale pour un système en perpétuelle évolution ?

Absolument. Il est évident que le travail doit être encadré par des règles. On ne peut pas faire n'importe quoi. Cependant, on veut toujours tout régler par de grands moyens. Or, ça bouge tout le temps... Comment peut-on dire un beau jour "voilà ce qu'il faut faire" ? On ne fait pas assez confiance à l'expérimentation. Dans l'économie collaborative, pourquoi ne pas envisager une phase d'essai à une échelle locale donnée avant de penser à une éventuelle généralisation sur l'ensemble du territoire ?"

Pensez-vous que c'est quelque chose qui aurait pu être envisagé pour le très controversé service de transport entre particuliers UberPop, suspendu depuis bientôt un an maintenant, par exemple, et qui avait suscité tant de violences de la part des taxis ?

Oui, une expérimentation dans une ville aurait permis d'analyser le comportement des usagers, de créer du lien et de la confiance. Et ainsi, d'en tirer des enseignements, afin de pouvoir élaborer une réglementation. Car la loi fonctionne bien quand les choses sont figées, mais tout ne peut être régi par la loi. Tout évolue tellement vite... C'est d'ailleurs très français de vouloir avoir un tel cadre. Car aux Etats-Unis, ils fonctionnent différemment. Leur système législatif est assez faible, et ce sont les jugements qui font le reste.

Face à l'essor de l'économie collaborative, le changement culturel va se faire petit à petit, trois pas en avant, deux pas en arrière ?

Aujourd'hui, tout est bousculé et les vieux croûtons se font dézinguer. Sauf dans la politique. Mais c'est un changement positif vers un monde d'entrepreneurs. C'est un chemin sur lequel la financiarisation à outrance est ébranlée par des entrepreneurs. Comme si on arrivait petit à petit au village mondial dont on parle. Tout le monde ne peut cependant pas devenir entrepreneur. Mais il serait vraiment bon de mettre une bonne dose d'entrepreneuriat à tous les étages.

Cela me fait penser qu'en France, on se plaint de ne pas avoir assez de PME fortes. Or des alliances entre entreprises (des ETI partenariales et non pas des ETI intégrées) pourraient être une façon d'y remédier. Au lieu de copier le modèle allemand, nous pourrions miser sur un système alternatif de grappes, qui permet de se développer. Du moins est-ce une piste à explorer, notamment en B2B, dans l'économie collaborative.

--------

(*) "Ensemble on va plus loin", par Gaëtan de Sainte Marie et Antoine Pivot, Editions Alisio, 22 euros.

Mounia Van de Casteele

Sujets les + lus

|

Sujets les + commentés

Commentaire 0

Votre email ne sera pas affiché publiquement.
Tous les champs sont obligatoires.

Il n'y a actuellement aucun commentaire concernant cet article.
Soyez le premier à donner votre avis !

-

Merci pour votre commentaire. Il sera visible prochainement sous réserve de validation.