"Partir aux Etats-Unis ou à Londres est de moins en moins nécessaire pour les startups européennes" (Bernard Liautaud, Balderton Capital)

ENTRETIEN. Le fonds de capital-risque britannique Balderton Capital, l'un des plus importants en Europe pour le "early stage" -les premières levées de fonds des startups-, lance un nouveau véhicule d'investissement, intitulé Growth I, doté de 680 millions de dollars (environ 558 millions d'euros) à investir dans les scale-up européennes. Bernard Liautaud, managing partner de Balderton Capital, détaille à La Tribune le pivot du fonds vers le financement de croissance et analyse l'état de la tech européenne ainsi que les conséquences du Brexit.
Sylvain Rolland
Bernard Liautaud, managing partner de Balderton Capital.
Bernard Liautaud, managing partner de Balderton Capital. (Crédits : DR)

LA TRIBUNE - Alors que Balderton Capital a toujours financé des startups en Série A ou B, soit au début de leur parcours, vous annoncez le lancement de votre deuxième véhicule d'investissement, Balderton Growth I, doté de 680 millions de dollars pour financer l'étape d'après, les scale-up. Pourquoi ce pivot vers le financement de la croissance ?

BERNARD LIAUTAUD - Il y avait une belle opportunité à saisir car l'écosystème du financement de croissance est en train de se constituer en ce moment en Europe. La tech européenne vit une nette accélération, les besoins en capitaux sont de plus en plus importants et explosent : on considère qu'au moins 50 milliards d'euros seront investis dans les startups en 2021. Nous arrivons sur ce marché du "growth" au moment où le nombre de startups augmente de manière rapide et que de plus en plus vont avoir besoin de lever beaucoup d'argent pour financer leur hyper-croissance. D'autant plus que l'état d'esprit des entrepreneurs a changé en Europe. Les entrepreneurs ont davantage d'ambition et veulent construire depuis l'Europe des champions européens voire mondiaux.

L'Europe reste toujours nettement en retrait par rapport aux Etats-Unis, mais elle accélère. Le Royaume-Uni garde une grosse avance en termes de fonds levés, mais la dynamique est plus forte du côté du continent, et notamment de la France, de l'Allemagne et des pays scandinaves. Cette tendance est renforcée par la pandémie de la Covid-19, car les confinements ont fait gagner plusieurs années de transformation numérique dans tous les secteurs de l'économie. Donc le besoin en innovations n'a jamais été aussi important et en tant que l'un des fonds les plus importants sur le "early stage" en Europe, nous avons décidé de financer aussi les phases de croissance pour accompagner la création de futurs géants européens.

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Quelle est la thèse d'investissement de ce nouveau véhicule ?

Le fonds devait être doté de 500 millions de dollars au début, mais l'appétit de nos investisseurs à la fois pour la tech européenne et pour Balderton qui a acquis une solide réputation dans le early stage avec des succès majeurs comme Talend -entré en Bourse- ou encore les licornes Revolut, Darktrace et Vestiaire Collective, nous a permis de lever 680 millions de dollars, que nous comptons investir en moins de trois ans dans une quinzaine de startups. Avec nos fonds early stage nous n'avions pas le véhicule pour continuer à les suivre ensuite lors de leurs Série C, D et au-delà. Or, quand on regarde les meilleures entreprises de notre portefeuille, on se rend compte que les investisseurs entrés à ce moment-là ont gagné énormément d'argent, ils ont réalisé des retours sur investissement de plusieurs milliards de dollars sur nos entreprises. Donc l'idée est à la fois de financer les startups que nous repérons en early stage plus longtemps, mais aussi de financer des startups que nous aurions ratées à partir de leur Série C ou D, avec des tickets de 25 à 50 millions de dollars en moyenne. Nous souhaitons être lead ou co-lead -investisseur principal, Ndlr- nous pourrons par exemple être co-lead sur une levée de 75 millions de dollars. Les secteurs que nous ciblons sont la fintech, le logiciel d'entreprise et les innovations d'usage pour le grand public. Notre périmètre d'action est toute l'Europe, à commencer par le Royaume-Uni bien sûr où nous avons notre siège social, mais nous sommes également présents en France, en Allemagne et en Suède, et nous rayonnons sur tout le continent notamment aux Pays-Bas et au Danemark par exemple.

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Les enjeux d'une startup en début de vie sont différents de ceux de l'hyper-croissance, ce qui nécessite un accompagnement spécifique de la part des investisseurs. Quelle est l'équipe derrière Growth I ?

Une équipe de partners spécialisés dans l'hyper-croissance a été recrutée. Le fonds sera géré par trois personnes : moi-même, Rana Yared et David Thévenon. Rana est l'ancienne patronne de l'investissement de croissance chez Goldman Sachs à New York. Elle investissait pour cette grande banque d'affaires aux Etats-Unis et à Londres, elle a énormément d'expérience et connaît très bien la fintech et le logiciel d'entreprise. Ancien de Google, David a aussi l'expérience du growth car c'est un ancien de Softbank, où il a fait de nombreux investissements dans la fintech et dans les mobilités, partout dans le monde. Il a été au conseil d'administration de l'assurtech Lemonade ou les concurrents de Uber en Asie Grab et Didi Chuxing. De mon côté, j'ai été au conseil d'administration de Talend, qui a fini par entrer en Bourse, pendant presque neuf ans.

Comment avez-vous vécu la crise du Covid-19 et traversé l'année 2020 ? Quel impact sur les startups de votre portefeuille ?

Le Covid a été un accélérateur de transformation numérique, cela nous a confortés dans notre stratégie de miser sur des briques technologiques qui digitalisent différents secteurs. Au début de la pandémie on s'est demandé s'il y aurait des impacts négatifs sur nos sociétés mais seul 3-4% de notre portefeuille a été très touché, par exemple le Français Virtuo, qui fait de la location de voitures. Mais pour celles qui ont souffert, il y a eu pour la plupart, dont Virtuo, un très net effet rebond, elles ont traversé la crise et réussi à lever de l'argent à nouveau car les fondamentaux de leur business restent et elles répondent à un vrai besoin.

Au final, l'année 2020 a été l'une de nos meilleures en termes de retour sur investissements et de performance sous-jacente des actifs du portefeuille en termes d'emplois et de revenus. Les sociétés du portefeuille de Balderton ont levé plus de 5 milliards de dollars depuis début 2020, dont 1,7 milliard depuis janvier 2021.

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Comment évaluez-vous l'impact du Brexit sur la tech britannique ?

Malgré quelques impacts négatifs, Londres et le Royaume-Uni en général restent une place très attractive pour les entrepreneurs et les investisseurs, et le pays a conservé une forte avance en termes de fonds levés sur les autres marchés européens en 2020. Le recrutement des talents, le nerf de la guerre dans la tech, n'est pas vraiment impacté car le gouvernement a mis en place des visas pour les talents dans la tech pour continuer de les attirer, donc la porte reste ouverte.

Ceci dit, le Brexit a engendré une incertitude, qui perdure encore, qui fait que Londres "aspire" un peu moins les talents qu'avant. C'est dû un peu au Brexit, mais aussi à un changement des mentalités en Europe. Avant, un Européen pensait qu'il fallait transférer son siège social aux Etats-Unis ou à Londres pour devenir un géant, car c'est là où on trouvait le capital, un écosystème beaucoup plus fourni et des concurrents. Mais c'est de moins en moins le cas. On voit de plus en plus de startups qui se développent de manière globale tout en gardant leur centre de gravité là où ils ont démarré, notamment en France et en Allemagne. Le "brain drain" britannique est moins une réalité, le vieux continent prend des forces et il y a un certain rééquilibrage qui débute vis-à-vis du Royaume-Uni.

Propos recueillis par Sylvain Rolland

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