Next40, French Tech 120 : faut-il changer les critères pour mesurer le succès des startups ?

Climate Act, grille d'évaluation de la performance BCG/La Boussole... De plus en plus d'entrepreneurs réclament une réforme des critères de sélections des startups du Next40 et du French Tech 120, qui incarnent « le meilleur » de la « startup nation »... mais uniquement sur des critères financiers.
Sylvain Rolland
Pour de plus en plus d'entrepreneurs et d'experts, la « course à la licorne » -ces startups valorisées au moins 1 milliard d'euros- et aux grosses levées de fonds, masque la réalité de la French Tech.
Pour de plus en plus d'entrepreneurs et d'experts, la « course à la licorne » -ces startups valorisées au moins 1 milliard d'euros- et aux grosses levées de fonds, masque la réalité de la French Tech. (Crédits : iStock)

L'initiative a fait grand bruit dans l'écosystème tech, jusqu'au secrétaire d'Etat à la Transition numérique, Cédric O. Le 21 avril, La Tribune publiait l'appel du « Climate Act », une initiative lancée par la startup Shine et soutenue alors par 106 pépites de la French Tech (217 le 7 mai). Engagé pour la transition écologique, le texte dénonce une réglementation « trop peu contraignante » pour les startups, qui leur permet de se focaliser sur leur hypercroissance en ignorant leur empreinte carbone, alors même que le numérique est l'un des secteurs les moins vertueux en matière environnementale et que son explosion est incompatible avec les objectifs mondiaux de réduction de l'empreinte carbone.

Les signataires de cet appel, dont des stars de la French Tech comme les licornes BlaBlaCar, Alan et Vestiaire Collective, mais aussi des leaders comme Backmarket, Openclassrooms, Payfit ou Swile, s'engageaient dans nos colonnes à « prendre les devants », en réalisant puis en publiant un bilan carbone complet avant la fin de l'année, incluant à la fois les émissions dites directes (scopes 1 et 2) et indirectes (scope 3), la mesure de ces dernières n'étant aujourd'hui obligatoire pour personne. Surtout, ils réclament que ces engagements deviennent des « critères obligatoires » pour toutes les entreprises du French Tech 120 et du Next40, le label non-officiel du gouvernement pour mettre en avant les pépites de la tech les plus prometteuses.

« Les startups ne sont pas des entreprises comme les autres et il y a dans leur ADN la volonté de changer un secteur voire le monde. Pourquoi le Next40 et le French Tech 120 se concentrent seulement sur les plus grosses levées de fonds et l'hypercroissance la plus folle, sans prendre en compte l'impact sur la planète et la société ? », interroge Antoine Msika, responsable communication et RSE chez Shine et à l'origine du Climate Act.

Lire aussi : "Climate Act" : plus de 100 entreprises en hypercroissance s'engagent pour le climat

Prime aux levées de fonds dans le French Tech 120

Derrière cette critique, une vraie question : comment mesurer le succès des startups ? Pour de plus en plus d'entrepreneurs et d'experts, la « course à la licorne » -ces startups valorisées au moins 1 milliard d'euros- et aux grosses levées de fonds, masque la réalité de la French Tech alors qu'il n'y a actuellement que 13 licornes en France pour 20.000 startups d'après la dernière étude du Boston Consulting Group (BCG) pour l'incubateur La Boussole.

Cette préoccupation est montée sur le devant de la scène depuis le lancement, il y a deux ans par le gouvernement, du French Tech 120 et du Next 40. L'objectif de ce programme piloté par la Mission French Tech et calqué sur le CAC40 et le SBF 120 ? Identifier les 120 pépites les plus prometteuses du pays et leur offrir un accompagnement sur-mesure pour les aider dans leur hypercroissance -en facilitant leurs recrutements ou leur internationalisation par exemple. Pour établir cette liste prestigieuse, le gouvernement s'appuie uniquement sur des critères économiques, et notamment financiers. Ainsi, les licornes et les startups qui ont levé plus de 100 millions d'euros en capital-risque au cours des trois dernières années, intègrent automatiquement le Next40. Et le chiffre d'affaires minimum imposé reste faible : 5 millions d'euros à peine, soit l'équivalent des revenus d'une petite PME... Et c'est tout : ni les emplois créés, ni l'impact sociétal et environnemental, ne font partie des critères pour désigner les champions de la French Tech.

« Ce classement a vocation à être l'équivalent tech du CAC40 et du SBF120, se justifie le cabinet de Cédric O. L'accent est volontairement mis sur la performance économique car le but est d'accélérer l'hypercroissance de ces startups, les aider à créer des emplois dans les territoires et à devenir des grandes entreprises ».

Pour le gouvernement comme pour la Mission French Tech, « l'avantage des critères économiques, c'est qu'ils sont mesurables, vérifiables et incontestables », indique Kat Borlongan, la directrice de la Mission French Tech. En ne s'éparpillant pas avec une multitude de critères dont certains peuvent paraître subjectifs sans un référentiel clair pour les mesurer -notamment l'impact sociétal-, le gouvernement souhaite éviter les controverses et aboutir à un classement cohérent.

Lire aussi : Le Next40 et le FrenchTech120, un "accélérateur de business" pour les startups

Quid de l'innovation, de l'impact sociétal et de la gouvernance dans la prise en compte de la performance ?

Mais cette approche qui a le mérite de clarté, trouve de nombreux détracteurs. Y compris, d'ailleurs, pour les critères économiques choisis.

« Accorder autant d'importance à la levée de fonds entretient une image déformée de la réalité de la « startup nation », regrette Paul Jeannest, le coprésident de l'incubateur La Boussole et CEO de RaiseLab. On parle des fonds levés avant même de parler de l'innovation. Le financier ne peut pas être le seul critère utilisé, et quand bien même il serait le plus important, le chiffre d'affaires et la rentabilité, essentiels pour créer des entreprises pérennes, sont très sous-estimés dans le French Tech 120 et le Next40. Sans compter que la soutenabilité des modèles économiques, ou encore les critères non financiers tels que l'impact social ou environnemental, contribuent à la performance. »

Et de continuer : « Une entreprise inconnue comme Selectra est plus saine et plus performante sur beaucoup de sujets que plusieurs de nos 13 licornes, mais elle n'a pas levé des centaines de millions d'euros car elle n'en avait pas besoin ».

Pour remédier à ces « biais » de perception sur la performance des startups, cet entrepreneur a planché, avec le cabinet de conseil BCG, sur le premier référentiel pour mesurer concrètement la performance des startups. Leur étude détaille « quatre grands points cardinaux » : l'impact économique, l'impact sociétal, l'innovation et la gouvernance responsable. Dans l'aspect économique, l'étude suggère de s'intéresser aussi à la rentabilité du modèle économique, aux emplois nets crées et aux revenus à l'international, et de prendre en compte dans le financement non seulement les levées de fonds, mais aussi le financement non-dilutif (prêts bancaires) et l'autofinancement.

L'impact sociétal se mesure quant à lui par l'impact environnemental, l'impact social et la redistribution équitable de la valeur au sein de l'écosystème. Le critère de l'innovation nécessite de prendre en compte la création d'un nouvel usage, d'une nouvelle technologie ou d'un nouveau modèle économique. Enfin, la « gouvernance responsable » désigne l'expérience collaborateur (part de l'emploi temporaire, mixité F/H, partage de la gouvernance, inclusion, formations, écarts des salaires...) et le développement responsable, c'est-à-dire la maîtrise de l'empreinte environnementale liée aux processus et activités internes.

« Ces quatre dimensions se renvoient les unes aux autres et il serait plus intéressant de prendre en considération l'ensemble de ces critères pour désigner les champions de la French Tech », estime Lionel Aré, directeur associé senior du BCG.

Lire aussi : Olivier Mathiot : "Il faut orienter la French Tech vers l'impact sociétal et environnemental"

Le casse-tête de l'objectivité

Reste la question, cruciale, de comment mesurer l'impact social par exemple, ou la gouvernance responsable, de manière claire et incontestable. L'initiative Climate Act, qui propose de réaliser un bilan carbone complet en prenant en compte les émissions directes et indirectes, pourrait être un bon point de départ pour la mesure de l'empreinte environnementale.

Mais même en trouvant un référentiel commun, reste la question de la pondération entre ces quatre grands critères.

« Nous n'avons pas de réponse à cela, nous ne savons pas dire quoi privilégier pour aboutir à une note globale, mais nous pensons tout de même que les investisseurs quand ils regardent un dossier de startup, un entrepreneur quand il fait son prévisionnel, et l'Etat quand il fait le Next40, doivent y penser de manière systématique. C'est une façon de tirer l'écosystème vers le haut », indique Paul Jeannest.

De son côté, le gouvernement regarde avec attention les réclamations de l'écosystème. D'après nos informations, le secrétaire d'Etat à la Transition Numérique, Cédric O, va recevoir l'initiative Climate Act d'ici à la fin du mois. « Toute initiative qui vise à améliorer l'impact des startups sur la société est une bonne initiative » estime le cabinet.

Le secrétaire d'Etat envisage-t-il une refonte des critères du Next40 et du French Tech 120 l'an prochain ?

« Cela n'est pas la piste envisagée pour le moment. Toutefois, l'objectif est d'entraîner tout le monde dans une dynamique plus vertueuse. C'est tout le sens du nouveau programme French Tech Green20 qui ouvre l'accompagnement de l'Etat à 20 startups greentech prometteuses », explique son cabinet.

En attendant, si le gouvernement n'a pas touché aux critères pour la deuxième édition révélée en début d'année, l'initiative s'est enrichie d'un « board impact ». Le principe : six entrepreneurs du French Tech 120 et trois experts de la société civile (l'association Sista pour la mixité, Tech Your Place pour la diversité sociale et culturelle, le fonds d'investissement à impact Future Positive Capital) doivent formuler des propositions concrètes à Cédric O, d'ici à la fin du mois, pour fournir aux startups une feuille de route afin d'améliorer -de manière facultative- leurs pratiques en ce qui concerne la mixité femmes/hommes, la diversité sociale et culturelle et l'impact environnemental. Le fruit de ce travail sera révélé au salon Vivatech fin juin.

Sylvain Rolland

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Commentaires 4
à écrit le 12/05/2021 à 10:08
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Comme dans tout monde virtuel, il suffit d'y croire...! Le prestidigitateur et l'arnaqueur en font parti!

à écrit le 12/05/2021 à 5:42
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Une entreprise qui n'engrange pas de revenus doit disparaitre. On aime bien discuter au pays de Descartes.

à écrit le 11/05/2021 à 21:34
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Les licornes est leurs hypercroissance . les pépites de la tech ... Une petite erection ?

à écrit le 11/05/2021 à 15:16
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"Les startups ne sont pas des entreprises comme les autres et il y a dans leur ADN la volonté de changer un secteur voire le monde." A diffuser avec un air de violon... ^^

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