Rachat de Twitter : Elon Musk entretient le flou sur tout et multiplie les contradictions

Le milliardaire patron de Tesla et SpaceX a rencontré pour la première fois les salariés de Twitter. Il ne les a pas rassurés : ni sur le modèle économique qu'il compte mettre en place pour le réseau social afin de lui faire gagner plus de 700 millions d'utilisateurs supplémentaires, ni sur ses arrières-pensées politiques, ni même sur son intention de mener à bien le rachat. Décryptage.
Sylvain Rolland
Elon Musk a discuté avec les salariés de Twitter mais a multiplié les contradictions et n'a pas clarifié son modèle économique ni rassuré sur ses intentions politiques.
Elon Musk a discuté avec les salariés de Twitter mais a multiplié les contradictions et n'a pas clarifié son modèle économique ni rassuré sur ses intentions politiques. (Crédits : DADO RUVIC)

Elon Musk n'est pas à un paradoxe près. Alors que l'homme d'affaires multi-milliardaire était tout près, il y a deux semaines, d'annuler son rachat de Twitter, le patron de Tesla et SpaceX s'est adressé pour la première fois aux employés du réseau social, jeudi 16 juin. L'objectif de la visioconférence : répondre à leurs multiples interrogations sur sa vision pour développer la plateforme aux 229 millions d'utilisateurs monétisables.

Un projet économique toujours très flou

Mais l'échange n'a pas vraiment permis de lever les doutes des employés. D'après les différents compte-rendus relayés par le New York Times et l'agence Bloomberg via des sources internes, Elon Musk s'est contenté de réaffirmer son ambition de démultiplier le potentiel de Twitter en lui faisant atteindre le milliard d'utilisateurs, soit tout de même une progression de plus de 700 millions de personnes, et de diversifier ses sources de revenus.

Sur ce dernier point, l'entrepreneur avait déjà révélé, en avril, qu'il comptait développer les abonnements auprès des marques souhaitant utiliser le réseau social pour communiquer, en plus de la publicité ciblée qui est déjà le modèle économique de la plateforme. D'après lui, l'abonnement permettra d'épurer les faux comptes, notamment les bots qui parasitent l'expérience utilisateur en insérant des offres d'achat parfois peu pertinentes au milieu du flux des tweets. Elon Musk estime -sans aucune preuve- que le nombre de faux comptes se situe autour de 20%, alors que la direction clame depuis des années que la proportion ne dépasse pas les 5%, et vient de fournir à Elon Musk l'ensemble des tweets publiés chaque jour pour le lui prouver une bonne fois pour toutes.

Le milliardaire ne serait pas revenu sur cette polémique. En revanche, il a lancé de nouvelles pistes. Tout en faisant part de sa passion pour le réseau social, son moyen d'expression préféré, Elon Musk s'est dit insatisfait des résultats financiers de l'entreprise. Il aurait qualifié l'expérience utilisateur sur Twitter d'ennuyeuse, et cité en exemple le succès d'applications qui appartiennent à des groupes chinois, TikTok et WeChat. Le premier se caractérise par des formats vidéo modernes et viraux, et le second est une "super-app" qui sert à la fois de messagerie texte, audio et vidéo, mais aussi de réseau social et de plateforme de shopping en ligne avec paiement intégré.

Comment veut-il s'en inspirer pour Twitter ? Mystère, mais de nombreux analystes s'attendent à une transition majeure vers la vidéo, dans la lignée d'autres réseaux sociaux comme Facebook qui ont copié les formats innovants des challengers comme Snap ou Tik Tok ces dernières années. Quid du développement des communications audio et vidéo, ou encore du e-commerce, comme sur WeChat ? L'entrepreneur ne l'a pas précisé.

Ambiguïté et contradictions sur la dimension politique du rachat

Les employés ont aussi interrogé Elon Musk sur sa vision politique. Libertarien revendiqué -voire anarchiste pour certains observateurs-, l'entrepreneur est un fervent militant d'une liberté d'expression totale, c'est-à-dire le moins possible soumise à la modération. Une conception datée voire intenable aujourd'hui en raison des effets délétères prouvés par de multiples travaux scientifiques du phénomène d'amplification algorithmique (ou free reach) : le problème n'est pas l'expression de toutes les opinions mais le fait que des opinions haineuses, des fake news ou du cyberharcèlement se retrouvent propulsées algorithmiquement vers des audiences massives.

Ce phénomène, qui menace le débat public démocratique, pousse les gouvernements du monde entier, de gauche comme de droite et y compris en France, à exiger davantage de régulation des contenus. La conception de la liberté d'expression d'Elon Musk est donc proche des libertaires de la Silicon Valley -à l'image de Jack Dorsey, fondateur de Twitter, parti fin 2021- et surtout, aux Etats-Unis, de Donald Trump et de l'aide la plus à la droite du parti républicain. Elle est donc loin d'être neutre ou modérée politiquement, contrairement aux affirmations d'Elon Musk.

Dans des tweets, anciens et récents, le milliardaire ne cache d'ailleurs aucunement sa proximité avec le parti Républicain et critique "la gauche" qu'il qualifie régulièrement d'extrémiste et de dangereuse, reprenant ainsi l'argumentaire des Républicains les plus à droite de l'échiquier politique américain. Pas plus tard que mercredi, il a tweeté son soutien au gouverneur républicain ultra-conservateur de Floride, Ron DeSantis, pour l'élection présidentielle de 2024. Son manque de neutralité pose évidemment question sur ses intentions quant au futur rôle de Twitter dans le débat public, d'autant plus à quelques mois des élections américaines de mi-mandat.

Ironiquement, Elon Musk continue pourtant de se définir comme "modéré" et a l'a réaffirmé devant les salariés de Twitter. Il a critiqué le fait que le réseau social serait d'après lui "à gauche" et devrait être "plus impartial". L'entrepreneur a de nouveau souligné l'importance à ses yeux d'une modération des contenus moins stricte, dans les limites définies par la loi. Encore un paradoxe : Elon Musk revendique vouloir respecter "la loi, rien que la loi", mais fait semblant d'ignorer que Twitter est critiqué partout dans le monde pour son incapacité à être à la hauteur des exigences légales actuelles en terme de modération, ce qui fait le lit des discours haineux, de la désinformation et du cyberharcèlement, et donc affaiblit les démocraties.

Comment le milliardaire composera son discours très politisé quoi qu'il en dise, avec la réalité de la loi partout dans le monde et du fait que celle-ci devrait encore se durcir dans les années à venir pour lutter contre l'amplification algorithmique des contenus ? Encore un mystère !

Quoi qu'il en soit, la politisation des interventions publiques d'Elon Musk ne crispe pas seulement chez Twitter. Des employés de SpaceX lui reprochent son comportement "source de distraction et de honte", et appellent l'entreprise spatiale à "condamner publiquement" sa façon de tweeter, dans une lettre qui doit être remise au président de SpaceX, d'après le site spécialisé The Verge.

Contraste entre la culture de Musk et l'ADN de Twitter

Enfin, Elon Musk a été interrogé sur ses intentions en termes de culture d'entreprise et de conditions de travail. Et là encore, le patron de Tesla et de SpaceX semble très éloigné avec les pratiques de Twitter. Depuis le Covid et encore récemment, la direction actuelle du réseau social s'est engagée à permettre aux 7.500 salariés de l'entreprise de travailler entièrement à distance s'ils le souhaitent. Or, il y a quelques jours, Elon Musk a exigé des employés de Tesla qu'ils effectuent au moins 40 heures de travail hebdomadaire en présentiel, sous peine d'être renvoyés.

Interrogé sur ce sujet, le probable futur patron de Twitter est resté, encore une fois, vague. D'après le New York Times, il a reconnu que les employés du réseau font un travail différent de ceux qui conçoivent et assemblent des voitures, mais a réaffirmé sa préférence pour le présentiel.

Concernant son rôle, il a indiqué vouloir peser dans les orientations stratégiques et l'amélioration des produits. Il n'a pas précisé s'il comptait licencier des salariés, mais a évoqué la prise en compte des performances. La réunion a mis en évidence "le contraste entre la culture de Musk et l'ADN de Twitter", a remarqué l'analyste Dan Ives de Wedbush.

Pas de réassurance de mener le processus d'achat à son terme

Même si Elon Musk a souhaité parler aux employés de Twitter, ce qui pourrait indiquer qu'il se projette dans son futur rôle de propriétaire de l'entreprise, le milliardaire n'a pas confirmé qu'il mènera pas le processus d'achat à son terme, deux semaines après avoir accusé Twitter de lui avoir menti et menacé d'annuler le rachat.

En Bourse, le cours de Twitter demeure très inférieur (30% de moins) au prix de 44 milliards de dollars proposé mi-avril par Elon Musk. Un signe que Wall Street n'est pas encore convaincu par le rachat et que le réseau social est lui aussi emporté par la crise boursière autour des valeurs tech.

Malgré ces turbulences, le dirigeant d'origine sud-africaine s'est assuré du soutien de plusieurs grandes fortunes et sociétés d'investissement pour parvenir aux 44 milliards de dollars que doit coûter ce rachat.

Début mai, le fantasque milliardaire a levé plus de 7 milliards de dollars pour financer la transaction auprès de plusieurs investisseurs, dont le fondateur du groupe informatique Oracle, Larry Ellison (1 milliard de dollars), le fonds Sequoia Capital (800 millions), et Binance (500 millions).

Sylvain Rolland

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