La liberté d’expression est-elle vraiment au cœur du rachat de Twitter ?

Si l'on écoute Elon Musk, il aurait racheté Twitter avant tout pour défendre la liberté d'expression, qui serait, d'après lui, entravée sur le réseau social. Mais, comme le relèvent les juristes interrogés par La Tribune, la liberté d'expression est déjà lourdement encadrée dans la loi, et la marge de manœuvre du milliardaire paraît très limitée. Ce qui amène à une autre question : la liberté d'expression serait-elle un prétexte pour détourner l'attention des enjeux plus profonds de ce rachat ?
François Manens
(Crédits : DADO RUVIC)

Depuis son rachat de Twitter pour 44 milliards de dollars, Elon Musk se place ni plus ni moins comme le sauveur de la "liberté d'expression" sur le réseau social, jusqu'à la présenter dans son discours comme la principale motivation de son opération financière. L'homme d'affaires a par le passé lourdement critiqué Twitter, notamment dans sa gestion du cas Donald Trump, qui fût censuré puis banni suite à sa contestation dangereuse des résultats de l'élection présidentielle.

Elon Musk prône pour sa part un laisser-faire maximal sur la modération, une posture applaudie par la droite conservatrice américaine, qui voit d'un très bon œil le rachat. "Par "liberté d'expression", je veux simplement parler de celle qui s'accorde avec la loi", a-t-il précisé sur son compte Twitter le 26 avril. "Je suis contre la censure qui va au-delà de la loi. Si les gens veulent moins de liberté d'expression, ils demanderont à leur gouvernement de passer des lois en ce sens. Donc, aller au-delà de la loi est contraire à la volonté du peuple". Autrement dit : la modération du réseau devrait changer pour devenir plus permissive, mais elle existera toujours pour assurer le respect des lois.

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Une marge de manœuvre très limitée

Du côté des juristes, les annonces grandiloquentes d'Elon Musk tombent à plat. "Certes, il peut imposer des conditions générales d'utilisation (CGU) moins strictes sur Twitter s'il le souhaite, mais il restera limité par le cadre légal", rappelle à La Tribune Sonia Cissé, avocate chez Linklaters. En France, la loi pour la confiance dans l'économie numérique a encadré dès 2004 les propos tenus en ligne, et la loi visant à lutter contre les contenus haineux sur internet, votée en 2020, a ajouté encore d'autres obligations de modération. Ces textes contraignent les plateformes, et notamment Twitter, à agir rapidement en cas de débordements, et ils précisent quels propos vont au-delà de la liberté d'expression.

"C'est parce qu'il existe des limites que c'est une liberté et non une anarchie", commente à La Tribune Étienne Drouard, avocat associé chez Hogan Lovells. La liberté d'expression est déjà inscrite aux plus hauts niveaux du droit, dans la Déclaration universelle des droits de l'Homme de 1948 ou encore dans l'article 10 de la Convention européenne des droits de l'Homme.

« Elon Musk laisserait penser que les États défendent mal la liberté d'expression, c'est faux. Et dans tous les cas, ce n'est pas le rôle des chefs d'entreprises de le faire », assène l'avocat.

A titre d'exemple, les positions homophobes ou transphobes de la droite dure américaine ne pourront pas plus échapper à la modération dans le Twitter d'Elon Musk que dans celui d'aujourd'hui. En réalité, la marge de manœuvre du milliardaire se trouve dans le petit espace entre ce qu'interdisent les CGU actuelles du réseau et les limites de la loi. Autrement dit, l'homme d'affaires pourrait seulement modifier la posture de Twitter sur une poignée de questions, et notamment celle de la désinformation -bien qu'elle soit, elle aussi, encadrée par la loi. "Il existe sur certains sujets une zone grise, où la plateforme peut décider", concède Sonia Cissé. Certains propos peuvent être soumis à interprétation, et le laisser-faire de la modération aura alors un rôle à jouer.

« Elon Musk peut donner une impression - et je dis bien une "impression" - de liberté d'expression plus grande sur Twitter », ajoute-t-elle.

Hasard du calendrier, le très attendu Digital Services Act (DSA) européen a été voté la même semaine que le rachat. Ce texte impose aux plateformes de nouvelles obligations de transparence, notamment sur leur politiques de modération et les moyens qui y sont alloués. Alors qu'il entrera en vigueur dans les prochains mois, il pourrait être incompatible avec la volonté de laisser-faire du milliardaire, d'autant plus qu'il prévoit des sanctions allant jusqu'à 6% du chiffre d'affaires mondial consolidé.

La "liberté d'expression", simple écran de fumée ?

S'il ne convainc pas les juristes, le brouhaha d'Elon Musk sur la question de la liberté d'expression trouve un écho chez les conservateurs américains. Plusieurs figures de la droite dure, comme l'éditorialiste Tucker Carlson, ont réactivé leurs comptes suite au rachat. Le milliardaire a pour sa part martelé que le réseau devait devenir "politiquement neutre".

En insistant sur la liberté d'expression, Elon Musk n'a finalement donné que très peu de détails sur son véritable projet économique pour Twitter. "Il ne faut pas perdre de temps à parler de liberté d'expression", tranche Etienne Drouard. Le simple argument de la liberté d'expression ne vaut pas 44 milliards de dollars." Le juriste rappelle que Musk est avant tout le dirigeant du constructeur de voitures électriques Tesla et du constructeur de fusées et de satellites SpaceX :

« Pour les batteries de Tesla, il a besoin d'autorisations pour exploiter des terres rares en Afrique. Avec SpaceX, il a besoin de contrats avec les gouvernements pour envoyer ses fusées et ses satellites Starlink dans l'espace. Elon Musk  dépend des gouvernements pour tout son portefeuille. »

L'avocat voit pour sa part la liberté d'expression comme un "accessoire" du coup d'éclat de l'homme d'affaires, dont le véritable enjeu serait avant tout économique et politique.

« C'est très bien joué de sa part sur le terrain du droit de la concurrence, car pour faire des liens entre Twitter et ses autres activités, il faut se lever tôt. Le monde des médias était un des seuls endroits où il pouvait aller, et il lui offre une influence étatique, globale, en plus d'une algorithmie sociale. Il lui offre la capacité de faire peur à un gouvernement », diagnostique-t-il.

Twitter a effectivement un rôle à part parmi les réseaux sociaux. Prisé des hommes et femmes politiques, des activistes et des journalistes, il a été le berceau d'importants mouvements sociétaux comme le printemps arabe et MeToo. Et il n'a pas été au cœur d'un scandale de l'ampleur de Cambridge Analytica à l'instar de Facebook. "Musk a gagné de l'influence sur un outil d'expression mondial. Avec Twitter, il peut exercer un levier d'influence extraordinaire", conclut Étienne Drouard. Et face à ces enjeux, les questions sur le détail de la modération paraissent d'une importance bien moindre.

François Manens

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Commentaires 16
à écrit le 30/04/2022 à 9:53
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Un peu facile vu que s'il est multi-milliardaire c'est qu'il a forcément menti la plupart de sa vie mais il se repose malgré tout sur une vérité pour vendre sa came puisqu'en effet nous voyons bien comme les États agressent littéralement la liberté d...

à écrit le 29/04/2022 à 11:24
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En principe, le travail du "médiatique" est de donner des réponses et non de poser des questions! ;-)

à écrit le 28/04/2022 à 23:33
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Il cherche à alimenter en continu son contenant ( internet spacial)… autant de pouvoir dans les mains d un seul homme c est pas vraiment démocratique … le régulateur us devrait lui poser la question et agir … de plus comme ça été dit ça ressemble à u...

à écrit le 28/04/2022 à 22:56
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Avant l’annonce du rachat, Elon Musk avait assuré espérer que « même » ses pires critiques resteraient sur Twitter, parce que « c’est ce que signifie la liberté d’expression ». Mardi, face au déluge de réactions inquiètes, il a ajouté : « La sécrétio...

à écrit le 28/04/2022 à 21:17
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La liberté d'expression en Europe ce n'est pas possible ,nous n'avons pas le 1er amendement comme au USA .En Russie pas possible ,en Chine pas possible ,les pays arabe pas possible donc pas beaucoup d'endroits à moins , que cette personne soit le pr...

le 30/04/2022 à 5:48
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+1000

à écrit le 28/04/2022 à 19:10
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Musk va au devant de gros problèmes avec Twitter. Un réseau ( dit social...!) n'est pas une entreprise industrielle, il est facile de s'y faire des ennemis et Musk n'est pas sans ennemis.

à écrit le 28/04/2022 à 16:39
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Musk est résolument pour la liberté d'expression mais n'aime pas les critiques à son encontre. Concernant Tweeter il sera obligé de se conformer aux règles de l'UE.

à écrit le 28/04/2022 à 14:44
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Je crois qu'il y a un potentiel enorme et monétisable dans la liberté d'expression telle que l'entend Musk et elle se fera avec la blockchain et les cryptomonnaies. Quand il parle d'authentification sur le réseau et d'ajouter des nouvelle fonctions i...

à écrit le 28/04/2022 à 13:16
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Alerte maximum ! La Liberté d'Expression va être rétablie sur Twitter et les comptes censurés seront rétablis, c'est inadmissible pour pouvoir continuer la Dictature ! Vont-ils déclarer la guerre à Musk après Poutine ?.....

à écrit le 28/04/2022 à 12:25
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Vous en faites tout un plat! Mais ce n'est qu'un changement de propriétaire rien de plus! Aucune amélioration a prévoir, ce n'est que l'effet publicitaire qui est visé!

à écrit le 28/04/2022 à 11:59
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"La liberté d' expression est largement encadrée dans la loi" ! Quelle blague, tout ce qui est anti européisme argumenté et mondialiste est blacklistée absolument sur tous les réseaux médiatiques mainstream. Combien de temps d'...

le 28/04/2022 à 12:39
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MLP devait, devra, faire un Frexit mais par obligation vu ses idées (les appliquer = se rendre incompatible avec l'UE), pas en l'annonçant clairement. Y en a qui l'annoncent comme mesure essentielle, principale qui va ensuite résoudre toutes les diff...

le 28/04/2022 à 14:04
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Tout simplement parce que Asselineau n est pas crédible… y a qu en France qu on a ce genre d énergumène et ses supporters…. Comme le pen , Asselineau= repli sur soit, fermeture à l autre, pensée unique , aucune projection dans le monde, aucune str...

le 28/04/2022 à 14:05
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Tout simplement parce que Asselineau n est pas crédible… y a qu en France qu on a ce genre d énergumène et ses supporters….des arguments à la « le pen « .Comme le pen , Asselineau= repli sur soit, fermeture à l autre, pensée unique , aucune project...

le 28/04/2022 à 23:28
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qu' est ce qu il y comme fachos, anti-europén, anti-démocratie sur ce média économique et financier...et les gars: "Bof, Thor, adieu BCE, Gedeon SNOWDEN,Pafo , Britannicus, Nexus, Stalinisme, Citoyen blasé..si vous n êtes pas le même profil que faite...

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